Une introduction à la discussion par Philippe Robert
Philippe Robert a présenté ce texte à la réunion du 10 Mars 2021 de la commission SPP université.
Mon propos sera bref ; il a pour but d’aider à introduire nos échanges. Je me permettrai de soulever ainsi quelques questions qui n’ont pas pour prétention d‘être exhaustives.
1/ Ma première remarque porte sur l’appellation “enseignant-chercheur à l’Université“. Nous avons décidé pour notre réunion de réfléchir à la question de l’enseignement, puis penser la question de la recherche dans une prochaine rencontre. Mais bien entendu ces deux questions ne sont pas clivées. Elles le sont d’autant moins que l’enseignant doit tenir compte des recherches actuelles et de sa capacité à en éclairer les textes, y compris dits “fondateurs“. Faire pendant dix ans le même cours sur le petit Hans pourrait ainsi se discuter. C’est là me semble-t-il une vraie question, en l’occurrence celle des variants et des invariants, et celle de la réinterprétation constante des bases de la psychanalyse, et en l’occurrence des écrits freudiens.
Je me souviens avoir fait un cours en première année sur l’introduction à la psychologie clinique. C’était moi-même ma première année d’enseignement en cours magistral avec plusieurs centaines d’étudiants. Je savais que ma collègue qui faisait ce cours habituellement ne pouvait le faire cette année et le “reprendrait“ l’année suivante. Je me suis donc mis, si j’ose dire, dans ses marques. Il était question de l’Inconscient et du transfert, et je voyais des jeunes de 18 ans ayant (encore) un peu étudié Freud en classe de philo prendre des notes mot à mot sur ce que je leur disais. Peut-on parler de transmission de la psychanalyse dans ces conditions ?
2/La question de la “psychanalyse à l’Université“ n’est pas nouvelle, loin s’en faut. Deux sous-questions reviennent constamment : qu’est-ce qu’on enseigne et comment on enseigne ?
Est-ce qu’on enseigne la métapsychologie ou le cadre et le processus de la cure-type ? Là encore, on ne peut cliver les deux mais pourtant les distinguer.
Comment on enseigne est de mon point de vue une question encore plus centrale ; certains pensent qu’il est possible d’enseigner la psychanalyse sans être psychanalyste. Il y a là l’idée de transmettre des concepts et, j’y reviens, une métapsychologie pensée comme une théorie spéculative.
Mais développons encore cette question en écho aux quelques échanges que nous avons pu avoir lors de notre précédente réunion. Comment penser les mises en situation et/ou l’expérientiel (au passage il serait intéressant de préciser les termes).
Je crois avoir pris cet exemple : des étudiants en fin d’année pouvant dire à l’égard d’n intervenant : “C’était trop bien !“ Il ne s’agit pas d’une expression courante et galvaudée, mais plutôt du ressenti d’être dans l’incapacité à s’identifier. Le risque est celui de l’imitation dans une certaine forme de modélisation. Mais la question est loin d’être simple car nous pensons avec des modèles. Bien entendu cela met également en avant les modalités de transfert sur l’enseignant et les dimensions de narcissisme et de séduction. Cela conduit à une troisième question :
3/Parlons-nous d’enseignement ou de formation ? Dans le cadre de l’université de Psychologie, nous formons des psychologues qui deviendront ou non psychanalystes. Ce sont des cliniciens qui seront confrontés à la souffrance psychique, avec des sentiments d’impuissance, d’incompréhension, voire d’absence de sens. C’est en cela que l’on pourrait parler de psychologues d’inspiration psychanalytique, c’est-à-dire qui s’appuient sur leur subjectivité et leur propre monde interne. S’agit-il d’une épistémologie spécifique ?
Je pense que oui. Il y a une cohérence dans un positionnement médical. Un diagnostic est établi et le spécialiste (praticien) saura ce qu’il est bon de faire pour le patient. Ainsi, si des tests révèlent tel ou tel dysfonctionnement, un traitement adapté sera proposé.)
