Société Psychanalytique de Paris

Moments dépressifs et dépendance pendant l’adolescence

Conférence d’introduction à la Psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent du 13 avril 2005, Régression et dépendance
Michel Vincent
Moments dépressifs et dépendance pendant l’adolescence

Il est utile de rappeler que si la régression est un concept psychanalytique, ce n’est pas le cas pour la dépendance. Du moins si on s’en réfère au Vocabulaire de la psychanalyse de J. Laplanche et J.B. Pontalis. Par contre, dans le Dictionnaire international de la psychanalyse Bénédicte Bonnet-Vidon retrace l’introduction de cette notion, après la deuxième guerre mondiale, à propos de traits de caractère, et plus particulièrement du caractère oral et des états d’addiction. Rappelons que pour Freud la notion de régression est liée à celle de points de fixation auxquels l’excitation fait retour. Ces retours se font sur plusieurs plans. La régression topique se fait suivant le passage inversé d’un système à l’autre, inversant par exemple les productions du patient pendant la séance du conscient vers le préconscient et l’inconscient au terme du processus de refoulement tel qu’un lapsus le signale. La régression temporelle implique la description d’un développement qui rebrousse vers son origine, par exemple de l’organisation génitale vers les organisations infantiles de la libido décrites dans les Trois essais sur la théorie sexuelle, le stade anal et le stade oral. La régression formelle concerne les modes d’expression ordonnés selon leur complexité dans la cure, par exemple de la verbalisation vers l’expression somatique ou l’agir.

Le repérage des transformations produites pendant l’adolescence me conduira à décrire trois positions pour l’adolescence [38]. L’histoire du sujet s’y inscrit selon un point de vue qui résulte de l’observation de la structure du fonctionnement mental de nos patients. Nulle surprise à ce que l’effet d’après-coup en fasse reconnaître le plus complet développement dans le traitement de patients adultes. Avec Claude Le Guen, (31), je crois en effet, à l’importance de ce deuxième temps et à son effet en retour qui met en jeu deux processus : le traumatisme et le refoulement. Ces repères sont utiles pour élaborer avec des adolescents les entraves qui font obstacle à leur plus grande autonomie.

Trois positions pour l’adolescence

De nombreux adolescents et adolescentes traversent des moments dépressifs qui les rendent particulièrement dépendants. La clinique de l’adulte requiert tout autant notre attention pour les transformations de ce cycle de vie. J. Lampl de Groot [14] a remarqué en effet que certains traitements d’adulte ne produisent pas le soulagement attendu de l’analyse de l’organisation oedipienne infantile. Elle démontre qu’il en est ainsi chaque fois que l’analyse a négligé la prise en considération des transformations de l’adolescence. Nous sommes ainsi conduit à envisager que, si l’éclipse du complexe d’Oedipe qui articule l’enfance et la période de latence est pour l’essentiel à l’origine de la formation du surmoi, le déclin, la dissolution, voire même la destruction du complexe d’Oedipe est loin de constituer une réalité psychique absolue à la fin de la période infantile du développement libidinal. Nous pensons même aujourd’hui que c’est son activité, bien tempérée, qui assure la plus grande autonomie à chacun de nous aux différents âges de la vie. La remarque de Freud concernant l’insertion d’un fantasme du temps de la puberté entre les symptômes de l’adulte et la sexualité infantile nous conduit à porter toute notre attention au deuxième temps de la réorganisation du fonctionnement mental pendant l’adolescence. L’élaboration du rôle de l’adolescence est facilitée par la référence à une autre série d’indications données par Freud. L’investissement ambivalent de la représentation des figures oedipiennes est inséparable de la théorie du narcissisme. Dans son Introduction au Narcissisme [15] à partir d’observations cliniques, Freud décrit la formation d’une instance critique à partir du moi. En France les travaux de nombreux auteurs font bien apparaître l’impossible déclin du complexe d’Oedipe. Ces contributions à la théorie du narcissisme sont utiles pour concevoir les transformations de l’économie libidinale et les rapports entre investissements narcissiques et investissements objectaux. E. Jones [24], a contribué à préciser la localisation du surmoi à ce carrefour des découvertes freudiennes. Il est ainsi possible d’envisager un modèle des transformations de l’adolescence plus simple et surtout plus cohérent que celui proposé par Peter Blos [1] à partir des travaux de M. Malher [32].

