Roger Perron
Ce texte est à paraître sous une forme plus développée, dans le numéro intitulé: Recherche et psychanalyse, Dans les : Monographies de la Revue Française de Psychanalyse, sous la direction de M. Emmanuelli et R. Perron. Nous remercions l’auteur et les directeurs de ce numéro de nous avoir permis cette publication.
(Abrégé et adapté d’un chapitre de : Recherche et psychanalyse, sous la direction de M. Emmanuelli et R. Perron, Monographies de la Revue Française de Psychanalyse, Paris, Puf, à paraître).
Depuis quelques années, cet impératif va croissant : « psychanalystes, faites de la recherche (scientifique) ou périssez ! ».
Que nous demande-t-on ? Il nous faut chercher quoi, comment, pour être « scientifiques » ? Qu’entend-on par « recherche (scientifique) » qui puisse porter de façon valide sur ce qui centre notre pratique et la réflexion qu’elle appelle, c’est-à-dire le fonctionnement du psychisme ? A quel modèle de démarche scientifique conviendrait-il de se référer ?
La pensée psychanalytique a, de fait, utilisé plusieurs de ces modèles tout au long de son développement : le modèle de la clinique médicale, bien sûr, mais aussi le modèle taxinomique (celui des sciences naturelles et de la nosographie), le modèle de la biologie, ou encore celui des sciences historiques, des modèles venus de la linguistique, etc. Cependant, dans cette invite à « faire de la science », c’est le modèle des sciences exactes, « dures », qui, plus ou moins explicitement, est en général invoqué ; en fait le modèle de ce qui a été longtemps la démarche expérimentale dans la science reine, la physico-chimie telle qu’elle s’est construite au 19ème siècle, jusqu’à ce que la physique quantique remette ce modèle en question. J’examinerai ici les principaux critères de scientificité invoqués sous ce modèle, pour ensuite mettre en évidence ce qui constitue à mes yeux les principales difficultés épistémologiques que ne peut éviter d’affronter la recherche en psychanalyse.
1. Les critères de scientificité dans le modèle des sciences exactes
J’envisagerai ici les trois critères les plus souvent cités : la quantification, la répétabilité de l’expérience (ce qui est lié à la prévision du résultat), et la réfutabilité de l’hypothèse.
a) La quantification et les illusions de la mesure
Un certain nombre de remarques s’imposent pour tempérer les mystifications que risque d’entraîner le prestige des mathématiques.
1- Il ne faut pas se prendre aux pièges de l’opposition du quantitatif et du qualitatif : la variation de quantité suppose toujours une « substance » qualitativement définie, qui peut présenter certes des variétés (dites, précisément « qualitatives ») mais qui est considérée comme homogène pour la détermination de sa quantité. Peser un kg de légumes suppose qu’il s’agit d’une classe unique d’objets, dits « légumes », considérés comme tous identiques au regard de cette opération. Il en va de même si on les compte : tous les objets dénombrés sont supposés identiques dans le cadre de cette opération de comptage. Toute opération de mesure, fût-elle aussi élémentaire qu’un comptage, suppose la réduction à l’identique des êtres mesurés. Ce n’est pas du tout ainsi, bien sûr, que le psychanalyste entend le « quantitatif »… Ainsi, lorsqu’on l’invite à « mesurer » la dépression au moyen d’une échelle qui s’en prétend capable, on lui demande de considérer que tous les « déprimés » sont identiques au regard de cette opération même… ce que bien sûr aucun clinicien un peu avisé ne saurait accepter.
– Il importe de se défier de l’opération de mesure elle-même, et de se souvenir qu’il existe quatre niveaux de mesure :
- le niveau nominal, où les objets en cause sont distribués en deux ou plusieurs classes exclusives, ce qui permet de compter le nombre d’objets dans chacune de ces classes.
- le niveau ordinal : en ce cas, les objets en cause sont ordonnés en fonction d’une certaine caractéristique : par exemple on peut ordonner les élèves d’une classe par tailles croissantes, et vérifier que les garçons viennent plutôt en début de file…
- le niveau des échelles à intervalles. On ajoute ici une clause supplémentaire en stipulant que les écarts entre éléments ordonnés sont égaux. C’est, par exemple, le cas de l’échelle centigrade des températures.
