Texte rédigé par le Pr Bernard Brusset
Freud a donné de la psychanalyse la définition suivante :
« Psychanalyse est le nom : 1) d’un procédé pour l’investigation de processus animiques, qui sont à peine accessibles autrement ; 2) d’une méthode de traitement des troubles névrotiques, qui se fonde sur cette investigation ; 3) d’une série de vues psychologiques, acquises par cette voie, qui croissent progressivement pour se rejoindre en discipline scientifique nouvelle ». (paru en 1923 in : « Encyclopédie de la sexologie humaine en tant que science de la nature et de la culture ») et « Psychanalyse » et « théorie de la libido », OCF.P, XVI, Paris, PUF, 1991, p. 183).
Quatre dimensions sont à envisager : la méthode d’investigation et la pensée associative, le traitement et la névrose de transfert, le savoir sur la vie psychique comme métapsychologie, et la participation à la culture comme « psychanalyse dite appliquée ».
1° La méthode d’investigation
La règle fondamentale de dire tout ce qui vient à l’esprit en séance a pour contrepartie la stricte confidentialité à laquelle s’engage l’analyste. La centration sur la relation de parole et l’exclusion du biologique et du social donne toute la place au fonctionnement psychique en séance. Le but est d’instaurer la pensée associative dans le cadre analytique car elle facilite l’émergence des significations inconscientes. Le cadre, comporte le contrat avec l’analyste (dont le paiement et les horaires des séances), et le dispositif destiné à favoriser l’émergence des idées, des images et des affects en rapport avec l’activité psychique inconsciente de sorte qu’elle soit analysable. La « cure-type » comme modèle fondamental de référence comporte trois ou quatre séances par semaine de trois quarts d’heure, en position allongée, sans voir l’analyste. La durée de la cure ne peut pas être prévue : tout dépend du processus, c’est-à-dire de ce qui se passe dans la relation de transfert et son interprétation pour la prise de conscience des déterminismes inconscients, et de ses effets d’accroissement de degré de liberté et d’enrichissement de l’activité psychique.
Par rapport à cette règle fondamentale, prennent sens les notions de résistance, de régression, de passages à l’acte, et aussi, du côté de l’analyste, celle d’écoute flottante (en égal suspens), de réceptivité empathique, d’intuition, de constructions des inférences et des contenus latents du discours de l’analysant, de ses récits de rêves, de ses lapsus, de ses actes manqués et de ses symptômes, dans le jeu contradictoire du refoulement et du retour du refoulé, des défenses et de l’insight.
2° Le traitement et la névrose de transfert
En tant que traitement, la psychanalyse est une forme de psychothérapie, de traitement du psychisme de l’un par le psychisme de l’autre. Elle est en rupture avec l’hypnose, la catharsis, la suggestion et le conseil, qui sont au fondement d’autres méthodes actuellement en expansion continue, et souvent d’effets partiels et provisoires.
Il ne s’agit pas, en analyse, de réduire les symptômes, mais de traiter leurs causes : non pas de les faire taire mais de les interroger : trouver leur sens, leur origine, leur histoire, leurs significations. Dans les névroses, ils sont compris comme formations de compromis ou de substitution, face aux conflits intrapsychiques inconscients. Typiques sont les « conflits internes » de l’activité et de la passivité, de l’amour et de la haine, de la bisexualité. Ils sont parties prenantes de la structuration œdipienne des désirs et des identifications dans la double différence des sexes et des générations, et dans la singularité de l’histoire personnelle de la sexualité infantile. La psychanalyse donne un sens large et spécifique à la sexualité comme psychosexualité. La pratique de l’interprétation a des conditions de possibilité, hors desquelles elle est la dangereuse « psychanalyse sauvage » : outre son opportunité, l’association des idées dans le cadre spécifique et les phénomènes de transfert qui actualisent l’inconscient refoulé.