Le modèle de l’adolescence que je propose [38], tient sa cohérence de la théorie du développement libidinal. La conception de Freud permet en effet de considérer l’adolescence comme une longue période de transformations qui occupent toute la deuxième décennie de la vie. Les termes retenus jusqu’ici de pré-adolescence, d’adolescence et de post-adolescence manquent de clarté et entrave la théorie de la clinique. Le terme adolescence, qui y paraît chaque fois, peut faire penser qu’il s’agit de trois périodes entre enfance et âge adulte. Malheureusement, la langue française donne habituellement aux préfixes, « pré et « post », une signification qui exclut ces deux périodes de l’adolescence qu’elles encadreraient. La discussion des transformations pubertaires et de la formation du fantasme de l’adolescence qui assure la liaison entre l’organisation de la sexualité infantile et l’âge adulte manque alors de précision.

Pour préciser les limites de l’adolescence, j’ai proposé de distinguer au sein de l’adolescence trois périodes : La première est chaos, la seconde est dépressive, la troisième est redécouverte. Ces périodes s’articulent en des points critiques qui constituent les points de rupture possible du développement. Ces périodes, comme celle de la sexualité infantile, sont susceptibles de chevauchements en relation avec les processus de fixation et de régression décrits par Freud. Dans la mythologie grecque Chaos est la personnification de l’ordre non encore imposé aux éléments. Il engendre l’Erèbe qui personnifie les ténèbres infernales et la nuit (Nyx), puis Héméra, le Jour. Je propose de voir là les allégories des transformations qui caractérisent les années d’adolescence au-delà du chaos initial. Le modèle que je propose est donc le suivant :

Le chaos, c’est la première des positions de l’adolescence

Les transformations de la puberté sur lesquelles Freud a insisté, mobilisent dans cette situation nouvelle une réactivation des désirs oedipiens ; la re-sexualisation de l’investissement des figures parentales mobilise les mécanismes de défense, qui ont permis de surmonter l’angoisse associée à la situation oedipienne passant de sa forme infantile de perdre l’amour des parents à sa forme mature d’angoisse de castration. A nouveau, principe de plaisir et principe de réalité sont ménagés par le recours prévalent au clivage dans cette période. Alors l’adolescent est entraîné dans la contradiction qui le conduit à chercher à ressembler au parent de même sexe et à s’y soumettre. Mais pour assurer son autonomie, il se rebelle, c’est le début de l’âge ingrat. J’ai proposé de reconnaître là, une position de chaos pubertaire en raison de la désorganisation qui se traduit par la régression aux expressions infantiles de la sexualité anale et orale.

La position narcissique centrale, c’est la deuxième position de l’adolescence. Elle est de nature dépressive

La défense de l’unité du moi conduit ainsi toujours à une régression narcissique plus ou moins marquée. Cette régression suit deux voies. D’une part, les parents sont dés-idéalisés, jamais plus si haut placés que dans l’enfance. D’autre part, les érotismes dispersés par le chaos pubertaire vont se réunir dans l’investissement génital mature, que mobilise défensivement l’attrait de la perfection infantile si bien décrite par M & E. Laufer [29]. J’ai proposé de reconnaître dans cette période une position narcissique dépressive centrale de l’adolescence.

La régression narcissique de l’adolescence entraîne un conflit entre idéal du moi et surmoi. L’idéal du moi, est constitué chez le garçon, par la projection du narcissisme emprunté à son père y compris le pouvoir génital de ce dernier, entrant en conflit avec l’interdit par le surmoi infantile de tout rapprochement incestueux.

J. Chasseguet-Smirgel [3] a fortement souligné l’aspect défensif de l’interdit surmoïque vis-à-vis de la blessure narcissique résultant de la prématurité de l’enfant humain et de la détresse résultant de l’impuissance de l’enfant.

L’adoption si fréquente à cet âge, d’un idéal du moi collectif, peut constituer temporairement une solution, mais au risque de sacrifier des choix d’objets dont la réalisation appartient au surmoi. Le recours au masochisme moral, en maintenant une conflictualité vivante, assure le contre-investissement du masochisme érogène et plus particulièrement du masochisme féminin. Ainsi les chances de la névrose infantile sont-elles préservées, s’opposant à un excessif désinvestissement de la sexualité.

La découverte de l’objet, c’est la troisième position de l’adolescence, en fait une redécouverte de l’objet.