Il y a aussi la question d’un processus d’enseignement. La répartition par semestre et maintenant pas trimestre le rend difficile. On n’enseigne pas de la même façon sur un an que sur 6 ou 3 mois.
4/ Le dernier point enfin, et non des moindres ; je me situe ici en tant que professeur de Psychologie ; mais dans cette commission nous pouvons – comme nous l’avons dit et comme cela est rappelé sur le site – être entre collègues enseignant la médecine, les sciences sociales ou d’autres approches encore. Il est bien que l’on puisse ainsi débattre plus largement de la transmission de la psychanalyse même si d’un point de vue subjectif ma motivation première pour cet engagement à la SPP était bien la question de la formation des psychiatres et des psychologues.
Je me suis engagé dans la Sous-commission SPP université soutenu par une certaine inquiétude de voir les postes d’enseignants psychanalystes supprimés les uns après les autres.
Discussion du texte sur l’enseignement
L’exposé de Philippe Robert a été suivi, dans la réunion de la commission SPP université du 10 mars 2021, d’une discussion dont voici les points principaux.
On ne fait pas passer quelque chose de la psychanalyse du haut d’un amphi, encore que cela puisse arriver parfois. La méthode qui permet de la faire passer le mieux est celle qui consiste à doubler les enseignements magistraux par des TD en petits groupes.
Philippe a soulevé de nombreux points importants Reprenons en 1 ou 2 pour le moment Comment on enseigne la métapsychologie ? On enseigne toujours à l’articulation entre pratique et théorie. Par exemple à Lyon quand on fait un amphi d’introduction à la psychologie clinique en première année, on reprend en TD. On travaille trois types de textes où l’on retrouve les grands principes exposés en amphi : des textes de littérature, des cas cliniques, des textes de mythologie. La question de l’enseignant modèle est un vrai problème. On a fait un choix à Lyon 2 : celui qui enseigne une matière n’est pas en position d’évaluation, y compris pour le master de recherche. Le directeur de recherche ne fait pas partie du jury. Par rapport à cette question de modèle nous cherchons à développer l’esprit critique et à donner tout le contexte historique et d’évolution des idées. Nous reprenons les notions dans différents cours, au fil du temps et au fil des auteurs pour montrer comment il y a remodelage des paradigmes.
Une question est posée quant à se présenter ou pas aux étudiants en disant que nous sommes psychanalystes. Etant donné les attaques contre la psychanalyse à l’université fait-on courir un risque à la psychanalyse en général, ou à la possibilité de continuer un enseignement en référence à la psychanalyse si on le dit trop ouvertement, et à la SPP.
Il est important de ne pas avancer masquer et d’affirmer ce que l’on fait comme des pratiques psychanalytiques ; Il y a des petites graines que l’on peut déposer à de multiples endroits. Elles peuvent être reprises au moment de la confrontation à la pratique après le diplôme. Il y a aussi cette temporalité-là. Par exemple j’ai été sollicité pour faire un groupe de paroles par un groupe de médecins généralistes qui avait suivi l’enseignement à Créteil et ils venaient chercher un psychanalyste, justement parce qu’ils avaient été introduit à cela par l’enseignement qu’ils ont eu à Créteil. Il n’y a pas de raison d’avancer masquer.