- Le niveau des échelles absolues. On ajoute une seconde clause supplémentaire, capitale : le 0 marque l’absence de la quantité mesurée. Zéro kg de pommes de terre, cela signifie pas de pommes de terre du tout. Toutes les opérations arithmétiques deviennent possibles, sur la base d’une unité de mesure où 0 indique l’absence de quantité et dont tous les intervalles sont égaux et divisibles.
À chacun de ces quatre niveaux on peut user du chiffre, et à chaque niveau sont possibles des contrôles statistiques si cela semble utile.
Ce rappel est utile pour se garder des illusions de la mesure ; en particulier pour montrer que les échelles d’anxiété, de dépression, etc., comme la quasi-totalité des « instruments de mesure » élaborés et utilisés en psychologie clinique, en psycho-pathologie, en psychiatrie, fonctionnent en fait aux deux niveaux inférieurs de cette gradation en quatre niveaux. On y fait des comptages, au mieux des ordinations. On ne « mesure » pas l’anxiété comme on pèse les pommes de terre : on peut juste déclarer que, sur la foi de tels indices, Mr X est « plus anxieux » que Mr Y, « moins anxieux » que Mr Z. …
2 – La plupart des travaux qui s’offrent en modèles pour la recherche en psychanalyse s’inspirent de démarches techniques utilisées par les recherches en épidémiologie, en sociologie, en dynamique des populations, en psychologie (expérimentale, différentielle, comparative de groupes, etc.), etc., et plus prosaïquement d’études visant à contrôler l’efficacité de médicaments. Dans tous ces cas, le calcul est d’ordre statistique : il porte sur des ensembles d’observations et vise à déterminer des probabilités. On est là bien loin d’une opération de mesure au sens banal.
3 – Il faut enfin rappeler que bien des disciplines qui conduisent d’authentiques travaux de recherche n’utilisent pas le nombre, ou ne l’utilisent que dans le cadre de techniques annexes : c’est le cas de la géologie, de la zoologie, de la botanique, de la paléontologie, etc. L’archéologue peut certes trouver avantage à utiliser la datation au carbone 14, et ceci suppose l’usage du nombre ; mais il est bien évident que ce n’est pour lui qu’une commodité annexe, et que sa démarche scientifique se situe sur un autre plan.
b) La répétabilité de l’observation
Les sciences exactes en ont fait un principe fondamental : toute observation prétendant à du nouveau doit être répétable par tout observateur qualifié. S’il s’agit de constats expérimentaux, cela suppose que la procédure de production du phénomène soit décrite avec assez de précision pour que des collègues puissent la reproduire exactement. S’il s’agit d’une observation non provoquée, les circonstances de son recueil doivent elles aussi être décrites avec assez d’exactitude pour qu’un autre observateur se place dans les mêmes conditions.
Tel est le schéma idéal. En fait bien des démarches qui méritent d’être considérées comme scientifiques ne le respectent pas. L’égyptologue qui ouvre une tombe jusque là inconnue n’a pas besoin d’en trouver une seconde toute pareille pour valider sa découverte… Le paléontologue qui inscrit un nouveau chaînon dans la lignée ancienne des hominidés peut s’autoriser à le faire par la découverte d’un fragment de crâne ou de mandibule ; sans doute, il aimera trouver confirmation par la trouvaille d’autres fragments, mais justement il préférera probablement que ce ne soient pas les mêmes (pas les mêmes parties du squelette). Etc. … Ce qui compte au premier chef, c’est évidemment la structuration de l’événement par la pensée ; sans doute a-t-on besoin de confirmation par de nouvelles observations, mais bien souvent il n’est nullement nécessaire qu’il s’agisse d’événements identiques : il suffit qu’ils prennent place de façon cohérente dans l’ensemble.