La fin de l’adolescence doit être envisagée quels que soient les aspects manifestes pseudo- adolescents de certains patients borderline adultes. Cette fin de l’adolescence correspond au stade génital, auquel Freud assigne deux buts, aimer et travailler. Aimer, signifie alors désirer sexuellement un objet au-delà de l’ambivalence. Ce désir comporte la ré-élaboration génitale du fantasme de l’enfant imaginaire esquissé par Freud [12] à partir du narcissisme auquel les nécessités de la vie imposent de renoncer. Par ailleurs, travailler, veut dire : Accorder son activité avec un projet inscrit dans le contexte social. J’ai proposé de reconnaître dans cette période une Position de Redécouverte de l’objet. La solution du conflit idéal du moi/surmoi, par l’intégration de l’idéal du moi dans le surmoi procède de la résolution du complexe d’Oedipe inversé, après le travail de deuil du choix d’objet narcissique, de ce qui a été une partie de soi, et qui conférera à la bisexualité son statut psychique. L’idéal du moi s’exprime alors par un état d’anticipation qui se manifeste dans les projets dont l’accomplissement tolère des délais.

J’emprunte ici le terme de position à M. Klein [27], ce que je fais en y associant les connotations habituelles ; c’est-à-dire que chacune de ces positions implique des relations objectales spécifiques, une angoisse particulière et des mécanismes de défense appropriés. Ces trois positions s’articulent selon la théorie du développement de la libido, qui intègre le bi-phasisme, définissant la période de latence à partir de la reviviscence dans l’adolescence des états infantiles de la libido. A chacune de ces positions correspondent des processus identificatoires prévalants : identification projective du chaos pubertaire, identification narcissique de la position centrale de l’adolescence, et identification introjective de la position de redécouverte de l’objet. Pour chacune de ces positions, nous pouvons reconnaître des modalités spécifiques d’effacement et de retour de l’organisation oedipienne. Mais c’est au cours de la dernière position de l’adolescence que je propose de reconnaître le plus complet déclin du complexe d’Oedipe, et la formation la plus achevée du surmoi qui permettra le passage de la dépendance infantile à l’autonomie. La suite de la vie pourra produire de nouveaux équilibres entre les instances, des bouleversements pourront encore apparaître au milieu et à la fin de la vie, mais l’essentiel est forgé à la fin de l’adolescence. Les mécanismes de défense sont alors plus stables et deviennent prédictibles. Je partage ainsi pleinement, la distinction faite par C. Parat [34], entre la fixation oedipienne infantile et l’organisation oedipienne génitale, c’est-à-dire la réorganisation pendant l’adolescence de l’organisation oedipienne infantile ; C. Parat, le précise bien : « l’organisation oedipienne du stade génital correspond à un mode libidinal, issu de la triangulation oedipienne, et comporte une double relation dans un système à trois. Une relation hétérosexuelle et une relation homosexuelle ». Au terme de cette réorganisation, les affects sont répartis en deux secteurs qui correspondent, le premier à l’objet hétérosexuel, et le second, à l’ensemble des autres extérieurs au couple. La vie adulte est ouverte, l’expérience nous a montré depuis Freud, que l’équilibre libidinal ainsi atteint, tout en assurant la meilleure efficience mentale, reste d’un équilibre fragile