Plusieurs points abordés par Philippe sont très parlants. Aborder la psychanalyse dans les premières années en psychologie est difficile. Ce n’est pas comme dans un séminaire où les participants sont plus mures et plus professionnalisés. Comment le faire ? Parfois on se retrouve à simplifier, au point parfois de presque perdre le sens de ce que l’on veut transmettre. Pour transmettre on peut partir des questions et des frustrations exprimées par les étudiants. On peut aussi introduire les concepts actualisés par les recherches de maintenant. On peut parler d’un texte de Freud ou d’un cas clinique de Freud et faire le parallèle avec un texte, avec quelque chose qui parle de la clinique actuelle. Dans les cours magistraux je donner des concepts psychanalytiques et dans les TD je les aborder à travers des documents ou des films qui se rapprochent le plus d’un matériel clinique relié aux concepts. Ce qui a pu être mis en place à Lyon 2 nécessite une vraie équipe dont on ne dispose pas toujours dans les universités. Et de ce fait aussi on ne sent pas de soutien pour la transmission en référence à la psychanalyse qu’on essaie de faire. C’est un soutien que l’on peut trouver ici à travers ce qui se fait pour la mise en place du site et les discussions dans les réunions de la commission SPP université. A la fac c’est beaucoup plus compliqué. Ce n’est pas juste une question de « persécution » de la psychanalyse à l’université, c’est parfois les psychanalystes qui posent problème et qui portent beaucoup de torts à la psychanalyse, par exemple en faisant des interprétations sauvages. Les étudiants exprimant des réactions face à la psychanalyse expriment en fait une réaction face à ces comportements hors cadre d’enseignants qui se présentent comme psychanalystes.
Il y a la partie pleine et la partie vide du verre. Tout ce que l’on n’a pas évoqué et tout ce que l’on a abordé. A Paris 5 nous avons des GAP, les groupes d’analyse de pratiques. C’est un endroit à l’université où l’enseignant analyste peut particulièrement être un support identificatoire. Dans ces GAP on est confronté à des étudiants immergés dans les complications et les vertus, les miracles et les insatisfactions de leurs stages. Nous leur proposons à cet endroit-là une réflexivité individuelle et groupale et personnellement c’est là que je me sens le plus près de mes engagements et de mes croyances psychanalytiques et que j’ai l’impression de les partager. On essaie là de partager avec eux notre dette à l’égard de l’après coup et de la réflexivité collective, appuyé sur les heures passées pour devenir psychanalyste dans l’après coup du récit en supervision ou ailleurs et la matrice que cela a constituée. Autre chose les stages. Il n’y a pas dans les stages de psycho le même agencement sérieux et pérenne que l’externat et l’internat en médecine et psychiatrie. Par contre il y a un potentiel traumato gène dans les études de médecine. Certains n’arrivent à mettre du sens sur ce qu’ils ont vécu dans leurs premières gardes que 5, 10 parfois 30 ans après dans leur analyse. Il faut dire avec beaucoup de modestie que nous essayons dans les études de psychologie, à Paris 5 en tous cas, d’accueillir ces premiers vécus des étudiants, de les prendre au sérieux et de communiquer que la narrativité qu’ils vont développer individuellement et groupalement est vraiment un message essentiellement psychanalytique.
Une discussion préalable sur l’enseignement
Rajoutons à la discussion ci-dessus sur l’enseignement des points qui ont émergé dans une première discussion lors de la précédente réunion de la sous-commission spp université du 25 novembre 2020.
Il faut penser à la fois à l’enseignement des fondements théoriques de la psychanalyse et à une transmission de la pratique. Il faut renforcer la sensibilisation à la psychanalyse dans des petits groupes de discussion par exemple, car les étudiants sont très influencés par d’autres approches plus accessibles immédiatement
Les internes sensibles à la clinique, au centre Alfred Binet, peuvent assister à des consultations filmées, supports de discussions. Il est Important de développer un langage partageable, commun pour sensibiliser les collègues en psychiatrie de liaison.
Il est possible de développer une pensée clinique et un contact des étudiants avec leur vécu interne dans des cours théoriques. Et puis dans notre posture passe quelque chose de la façon d’être de la psychanalyse.
Il y a eu des réflexions sur les dispositifs pédagogiques à Paris 5 : des jeux de rôle ont été utilisés en M1, avec analyse d’une expérience incarnée à partir d’une situation imaginée. Cela permet de faire toucher du doigt que l’expérience analytique dépasse le divan. On peut aussi développer des groupes de parole sur la relation soignant/soigné, comme cela a été fait dans l’enseignement en chirurgie dentaire.
