DATE
LIEU
76, AVENUE EDISON, 75013 PARIS
Conférence de Christian Delourmel
De la médecine à la psychosomatique :
questions cliniques, théoriques et épistémologiques
Association de Santé Mentale dans le 13e ar. de Paris
76 avenue Edison – 75013 Paris
vendredi 11 octobre 2019, 20h30
entrée libre
Présentation
Pour introduire mon propos, je rapporterai brièvement trois cas de malades, porteurs de cancers, que j’avais suivis à l’époque de ma pratique de la médecine générale. Ces cas, comme beaucoup d’autres que j’avais suivis pendant les treize ans où j’avais exercé la médecine générale de campagne avant d’engager ma formation psychiatrique puis psychanalytique et psychosomaticienne, soulèvent des questions du fait des modalités évolutives de leur maladie. Modalités surprenantes, qui ne trouvaient pas, en tout cas pour moi, une intelligibilité satisfaisante à la lumière de la médecine classique. Ces questions, qui m’avaient conduit à l’intuition, puis à la conviction que la vie relationnelle et psycho-affective du sujet était impliquée dans la survenue de ces maladies et dans leurs modalités évolutives, ouvrent sur la problématique, fort complexe, des rapports entre le psychisme et le soma.
Pour introduire à cette problématique, je vais dans la première partie de ma conférence, centrer mon propos sur le phénomène placebo/nocebo. Ce phénomène constitue en effet « une théorie intermédiaire » entre la médecine et la psychosomatique, dans la mesure où son étude ouvre sur la théorie psychanalytique du narcissisme et sur la deuxième théorie des pulsions, comme le montrent les deux cas cliniques médicaux dont je vais parler avant l’approche théorique de ce phénomène. Le premier cas est celui de la guérison, spontanée et durable, d’un malade atteint d’un sarcome du bassin, survenue brusquement au cours d’un pélérinage à Lourdes. Selon le professeur Salmon qui avait rédigé l’observation de ce cas, « le point crucial de la guérison de ce sarcome osseux est l’évolution en deux temps de l’état biologique du malade- premier temps, disparition du sarcome, second temps, recalcification ». Comment comprendre l’impact d’une relation d’objet narcissique-la foule des pèlerins unie par un lien libidinal cimenté par une croyance et une idéalisation communes-sur des processus biologiques ? C’est la même question qui se pose à propos de la guérison (en 1945), d’une forme grave de tuberculose pulmonaire par des injections de sérum physiologique. Le docteur Marcoux, ancien chef de service en pneumologie à l’hôpital de Laval, qui rapporte les circonstances particulières de cette décision de traitement d’une maladie tuberculeuse grave par un placébo, évoque la conjoncture collective de foi et d’espoir qui habitait les malades tuberculeux en 1945 suite à la découverte récente de la streptomycine, mais aussi de sa rareté- Il fallait à l’époque la faire venir des USA.
Le passage d’un point de vue médical à point de vue psychosomatique, via des théories intermédiaires comme le phénomène placebo/nocebo, exige un long parcours théorique entre médecine et psychosomatique, en passant par la psychanalyse. C’est un parcours semé d’« obstacles épistémologiques » dont la complexité et les difficultés reflètent la complexité et les aléas dans les conceptions des rapports psyché-soma. Ce parcours, dont l’aboutissement doit intégrer les acquis, irréversibles, de la médecine occidentale contemporaine, s’il veut respecter le haut niveau de complexité par quoi se constitue le phénomène psychosomatique, exige la reconnaissance et le respect tant au niveau théorique que pratique, de l’hétérogénéité et de la spécificité de chacun de ces champs de la connaissance de la vie. Pour identifier quelques-unes des sources individuelles et idéologiques de ces obstacles épistémologiques, j’évoquerai dans cette deuxième partie de ma conférence, quelques points de l’histoire de la pensée médicale occidentale au XIXème siècle, en me référant principalement à un livre intitulé « Histoire de la médecine », qui est en fait une remarquable étude de la pensée médicale faite par un philosophe et médecin allemand, Charles Lichtenthaeler.
Christian Delourmel