Adolescent, adolescente

Chez le garçon, dans la cinquième des Nouvelles Conférences [19], consacrée à la féminité, Freud rappelle que la menace de castration met un terme au complexe d’œdipe infantile. Le désir œdipien infantile pour la mère, écartant le père, se développe naturellement dans la phase phallique. L’angoisse de castration force le garçon à y renoncer. Freud le souligne : le complexe d’œdipe est normalement entièrement détruit ensuite, et un surmoi rigoureux lui succède. « L’homme n’a qu’à continuer durant sa maturité sexuelle, ce qu’il a ébauché pendant la période de sa première éclosion sexuelle ». C’est-à-dire que ce qui a été ébauché devra se compléter pendant l’adolescence. En relisant Freud, et en réfléchissant à notre propre expérience, nous pouvons cependant avancer dans la solution de certaines énigmes, et en particulier à propos de celles qui résultent de l’apparition à cet âge des éjaculations, Le moment de l’apparition de ces dernières fait l’objet d’un refoulement qui mérite de retenir notre attention. Dans le dernier des Trois Essais [8], Freud examine les transformations qui font passer la vie sexuelle de sa forme infantile à sa forme adulte. Il indique que la pulsion sexuelle, jusque-là essentiellement auto-érotique, va découvrir l’objet sexuel. A nouvel objet, nouveau but, et le but sexuel décrit par Freud, consiste dans l’émission des produits génitaux. Ce nouveau but ressemble à l’ancien but auto-érotique qui était le plaisir, pour autant que le maximum de plaisir est attaché à l’acte final du processus sexuel. Il faut remarquer que le plaisir de l’éjaculation diffère en son mécanisme des plaisirs préliminaires car il procède non d’une tension, mais d’une détente sur laquelle s’étaye l’angoisse de castration. On se souvient de la façon dont Freud souligne que la suite des excitations fournit l’énergie motrice nécessaire à l’aboutissement de l’acte sexuel. Ces excitations correspondent aux plaisirs préliminaires qui représentent, de façon rudimentaire, une satisfaction des pulsions sexuelles infantiles, réactivées par le « chaos » des métamorphoses pubertaires. Freud envisage trois sources d’excitation sexuelle capable de mettre en action l’appareil génital externe : les excitations extérieures par les stimulations des zones érogènes ; les stimulations physiques intérieures, à propos desquelles il examine l’hypothèse de Kraft-Ebing sur le rôle joué par l’accumulation des produits génitaux, et finalement la vie psychique avec le rôle de la libido narcissique [8], et de l’opposition décrite plus tard entre instinct de vie et instinct de mort [15]. Pendant les années d’adolescence, le développement psychique va permettre de trouver à la sexualité son objet. Le choix de cet objet a été préparé depuis l’enfance, à travers une succession d’expériences, les unes agréables, les autres sources de déplaisir, et qui conjuguent chaque fois, ainsi que l’a souligné René Diatkine [5], la référence à un objet partiel, qui assure la satisfaction d’un besoin du moi et la présence d’un objet total, dont l’absence devient source d’angoisse, et dont la présence tendre guide l’enfant devenu adolescent, vers le choix d’objet définitif. Il faut rappeler une fois de plus l’attention ici sur la remarque de Freud [10], contemporaine de la rédaction des Trois Essais, à propos d’un fantasme de l’adolescence à travers lequel les transformations de la paire idéal du moi/surmoi, vont s’exprimer. Les termes qui viennent pour décrire les conséquences les plus innocentes de la puberté doivent retenir notre attention, Freud écrit toujours dans les Trois Essais. « Au cours d’une vie continente, l’appareil génital se délivre à des périodes variables, mais avec quelque régularité, pendant la nuit se produit une décharge, accompagnée d’une sensation de plaisir, au cours de l’hallucination du rêve, qui représente un acte sexuel. Pour expliquer ce processus, la pollution nocturne, on est tenté de croire, que la tension sexuelle sait trouver le raccourci de l’hallucination, pour remplacer l’acte. Les anglais décriront les mêmes circonstances sous le nom de « Wet dreams« . Le français en désignant les « pollutions » nocturnes, fait apparaître la censure et l’enracinement de celle-ci dans la période infantile réactivée au début de l’adolescence. Freud soulignera à nouveau l’importance particulière de l’élaboration fantasmatique de la période pubertaire dans une note ajoutée en 1920, lors d’une réédition des Trois Essais, « …Les fantasmes du temps de la puberté sont d’une grande importance pour la genèse de différents symptômes dont ils constituent pour ainsi dire les stades préparatoires, les formes sous lesquelles certaines composantes de la libido refoulée trouve leur satisfaction. Ils sont aussi les prototypes des fantasmes nocturnes qui deviennent conscients sous forme de rêves… Parmi les fantasmes sexuels du temps de la puberté, il en est qui sont caractérisés par ce fait qu’ils se produisent chez tout individu, quelles que soient ses expériences personnelles. Dans cet ordre d’idée mentionnons les visions d’après lesquelles l’enfant se représente qu’il a assisté au coït de ses parents, qu’une personne aimée l’a séduit prématurément, qu’il est menacé d’être châtré, et que séjournant dans le sein de sa mère, il y est passé par toutes sortes de vicissitudes, ou enfin, ce que l’on appelle le roman familial où l’adolescent construit toute une légende à partir de la différence entre la position ancienne associée à des parents imaginaires et sa position actuelle…On a raison de dire que le complexe d’œdipe est un complexe nucléaire des névroses… C’est en lui que la sexualité infantile qui exercera ultérieurement une influence décisive sur la sexualité de l’adulte, a son point culminant ». Les années de l’organisation infantile constituent ainsi un premier temps dont les années d’adolescence sont le deuxième temps. S. Ferenzi, a décrit les processus de la puberté mieux que quiconque dans Thalassa [6]. Le titre complet en allemand est, « Essai sur la théorie de la génitalité, mais en hongrois, le titre est plus suggestif : Catastrophes dans l’évolution de la vie sexuelle. Ferenczi a proposé d’appeler « amphimixie », le processus par lequel les érotismes prégénitaux se combinent pour coopérer à l’accomplissement du développement pulsionnel dans ses buts et dans les objets propres à la satisfaction. Il écrit [6]« Le dégagement du narcissisme à partir de l’auto-érotisme, est le résultat, visible même de l’extérieur, de la descente amphimictique des érotismes. Si nous voulons prendre au sérieux l’idée de la pangénèse de la fonction génitale, nous devons considérer l’organe génital de l’homme, comme un double, en réduction, du Moi entier, l’incarnation du Moi érotique, et dans ce dédoublement du Moi, nous voyons le fondement de l’amour de soi narcissique ». Ferenczi précise comment au terme de ces transformations, la pulsion thalassale, qui vise au retour dans le corps de la mère, va atteindre son but lors du coït. Le coït réalise cette régression temporaire de trois manières : Le sujet lui-même la réalise de façon imaginaire/hallucinatoire, à la manière du rêve ; le pénis, dans lequel nous voyons que le sujet reconnaît son double érotique, parvient partiellement à cette régression de façon symbolique ; enfin à partir de l’identification du sperme au Moi dont il figure l’alter ego narcissique, le sperme a le privilège d’atteindre réellement la situation intra-utérine. Après « le chaos » ces transformations contribuent à la recomposition de l’unité qui s’est constituée dans l’enfance et qui s’est consolidée pendant la période de latence. L’unité infantile a deux aspects. La forme de cette unité qui fût la première décrite par Freud, est celle du Moi, à partir de laquelle le surmoi va se distinguer à côté d’un autre aspect esquissé dans le texte d’introduction au narcissisme et dont Winnicott, donne la description la plus satisfaisante sous le nom de self, aspect qui est lui-même en relation avec la formation de l’idéal du moi. Mon hypothèse est que c’est à deux niveaux, narcissique et objectal, que les catastrophes de la puberté peuvent se produire. Ces troubles, que M & F. Laufer désignent globalement comme « break-down », peuvent se manifester seulement plus tard dans l’adolescence ou à l’âge adulte