Le transfert est défini par l’extériorisation des conflits intrapsychiques en rapport avec l’inconscient pulsionnel dans la relation à l’analyste, comme actualisation après-coup de l’Infantile. D’où le schéma à trois étages de la transposition de la névrose de l’adulte en névrose de transfert analysable en termes de névrose infantile. L’actualisation transférentielle des conflits liés à la sexualité infantile et aux relations d’objet implique diversement l’idéal du moi et le surmoi, la reviviscence de la séduction originaire et des fantasmes dits originaires. Il appartient au patient d’utiliser le cadre et l’écoute interprétative de son analyste pour la perlaboration des manifestations de l’inconscient pulsionnel. Freud parlait du « médecin » et du « malade », on a parlé ensuite du « patient », de « l’analysé », et, plus récemment, de « l’analysant » pour souligner le fait qu’il ne saurait être passif dans la soumission aux interprétations et aux constructions de l’analyste. Le but de la psychanalyse est, selon Freud, de rendre l’inconscient conscient, de pouvoir aimer et de travailler. On peut dire aussi de conquérir un plus grand degré de liberté par rapport aux déterminismes inconscients dans les relations avec soi-même et avec les autres. Et, par le processus de subjectivation, d’accroître la connaissance de soi en vérité, et les moyens de réalisation de soi, de sublimation et de créativité.
3° La métapsychologie et le savoir psychanalytique
Il ne s’agit pas de l’application d’un savoir, mais de sa ré-invention dans la singularité de chaque cas : l’écart théorico-pratique situe, par rapport à la pratique, la place de la métapsychologie dans le triple plan qui la définit : la topique des lieux psychiques (conscient, préconscient et inconscient) et celle des instances de la personnalité psychique (le moi, le ça et le surmoi), la dynamique des conflits intrapsychiques et du travail psychique, et l’économie des quantités d’investissement pulsionnel. Triple point de vue auquel il faut ajouter le point de vue génétique ou historique. La théorisation doit demeurer ouverte, loin de tout système hégémonique, dogmatique ou idéologique.
Dans ses rapports avec la psychiatrie et la psychologie clinique, outre la valorisation de l’écoute de la parole du patient, la psychanalyse donne fondement à une psychopathologie générale qui a des incidences nosographiques, par exemple en distinguant des névroses et les organisations non-névrotiques. Le travail psychanalytique requiert, dans ces cas-là, d’autres cadres et d’autres paramètres théoriques comme l’illustrent la problématique des états limites, les pathologies narcissiques ou la psychosomatique psychanalytique : d’où, par exemple, les notions de déni, de clivage, de projection et de forclusion. Il en est de même en matière de psychanalyse des enfants et des adolescents qui a donné lieu à de grands développements dans les pratiques et dans les théorisations (Cf. les autres textes à ce sujet sur le Site).
L’évolution culturelle dans les pays occidentaux favorise des modes d’organisation psychique assez différents de la névrose, de sorte que la problématique dépressive, narcissique, ou dite limite, est au premier plan. Mais, dès la clinique, l’importance de la dimension dépressive, addictive, projective, celle des passages à l’acte et des pathologies somatiques ou, encore, les hyperadaptations apparentes, ne conduisent pas à renoncer à la psychanalyse, mais seulement à substituer à la cure-type, des aménagements du cadre et de la pratique (par exemple en face à face, une ou deux fois par semaine). Il peut s’agir d’un premier temps nécessaire avant l’instauration du cadre dit classique. Il en est ainsi dans les psychothérapies psychanalytiques d’enfants, d’adolescents, celle des couples, des familles et des groupes, et aussi dans des techniques de relaxation ou de psychodrame. La pluralité des pratiques va de pair avec la pluralité des développements théoriques de la psychanalyse à l’échelle internationale.
Le maintien du cap psychanalytique dépend des processus en jeu qui font du patient un analysant, mais aussi de la formation et de l’expérience de l’analyste, de sa capacité d’analyser le contre-transfert qu’induit en lui le transfert de l’analysant. Le fait que le titre d’analyste ne soit pas protégé a entraîné la multiplication de soi-disant psychanalystes, ne s’autorisant que d’eux-mêmes et, par exemple, muets et adeptes des séances brèves.
