C’est avec beaucoup d’émotion et de tristesse que la Société psychanalytique de Paris annonce le décès de Jean-Luc Donnet survenu le 19 octobre 2022. Il avait 90 ans.
Hommage à Jean-Luc Donnet
Jean-Luc Donnet fut un membre éminent de notre société.
Psychiatre de formation avec internat et clinicat à Ste Anne dans le service de Jean Delay, il bénéficie dans cet hôpital du formidable mouvement d’idées qui anime le milieu psychiatrique dans les années 50. Organo-dynamique, phénoménologie existentielle, socio-psychanalyse d’inspiration marxiste et psychanalyse trouvent alors avec l’Evolution psychiatrique et sous l’impulsion d’Henri Ey un cadre pour débattre. Il choisit la psychanalyse. Ses travaux ultérieurs sur la consultation psychanalytique portent la trace de cette période pré-psychanalytique, en particulier l’influence de Pierre Mâle dont il avait suivi les consultations publiques et auquel il faisait souvent référence. Sa défense de la consultation psychanalytique témoigne de son option assumée de préserver une mise en tension dynamique entre position psychanalytique « pure » et prise en compte de la réalité.
La période psychanalytique commence en 1960 avec sa première analyse. C’est avec Serge Viderman qu’il l’engage. Il est affilié à la SPP en 1967, membre adhérent en 1973 et titulaire formateur en 1975. Son lien à la société est important, il participe souvent à son bureau et à son CA. Les événements de 1968 qui ébranlent la SPP le conduisent à rédiger le rapport d’une commission de travail sur l’institution psychanalytique et la formation. Ce texte est publié sous le titre « Cursus et hiérarchie dans la société d’analyse » et Lacan lui écrit à son propos une lettre à la fois élogieuse et amère. Il a suivi l’enseignement de celui-ci jusqu’en 1964 et comme il le disait, Lacan est l’auteur qu’il a le plus lu après Freud et Winnicott. Mais il se sépare progressivement de son influence et ses travaux sur le cadre, la durée de la séance, la règle fondamentale, l’interprétation du transfert, la formation et l’institution, portent tous la marque d’une reprise critique serrée de la pensée lacanienne.
Winnicott l’aide à penser le conflit dans son versant théorique entre Lacan et la SPP. En effet, les concepts de transitionnalité et d’objet trouvé/créé lui permettent d’articuler réel , symbolique et imaginaire.
Mais trois auteurs et trois textes jouent un rôle déterminant dans son évolution. Il s’agit de Serge Viderman avec La construction de l’espace analytique, de Conrad Stein avec La double rencontre et d’André Geen avec son travail sur l’affect publié dans Le discours vivant. Le dialogue avec Green engagé à Ste Anne se poursuivra très longtemps. Ils publieront ensemble, L’enfant de ça.
Ces influences et l’ouverture sur l’international le conduisent à élaborer une œuvre très riche composée de plus d’une centaine d’articles et de 6 livres dont le dernier, Dire ce qui vient – Association libre et transfert, date de 2016. Presque tous ses travaux qui vont de la suggestion au surmoi culturel ont pour objet la question de la nature et de la légitimité de l’action thérapeutique produite par la situation analytique. Ils ont trois piliers, la pensée freudienne qu’il questionne pour ainsi dire en continu, la situation analytique et ses sites dérivés, enfin les échanges entre analystes.
Jean-Luc Donnet a en effet beaucoup puisé dans ces échanges en se confrontant avec agilité, rigueur et sans complaisance à l’épreuve critique. Quant à la clinique, il a enrichi sa pratique personnelle de toute son expérience des institutions soignantes en particulier celle acquise à Etienne Marcel qu’il dirigea jusqu’en 1983 et surtout au CCTP Jean Favreau dont il fut le médecin directeur de 1989 à 1999.
Au CCTP, il a su transmettre son goût du travail et de la recherche en favorisant l’élaboration collective d’une méthode originale de confrontation et d’échange à propos des difficultés rencontrées dans la situation analytique ou ses sites dérivés.
Et, au-delà du Centre, nous nous sommes tous progressivement appropriés certaines des formules condensées dont il avait le secret comme par exemple: écart théorico-pratique, opération méta, site analytique, situation analysante, incident de cadre, don d’absence.
Alors bien sûr son absence laisse un grand vide, mais elle laisse aussi un riche héritage que nous continuerons de partager. Nous adressons un hommage reconnaissant au psychanalyste marin, amoureux de la mer et du vent, qui nous accompagnera encore dans cette « traversée du site analytique » dont l’exploration est loin d’être terminée.
Jean-Louis Baldacci