La fille parvient à la situation oedipienne par le transfert sur son père du désir d’un bébé-pénis. Le complexe d’œdipe est chez elle l’aboutissement d’une longue et pénible évolution. Le complexe de castration, c’est à dire à cet âge, la peur de perdre l’amour des parents, au lieu de le détruire, prépare le complexe d’œdipe. Il la détache de sa mère, et c’est l’envie du pénis qui la fait entrer dans le complexe d’œdipe, qui pour elle est tout particulièrement un refuge, ou un attracteur selon l’expression proposé par M. Ody [33]. Mais avec l’absence de la peur de la castration, il manque chez la fille le motif principal que les garçons peuvent avoir de surmonter le complexe d’œdipe infantile. La fille va alors y restée attachée pendant une durée indéterminée et le détruire seulement tardivement et incomplètement. On le sait, M. Klein [27] attache la plus grande importance aux expériences précoces qui vont moduler, au terme d’une régression, la déception de la petite fille de ne pas avoir de pénis et de ne pas obtenir de son père une satisfaction génitale, un « truc », selon l’expression de Jeanne. Il en résulte dans la période oedipienne infantile le désir d’incorporer son pénis qui est le fondement de son développement sexuel et de la formation de son surmoi. Sur le plan psychique, les transformations de la puberté sont dans une large mesure l’œuvre des pulsions qui augmentent d’intensité. Les premières règles ont la valeur inconsciente d’une véritable castration et d’une stérilité définitive, ainsi qu’Hélène Deutsch [31] l’avait déjà observée.