Ceci devrait conforter la position du psychanalyste si on lui reproche de n’avoir affaire qu’à des événements « non répétables ». Certes, ils ne le sont pas. Nous savons bien que même si un évènement se répète dans la vie d’un patient, même si, au niveau des faits psychiques, un fantasme, une représentation, un processus de défense, etc., sont récurrents, c’est à chaque fois autre chose parce que cela s’inscrit dans une histoire constamment retravaillée par les effets d’après-coup. Cependant, l’analyste peut à bon droit soutenir que, sous cette apparente diversité, il s’agit bien, pour une part au moins, de répétition à l’identique : il y a répétition d’un conflit, d’un fantasme, d’un mode de défense, etc., sous des expressions différentes. On sait depuis Freud à quel point la compulsion de répétition peut peser sur tel ou tel fonctionnement psychique ; et tout psychanalyste sait que bien souvent un consultant lui arrive avec se sentiment que « quelque chose » se répète fâcheusement dans sa vie.
Cette question de la répétabilité de l’observation est liée aux problèmes relatifs à la causalité et à la prédiction du phénomène. On déclare trop facilement qu’il n’y a de progrès scientifique que concernant des phénomènes prédictibles. C’est ignorer ce qu’ont introduit ces dernières décennies les théories du chaos ; et c’est faire bon marché de toutes les démarches authentiquement scientifiques qui ne prétendent pas prédire, qui se contentent – c’est déjà beaucoup- de rendre compte a posteriori. Ainsi, on peut assez bien comprendre l’apparition du rhinoceros, on ne pouvait certainement pas la prévoir.
c) La réfutabilité
Préférons ce terme barbare (mais admis par le Grand Robert) à l’horrible anglicisme « falsifiabilité », qui l’est encore plus. Il s’agit là d’un argument très souvent brandi par les opposants à la psychanalyse : « vos hypothèses sont formulées de telle façon qu’on ne peut pas démontrer qu’elles sont fausses ([1]), or Popper a bien dit qu’une hypothèse n’est scientifique que si elle peut être démentie par l’expérience ; donc vous n’êtes pas scientifique ». Argument répété ad nauseam. Que vaut-il ?
Il faut tout d’abord rappeler que Popper, qui a lui même sensiblement nuancé cette règle (dans son Plaidoyer pour l’indéterminisme , 1984), est loin d’avoir convaincu tout le monde (on pense ici plus particulièrement aux positions de Lakatos, Kuhn, Feyerabend, etc.).
Il faut ici tenir compte de la nécessaire distinction entre hypothèse générale et hypothèse « locale ». Il est certainement utile, dans le cadre d’une démarche expérimentale, de formuler une hypothèse locale (c’est-à-dire portant, dans des conditions bien précisées, sur un enchaînement phénoménal lui-même décrit en termes précis) de façon à ce que le réel puisse répondre par vrai ou faux. C’est à ce niveau des hypothèses locales que la règle de réfutabilité de Popper est utile, dans le cadre d’une démarche expérimentale au sens strict. Mais elle ne peut pas s’appliquer lorsqu’il s’agit d’hypothèses générales, surtout au niveau où elles définissent en faisceau une théorie scientifique. Personne ne demande à la théorie newtonienne d’être formulée en des termes tels qu’elle puisse être détruite par une observation nouvelle (la cosmologie einsteinienne la dépasse en l’englobant, mais ne l’invalide pas). Personne ne demande cela à une théorie néo-darwinienne de l’évolution (il y a bien des « créationnistes » qui prétendent la réfuter, mais c’est avec une argumentation étrangère au champ scientifique). S’agissant d’une théorie générale, cela n’a pas de sens de déclarer qu’elle est « vraie » ou « fausse » : ce qui est en cause, ce qui peut et doit être discuté, c’est son utilité. L’argumentation porte alors sur sa capacité à intégrer des faits de façon cohérente : plus elle intègre de faits, et plus elle y parvient de façon cohérente, meilleure elle est ([2]). Si deux théories sont en balance, c’est évidemment toujours en ces termes que les scientifiques en discutent.
La psychanalyse est dans cette position : c’est une théorie générale. Il est vain de prétendre la « réfuter », et tout aussi vain de vouloir la « prouver ». On peut simplement montrer qu’elle est utile. En présence du sceptique, le meilleur parti que peut prendre l’analyste est de répondre : « vous avez parfaitement le droit de vous passer de l’hypothèse d’un inconscient dynamique (ou de la sexualité infantile, ou du fantasme inconscient, etc.). Mais vous perdez alors la possibilité de comprendre bien des faits que le recours à cette hypothèse permet de comprendre : votre champ phénoménal se restreint singulièrement…».