4° La psychanalyse et la culture
Freud a toujours comparé le normal et le pathologique et produit des contributions majeures à la psychanalyse des phénomènes collectifs, dont les idéologies totalitaires : Psychologie des masses et analyse du Moi (1921), la religion : « L’avenir d’une illusion (1927), Le malaise dans la culture (1930) et « Pourquoi la guerre ? » (1933). Et, aussi dans de nombreux domaines de la culture. De nombreux psychanalystes ont suivi cet exemple.
On a parlé de psychanalyse « appliquée » puisque les interprétations ne sont pas fondées directement sur la méthode et son épistémologie spécifique. Par la référence à l’inconscient pulsionnel et la mise en cause des évidences de la conscience, la psychanalyse continue à susciter dans la culture intérêts et contestations. Avec le recul de l’expérience, il est apparu que, hors du champ qu’instaure sa méthode, il risque de ne s’agir que d’extrapolations, de codifications plus ou moins artificielles ou de dérives philosophiques, littéraires, idéologiques ou d’autres formes de réductionnisme que celle du scientisme neurobiologique. Comme Freud l’a plusieurs fois affirmé, la psychanalyse en tant que discipline scientifique fondée sur une méthode spécifique, ne peut avoir d’autres visions du monde que celle de la science. Or, depuis lors, celle-ci s’est beaucoup diversifiée et la psychanalyse engage nécessairement la question des valeurs.
Dès le début (1897), les recherches de Freud sur la conflictualité intrapsychique se sont référées à la littérature (Goethe, Shakespeare, Dostoïevski, entre autres), et aux grands mythes culturels (Œdipe, Moïse, Hamlet), et, aussi aux contes fantastiques : par exemple, « L’Homme de sable » de E.T.A. Hoffmann (in : L’inquiétant (L’inquiétante étrangeté) (1919).
Une autre dimension, venue de la théorie de la sublimation, interroge les rapports de l’artiste et de l’œuvre (Léonard de Vinci, 1910). En 1912, la Revue Imago, créée avec Rank et Sachs, a pour objet l’interprétation psychanalytique des œuvres d’Art. En 1907, Freud ayant analysé le roman de Jensen « La Gradiva », avait soumis ses hypothèses à l’auteur. Dès 1910, en analysant le Moïse de Michel-Ange, il avait illustré le rôle de l’inconscient dans l’effet de la statue sur celui qui l’admire. D’où la notion de projection non défensive qui a donné fondement aux épreuves projectives dans l’investigation psychologique de la personnalité (Rorschach et TAT). De la même façon, le lecteur peut être l’analysé du texte qu’il lit avec intérêt.
En 1913 (L’intérêt de la psychanalyse) et en 1926, Freud a souligné l’apport possible de la psychanalyse aux sciences : outre la psychologie, la pédagogie, la linguistique, l’histoire des civilisations, la morale, les religions, l’anthropologie, et, d’abord la biologie : une question qui reviendra avec les tentatives contemporaines de « neuro-psychanalyse ».
Les articulations conjecturales avec les neurosciences demeurent objet d’interrogation, notamment au sujet de la clinique psychosomatique, des addictions et de l’action des psychotropes. Le développement récent de l’imagerie cérébrale fonctionnelle et des théories de « l’inconscient cognitif » et de « l’inconscient émotionnel » pose la question de leur rapport avec l’inconscient pulsionnel des psychanalystes et ouvre le champ des sciences de la complexité.
Les nombreux débats au sujet des interrelations de la psychanalyse et des sciences ont conduit à prendre la mesure des différences épistémologiques impliquées par les différences de méthodes, mais aussi de l’intérêt des transpositions hypothétiques de modèles théoriques d’un domaine à un autre à des fins de recherche et pour garder la théorie vivante.
Il n’est pas possible ici de citer les très nombreuses publications historiques et contemporaines de psychanalyse dite « appliquée ». Parmi les contributions de nombreux membres de la SPP, les multiples travaux de André Green sont fort illustratifs de la méthode et de la théorie qu’il en a donnée.