M. Klein ajoute que la fille y voit le châtiment de sa masturbation clitoridienne et que l’effet pathogène de ces expériences résulte du réveil d’anciennes angoisses. Le sang menstruel est assimilé aux excréments dangereux, en raison de l’association précoce par l’enfant du sang et de la blessure qui en est la source. La mobilisation de ces angoisses précoces de destruction renforce la peur des agressions physiques au moment des règles, tant du fait de la mère, que du père. Ces craintes destructrices se déplacent, consciemment ou inconsciemment, sur la crainte de ne pas avoir d’enfant ou d’avoir des enfants anormaux. Les règles étayent le fantasme selon lequel le clitoris est la cicatrice laissée par la castration, ce qui compromet les identifications masculines constitutives de son surmoi. Ainsi, l’hostilité de la fille est-elle surtout dirigée contre la mère châtrée. Le surmoi infantile se forme par renoncement à l’objet aimé qui est incorporé. Cette incorporation concerne la mère phallique et le père oedipien dont le réinvestissement, pendant les années d’adolescence, permet normalement la réduction de l’ambivalence et une appropriation qui va au-delà, de l’identification inconsciente infantile au surmoi des parents. Dans sa discussion de la formation du surmoi féminin Catherine Parat [34] s’arrête à une remarque de Freud, concernant les identifications qui sont l’origine du surmoi. Freud écrit [15] que « ces identifications ne répondent pas du tout à notre attente parce qu’elles ne constituent pas, lors de l’absorption par le moi, l’objet auquel on a renoncé. Mais cette variété d’identification s’observe également, plus souvent il est vrai, chez les petites filles, que chez les petits garçons. On apprend souvent au cours de l’analyse que la petite fille, après avoir été obligée de renoncer au père en tant qu’objet du penchant amoureux, érige sa masculinité en idéal et s’identifie, non avec la mère, mais avec le père, c’est-à-dire, avec l’objet qui est perdu pour son amour. » Cette identification détermine en clinique une évolution féminine de style homosexuel, mais ce mécanisme n’est pas incompatible pour C. Parat, avec un mécanisme voisin, qui contribue chez la fille à l’instauration d’un surmoi ne modifiant pas son orientation hétérosexuelle. La condition de cette dernière évolution est que la rivalité s’exerce à l’endroit, « d’une mère vécue comme une femme féminine et passive, en face d’un père actif et ressenti, comme maître de la situation. » Ainsi, l’investissement ambivalent du père, peut-il connaître deux destins différents : Le père frustrant, donc mauvais, contribue à la formation du surmoi ; et la tendresse pour le père peut subsister en se tournant vers un objet d’amour désexualisé.

De la dépendance infantile à la maturité, le rôle du surmoi

Quelle part les transformations de l’adolescence prennent-t-elles au passage de la dépendance à un objet externe à une autonomie compatible avec la présence de l’autre ? Quelle est la part des métamorphoses pubertaires à la formation du Surmoi ?

Dans la disparition du complexe d’Oedipe [18], Freud rappelle sa description de la transformation de l’investissement d’objet en une identification et il écrit : « L’autorité du père ou des parents, introjectée dans le moi, y forme le noyau du surmoi, lequel emprunte au père la rigueur, perpétue son interdit de l’inceste et ainsi assure le moi contre le retour de l’investissement libidinal de l’objet. Les tendances libidinales qui appartenaient au complexe d’œdipe sont en partie désexualisées et sublimées, ce qui vraisemblablement arrive lors de toute transformation et identification ». La névrose infantile correspond à l’organisation infantile du complexe d’œdipe dont Freud nous a appris que le surmoi était l’héritier. Il faut relire avec grande attention le texte de Freud pour trouver les éléments que réclame l’expérience clinique des troubles de l’adolescence et de l’âge adulte. Pour l’essentiel la position de Freud est très précise et ira en se précisant, depuis la première publication des Trois Essais…[8], jusqu’à l’additif [16], que Freud demande d’intercaler dans la théorie de la sexualité : « La vie sexuelle de l’enfant se rapproche de celle de l’adulte dans une bien plus grande mesure, (qu’il ne l’avait indiqué en 1905), et cela ne concerne pas seulement la survenue d’un choix d’objet. » L’accent est mis sur la principale caractéristique de l’organisation génitale infantile, à savoir qu’il n’existe alors pour le garçon et la fille, qu’un seul organe génital, l’organe mâle, et de ce fait un primat du phallus. L’organisation infantile oppose ainsi : organe génital masculin et châtré. Ainsi l’angoisse, alors associée aux désirs incestueux, l’angoisse de castration, prend -elle sa forme la plus cruelle peut-être qui est l’angoisse de perdre l’amour de l’objet. Cet amour fait partie du surmoi ainsi que le note Freud [18] à propos de l’humour : « …Si par l’humour, le surmoi aspire à consoler le moi et à le préserver des souffrances, il ne contredit pas pour autant sa descendance de l’instance parentale ». Le sadisme du surmoi doit être recherché ailleurs. Freud le rappelle encore un peu plus tard, dans Abriss der Psychoanalyse /Abrégé de psychanalyse [21] il remarque : « …Le surmoi fait preuve souvent d’une sévérité qui dépasse celle des parents véritables ». La prohibition de l’inceste apparaît déjà dans le premier chapitre de Totem etTabou [11] ce livre se termine par « le retour infantile du totémisme » ; cependant l’année suivante, Freud introduit le narcissisme [12] Dans la troisième partie de ce texte, Freud esquisse une instance psychique particulière, pourveiller à ce que soit assurée la satisfaction narcissique : Le sentiment d’estime de soi qui sera approfondi dans Deuil et Mélancolie [13]. C’est après l’introduction de la deuxième topique, que le surmoi apparaît le plus clairement, dans sa relation au moi et au ça.