2. Sur quelques difficultés épistémologiques
Que la nécessaire recherche en psychanalyse s’inspire du modèle des sciences physiques ou de tout autre modèle, elle affronte nécessairement (y compris dans sa démarche clinique classique) de redoutables difficultés épistémologiques, que j’en envisagerai brièvement.
a) la constitution des faits et le risque de circularité
Bachelard y insistait, et tout chercheur en est aujourd’hui convaincu : il n’y a pas de faits bruts. Tout fait objet de science est construit à l’articulation de propositions théoriques et de techniques d’observation.
La psychanalyse porte, par définition, sur des faits psychiques, et plus précisément sur ce qu’on peut désigner comme des faits psychanalytiques, c’est à dire des observables construit à l’intersection de théories et de techniques psychanalytiques. Il importe de bien distinguer le fait psychanalytique, ainsi défini, de l’évènement. Par exemple, si l’analyste est conduit à poser l’hypothèse d’un traumatisme psychique chez quelqu’un, il s’agit évidemment de tout autre chose que d’un évènement de l’enfance allégué par le patient, voire accepté comme « réel » par l’analyste, et supposé originaire de cette organisation traumatique du fonctionnement psychique. La réalité psychique se situe sur un autre plan de réalité (j’emprunte le terme à Henri Wallon) que la réalité événementielle ([3]).
Les faits psychanalytiques sont organisés, dans le cas individuel, dans la double dimension de leur structure et de leur histoire. Cette histoire n’est pas l’histoire événementielle « réelle » du patient (telle qu’elle aurait pu être écrite au fur et à mesure par un observateur neutre, à supposer qu’un tel observateur existe): c’est une histoire remodelée par les effets d’après coup, et de plus « recomposée » au fil de la cure par le travail même de l’analyse.
Il résulte de ces considérations que, plus qu’en toute autre discipline, c’est la théorie qui prime dans la constitution et la construction des faits psychanalytiques. Ceci ouvre un risque de circularité qu’on ne peut négliger. En effet, si les faits dont la recherche psychanalytique veut étayer ses progrès sont nécessairement préconstruits par de la théorie, on risque, en sélectionnant et construisant des faits « ad hoc », de ne démontrer que ce qu’on voulait démontrer : c’est une des objections les plus fréquentes des critiques de la psychanalyse, et que nous devons prendre au sérieux.
Comment se garder de ce danger ? La meilleure réponse est sans doute : en restant constamment conscient de ce risque, en se gardant des victoires trop faciles, en recherchant ce qui, tout chercheur le sait bien, est le véritable moteur de la recherche : une constante sensibilité au contradictoire, à tout le moins au non cohérent avec ce qui était attendu. C’est ainsi qu’on reformule les hypothèses et les concepts, c’est ainsi que la recherche progresse.
b) L’interprétation et la généralisation
S’il est une activité que le psychanalyste considère comme sienne, c’est bien l’interprétation. Cependant, l’interprétation d’un matériel clinique à l’échelon individuel est tout autre chose que, dans le cadre d’une activité de recherche, l’interprétation de faits par où l’on vise à fonder une loi générale, à caractériser un processus ou une structure de fonctionnement psychique définis au-delà de tout cas particulier, etc. Le péril est double : d’une part le risque de circularité qui vient d’être évoqué, invitant à prendre ses désirs pour des réalités ; d’autre part les risques d’une généralisation abusive, consistant à déclarer trop vite que « ce qui est vrai pour ce patient est vrai pour tout le monde ».
Exemple tristement célèbre, l’erreur commise à une certaine époque en ce qui concerne les autismes et psychoses infantiles : sur la base d’observations qui montraient le poids dans certaines de ces évolutions pathologiques d’altérations de la relation mère – enfant, une généralisation abusive a porté à dire que l’autisme infantile est imputable à un mauvais amour maternel (ou à une distorsion du désir de l’autre, etc.), ce qui, dit vite, a été entendu « toujours, dans tous les cas ». Cette inacceptable généralisation a beaucoup nui à l’image de la psychanalyse dans le public. Au plan de la recherche, il s’agissait évidemment d’une simplification abusive, par l’usage du singulier (« l’autisme », ce qui suppose à tort une classe homogène des états en cause) et par la méconnaissance de l’extrême complexité des facteurs en jeu et de leur enchaînement causal au cours de l’histoire de l’enfant et de son entourage. Une telle simplification au service d’une généralisation imprudente est toujours anti-scientifique. Comment s’en garder ? Par la prudence, par un effort de rigueur dans les étapes du processus de recherche. Cela s’apprend.