À Lyon, un dispositif de formation par la pratique, pour les professionnels, le CFP, permet d’infiltrer les terrains. Les enseignements pratiques et théoriques sont peu différenciés. Il y a toujours un cas clinique en examen, des extraits de littérature à analyser en reprenant les concepts de psychanalyse… De même les thèses ne sont pas théoriques mais théorisent la pratique.
Proposer d’un côté un enseignement théorique qui irait du côté de la recherche académique, et de l’autre des dispositifs comme par exemple les journées de sensibilisation à la dynamique des groupes : associations libres à partir de supports vidéo, de documents qui rendent la psychanalyse accessible. La Psychanalyse est souvent perçue comme une virtuosité métapsychologique qui décourage les personnes intéressées.
Ces questions sont cruciales car elles posent la question de la transmission d’un état d’esprit qui favorise l’écoute. D’où l’importance d’intervenir dans nos enseignements en tant que psychanalyste. L’expérientiel doit être cadré car il peut y avoir des effets de séduction et d’exaltation.
Pour un grand nombre d’étudiants c’est surtout au moment où ils entament leurs stages en clinique qu’ils commencent à investir l’intérêt de l’écoute analytique et de la psychopathologie psychanalytique comme de son apport au soin et les différents dispositifs. De sa place l’enseignant psychanalyste peut orienter les étudiants vers les conférences d’introductions et autres manifestations de la SPP ou du GLPRA.
On enseigne en tant que psychologues, mais aussi en tant que psychanalystes membres d’une société. On peut parler aux étudiants du cursus, de la SPP. Mais beaucoup d’étudiants ont des parcours de vie et des moyens financiers très fragiles : on leur fait toucher du doigt certaines choses et on les incite à faire un travail sur eux alors qu’ils n’ont pas les moyens. Comment recréer des BAPU ? Des dispositifs pour les étudiants ? Les jeunes psychologues sont aussi souvent abandonnés dans des pratiques cliniques difficiles, il faut pouvoir les recevoir pour pas trop cher. Mais les cures de psychologues ne peuvent faire partie du cursus ce qui est un frein pour les AEF.
Les étudiants ne connaissent pas les différences entre les psychanalystes qui appartiennent à une société et ceux qui ne sont nulle part : est-ce qu’il suffit de se dire psychanalyste pour l’être ? Quelles spécificités de notre façon d’être psychanalyste ?
Il a été décidé au niveau institutionnel de demander à tous les psychanalystes de la SPP de prendre au moins un psychologue sur le divan, à bas prix, car le salaire des psychologues en institution est bas.
De plus en plus de psychologues parfois tout de suite après avoir été diplômés ouvrent des cabinets de psychothérapies sans avoir fait d’analyse ni de travail sur eux. Ils ont besoin de supervision et en demandent. La supervision n’est pas facile. Il va s’agir pour beaucoup de les amener à la compréhension de la nécessité de faire un travail sur soi. Les lacaniens sont présents sur ce terrain, plus que nous.
On peut faire intervenir des membres de la SPP auprès de nos étudiants, en TER par exemple, pour un cours ou des mini-conférences, peut permettre d’emmener la psychanalyse à la fac.
Zoom favorise les interventions extérieures, par toujours évidentes en contexte normal. L’essentiel est de démystifier l’image que les étudiants ont de la psychanalyse et de la SPP.
Il y a encore beaucoup à dire sur l’enseignement. On pourra y revenir. L’important c’est d’amorcer les échanges que nous pouvons avoir entre nous et que constituions un espace pour cela à travers le site et dans les réunions de SPP université.
Vous pouvez continuer cette discussion en envoyant vos commentaires à Martine Sandor-Buthaud m.sandor@free.fr et/ou Philippe Robert aprobert@wanadoo.fr et/ou à sppuniversité@spp-asso.fr