La question reste encore si complexe que Freud ne peut se passer de faire accompagner son texte de dessins comme il l’avait déjà fait pour illustrer son propos dans L’interprétation des rêves, et dans sa correspondance avec Fliess. Le premier de ces schémas apparaît dans, « Le moi et le ça« , [16]. Le sujet est figuré comme un ça psychique, inconnu et inconscient, à la surface duquel nous voyons le moi qui s’est développé à partir de l’un de ses pôles : Le système Perception conscience (Pc-Cs). Le moi n’enveloppe pas complètement le ça, et n’y parvient que dans la mesure où le système (Pc-Cs) constitue la périphérie du moi. Seul le refoulé est radicalement séparé du moi par la résistance du refoulement. Ailleurs, le moi fusionne en sa partie inférieureavec le ça. Une « calotte acoustique » est posée sur le moi, d’un seul côté, peut-être moins de travers, que tournée vers la voix des parents et celles des éducateurs, puis de la « nécessité » et du destin qui leur succéderont. On ne peut pas isoler l’une des instances de la deuxième topique, laquelle est un modèle de représentation de l’appareil psychique, mais est-ce à cause de la référence faite par Freud à l’anatomie du cerveau, que le surmoi n’est pas figuré ici, alors que l’article en donne la description ? C’est seulement dans la troisième des « Nouvelles conférences sur la psychanalyse, XXXI e Conférence, La décomposition de la personnalité psychique [20] que Freud fera figurer le surmoi sur un schéma placé à la fin de son texte. Nous y voyons que le surmoi plonge dans le ça, avec lequel nous dit Freud, « il est forcé en tant qu’héritier du complexe d’œdipe d’entretenir d’intimes relations. Notons aussi, que le surmoi est figuré du côté de la « calotte acoustique », qui elle, a disparu dans cette version plus tardive. La superposition de ces deux schémas rend compte de la double origine du surmoi indiquée par Freud : à partir des parents de la réalité extérieure, et à partir des images parentales activées par les dérivés du ça qui produisent ensemble le surmoi. Il convient ainsi de souligner la constance avec laquelle Freud attache la formation du surmoi à l’organisation génitale infantile, c’est-à-dire à la période phallique qu’il a décrite dans l’article sur l’organisation génitale infantile [17] alors que l’angoisse de castration se manifeste par la peur de perdre l’amour des parents. Ces remarques doivent être complétées dans deux directions.

En deçà de l’âge oedipien, la technique du jeu a permis à M. Klein [27]de décrire les racines précoces de la formation du surmoi. Ces racines précoces à cause de l’importance du sadisme à cette époque précoce du développement libidinal, sont pour une part responsables de la sévérité excessive du surmoi, qui limite l’autonomie.

Mais les remarques sur la fonction du surmoi doivent se tourner dans une autre direction également. Dans les Trois essais sur la théorie de lasexualité infantile, S. Freud [8] décrit l’importance des transformations pubertaires. Quelle est donc la part de ces transformations dans la formation du surmoi ? S. Freud, dans Mes vues sur le rôle de la sexualité dans l’étiologie des névroses, [10] indique qu’entre la névrose de l’adulte et la sexualité infantile, un fantasme de l’adolescence vient s’insérer. Si le surmoi fait preuve d’une sévérité qui dépasse celle des parents véritables, son excessive sévérité, notée par Freud, n’est pas à l’image d’un modèle réel, mais correspond à l’intensité de la lutte défensive menée contre les tentations du complexe d’Oedipe qui s’expriment dans ce fantasme de l’adolescence. Ce fantasme comporte toujours la mise en scène d’une rage destructrice dont Freud [14] a montré qu’elle est reprise par le surmoi qui exerce à l’encontre du moi l’agressivité que celui-ci aurait destiné à l’objet de rivalité oedipienne.