c) Une antinomie fondamentale
Cette antinomie pèse sur toute démarche de recherche. La théorie progresse lorsque le chercheur constate qu’elle manque à rendre compte de ce qu’il observe. Il est alors conduit à remanier son appareil théorique et notionnel, puis à confronter cet appareil remanié à de nouvelles observations, etc. : le progrès passe par cet incessant va et vient entre l’observable et l’appareil d’observation. Mais toute cette démarche est sous-tendue par une contradiction fondamentale, entre la cohérence de l’appareil théorique, d’une part, et l’étendue des observables d’autre part. Plus l’appareil théorique est cohérent, et moins il est capable d’intégrer des faits nouveaux (et d’abord, tout simplement, de les percevoir) ; plus il s’ouvre à ces faits nouveaux qu’il ne prévoyait pas, et plus il est en danger de se disloquer. Les exemples abondent dans l’histoire des sciences.
Comme toute autre discipline, la psychanalyse inscrit nécessairement ses développements dans le cadre de cette antinomie. Les exemples, ici encore, ne manquent pas. Ainsi, Lacan, au fil de sa pensée, semble avoir de plus en plus mis l’accent sur la cohérence de notions abstraites en s’écartant de la clinique. A l’inverse, certaines recherches centrées sur l’observation directe des bébés ont pu être critiquées par des analystes qui les considèrent comme s’écartant trop des axiomes fondamentaux de la métapsychologie, au risque de verser dans le comportementalisme. Il est difficile de progresser sur cette crête étroite, entre les dangers de chute dans la fragmentation et l’affadissement théorique d’un éclectisme fourre-tout, et les dangers de chute dans une rigidité dogmatique réactionnelle à cette dispersion. Toute l’histoire de la psychanalyse montre que les débats et les conflits dont elle est marquée procèdent de cette antinomie.
On peut observer que la position du psychanalyste est encore plus délicate s’il se veut chercheur, et ceci pour toute une série de raisons : le primat de la théorie et les risques de circularité, les relations du connaissant et du connu (ce sera envisagé plus loin), mais aussi la difficulté de parvenir au consensus sans lequel aucun progrès scientifique n’est possible. Cependant, il a peut-être un avantage sur ses collègues d’autres disciplines : il ne peut penser la contradiction dans les seuls termes de la logique formelle. Sans doute est-il tenu, comme tout le monde, d’éviter la contradiction dans la conduite de sa pensée ; mais il sait mieux que tout autre que l’ambivalence est sous-jacente à la contradiction. Si, pour maintenir la cohérence de sa pensée, il est porté à négliger telle observation, à dédaigner telle objection, à rigidifier son système, etc., il ne peut ignorer (il ne devrait pas ignorer…) que, en deçà de la cohérence d’une construction intellectuelle, c’est sa propre cohérence personnelle qu’il tend à préserver, qu’en deçà de la contradiction joue l’ambivalence. Il y a là, sans doute, l’axe d’une réflexion épistémologique à poursuivre ([4]).