Retour a la clinique

Dans l’enfance, l’éducation et la primauté des défenses narcissiques vont mettre en place une première censure, régie par le oui et le non. L’organisation oedipienne qui suit l’évolution biphasique de la libido conduit à une deuxième censure régie par référence à un troisième terme, paradigme de la double différence, différence des sexes et différence des générations, et l’interdiction de l’inceste qui organise ces différences. Entre ces deux censures, l’entre-deux de la période de latence a contribué à l’esquisse d’un espace intermédiaire chaque fois que les investissements oedipiens de l’enfance ont rendu possible la formation de la névrose infantile. Freud a donné le modèle métapsychologique de cet espace psychique dans la première topique ICS-PCS-CS. A la suite, nous reconnaissons dans l’organisation oedipienne remaniée pendant les années de l’adolescence la forme la plus achevée de l’organisation de la personnalité autonome.

Après le travail d’E. Kestemberg, [26] et pour illustrer mon propos, le modèle de l’adolescence que j’ai proposé permet d’étudier pendant l’adolescence la formation du surmoi et faire apparaître à la fin de l’adolescence l’intégration de l’idéal du moi dans le surmoi, après l’investissement de nouveaux objets.

Névroses

Ici l’activité instinctuelle du ça produit l’élaboration infantile de la scène primitive, (♀♂), qui sera élaborée à nouveau pendant la période de régression narcissique de l’adolescence. Ce fantasme condense des identifications aux imagos parentales, (♀ ♂), et des investissements narcissiques (self), qui ont des aspects libidinaux et des aspects destructeurs [23]. Une évolution névrotique bien tempérée à l’issue de la désexualisation de l’idéal du moi/surmoi, assure la régulation de l’économie libidinale et des fonctions du moi. Le traitement des adolescents a permis de reconnaître chaque fois le chaos produit par les transformations pubertaires qui entraînent la régression libidinale au niveau sadique anal, alors que le moi est prématurément sollicité de lutter contre les pulsions oedipiennes intenses.

A l’opposé, les manifestations hystériques de l’adolescence surviennent plus tard, comme chez Dora [9] et chez les adolescentes citées par Freud, dans les Etudes surl’hystérie [7]. Au-delà du chaos, la régression narcissique normale de l’adolescence n’a pas permis le deuil de la perfection de l’enfance et la redécouverte d’un objet d’amour, comportant le renoncement à ce qui fut une partie de soi, pour reprendre ici, l’une des modalités du choix narcissique d’objet, indiquée par Freud.

Perversions

Dans la perversion, l’objet externe est méconnu du fait de son rôle de support et de garant de la continuité interne. Le clivage du moi d’avec la névrose infantile conduit au déni de la sexualité infantile. Le moi vit sous l’ombre de l’idéal du moi. Les pathologies narcissiques graves de l’adolescence peuvent se voir du début à la fin de cette période, mais l’impression clinique d’ensemble se retrouve dans les études épidémiologiques qui montrent, pour le suicide par exemple, une incidence plus fréquente à partir de quinze ans. Il semble que le chaos du début de l’adolescence a pour effet, non seulement d’intensifier l’opposition idéale du moi/surmoi, mais de dénaturer cette opposition par un envahissement par le chaos de la régression de la position narcissique centrale, lesquelles confèrent au surmoi, une cruauté qui ne permet plus au masochisme moral de protéger le sujet contre le recours au masochisme érogène.

Psychoses

Dans la psychose, dans un premier temps le monde extérieur est désinvesti, puis la projection des objets internes et du self produit la néo-réalité. Leself échoue dans son rôle de pare – excitation, l’organisation de la névrose infantile est brisée, tout devient scène primitive. Le sujet est alors hanté, vampirisé par l’animation de la scène primitive. Les manifestations psychotiques de l’adolescence nous rappellent les observations de Freud, à propos du narcissisme. Il y fait un rapprochement entre le délire de surveillance, avec hallucinations auditives, et la conscience morale, dont l’origine est ainsi mise en évidence au terme de la régression. De telles hallucinations apparaissent parfois très rapidement sous l’effet des transformations pubertaires, ce qui peut être rattaché à la désintrication des pulsions libidinales et agressives et la reprise des dernières par le moi et le surmoi, avec pour conséquence, un clivage du moi. La régression qui affecte les différentes instances peut préserver certains aspects de la relation du sujet au monde extérieur. Les tableaux cliniques sont très divers, selon les différents moments critiques des transformations pubertaires auxquels se heurtent adolescents et adolescentes. A partir de l’observation du réinvestissement des relations prégénitales, H. Rosenfeld [34] a contribué au progrès du traitement de tels patients brisés par leurs sentiments de culpabilité. Le rôle organisateur du complexe d’œdipe est alors déstructuré. Il y a des différences de pronostic considérable selon la part que prennent les fixations précoces et les régressions qui affectent les pulsions et le moi pour produire les manifestations psychotiques résultant du conflit surmoïque.

Références

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