d) La causalité, le hasard et le chaos
Dans bien des disciplines, on ne peut plus s’en tenir au seul modèle d’une causalité linéaire où, lorsque sont réalisées certaines conditions, B succède nécessairement à A. En bien des domaines prévalent des modèles de causalité plus complexes, c’est-à-dire de causalité récurrente, en réseau, en feed back ou causalité rétroactive, etc. Une sorte de révolution a été marquée par le développement des théories du chaos, pour tenter de rendre compte de phénomènes par définition imprévisibles… et cependant déterminés. Il s’agit de bien autre chose que d’une prise en compte du hasard, au sens des théories et des calculs probabilistes. Dans le développement des phénomènes dits « chaotiques », on peut, théoriquement au moins, reconstituer a posteriori la chaîne des événements qui a conduit à une tornade destructrice à la Nouvelle Orléans, mais il n’était pas possible de la prévoir en voyant un papillon battre des ailes à Yokohama ([5]). On ne peut pas la prévoir, non pas par manque de moyens, mais par la nature même de la chaîne : il y a détermination pas à pas, mais les bifurcations entre possibles sont imprévisibles. Toute l’évolution du vivant est d’ordre chaotique : on peut assez bien comprendre après coup l’apparition du rhinocéros (en le situant dans une chaîne phylogénétique dont il est l’aboutissement), on ne pouvait certainement pas le prévoir. Ni l’apparition de l’homme bien sûr…
Peut-être le psychanalyste a-t-il ici une longueur d’avance. Il est accoutumé à envisager de telles causalités non linéaires. Il est habitué à concevoir la flèche du temps comme pointant dans les deux directions, dans la mesure où il accorde de l’importance aux effets d’après coup. En clinique comme en théorie, il pense toujours que, si crédible que soit l’événement rapporté par un patient, on se trouve en présence, non pas bien sûr de l’événement lui-même, mais du souvenir d’un tel événement. Ce souvenir, tout au long de l’histoire du sujet, a été remanié, reconstruit, il a contribué à intégrer, et parfois à provoquer, d’autres évènements, d’autres expériences, etc.
Tout est au présent, même si ce présent se donne du passé et du futur. Il est important de s’en souvenir si l’on ne veut pas être piégé par un faux paradoxe, où l’on se scandaliserait de devoir accepter que quelque chose peut changer quelque chose qui s’est passé avant. Cela ne scandalise que si on oublie que, s’il s’agit d’une rétroactivité, elle ne modifie pas un évènement inscrit dans l’histoire du monde extérieur ; ce qui est modifié, c’est un fait psychique, donné dans le présent (comme tout ce qui fait la vie psychique) mais imputé au passé. Il doit être évident qu’il ne s’agit pas d’un effet de causalité antérograde exercé par un événement sur un autre évènement qui lui serait antérieur, idée inacceptable ; il s’agit d’une implication (ce qui est bien différent d’une causalité, Piaget y avait insisté) où un fait psychique modifie un autre fait psychique considéré comme antérieur.
Face au très difficile problème du déterminisme dans la vie psychique , c’est là, de toute évidence, une voie de recherche beaucoup plus intéressante que celle du « hasard » au sens des théories et des techniques probabilistes (les méthodologies axées sur le calcul statistique) ([6]).
e) La relation du connaissant et du connu
Il s’agit ici de la question fondamentale de toute réflexion épistémologique : la relation entre l’appareil de la connaissance et le statut des réalités dont il traite. Jusqu’aux années 1920, le dogme scientifique prescrivait au chercheur de ne considérer comme du domaine de la réalité objective que des phénomènes posés par principe comme existant, tels qu’il les observe, antérieurement à l’acte même d’observation et indépendamment de cet acte. L’objectif et le subjectif s’opposaient radicalement, et la rigueur scientifique obligeait à chasser de la démarche de connaissance toute inflexion procédant des particularités individuelles de l’esprit connaissant ([7]). La physique quantique a bouleversé tout cela, en acceptant – en intégrant comme un de ses principes fondamentaux – que l’acte de connaissance peut produire le connu tel qu’il est connu, de telle façon que l’idée même d’un connu existant antérieurement à cet acte, indépendamment de cet acte, n’a plus de sens. Ce qu’on voit dans la caverne de Platon n’est pas le reflet d’une réalité extérieure à la caverne : c’est la réalité
Face à ce problème épistémologique fondamental, la psychanalyse est dans une situation unique, sans analogue en aucune autre discipline : l’appareil connaissant, le psychisme, y coïncide avec ce qu’il doit connaître, le psychisme. On pourrait objecter qu’il n’y a pas en fait coïncidence, puisque il s’agit d’une part de l’appareil psychique de l’analyste, d’autre part de celui du patient. Mais l’objection est-elle recevable ? Car, côté patient, la règle fondamentale de la psychanalyse est bien celle du vieux précepte : « connais toi toi-même… », et toute technique qui ferait du patient l’objet passif des interprétations imposées par l’analyste serait pure trahison. Du côté de l’analyste, nous savons bien qu’un tel travail n’est possible que s’il prend d’abord son propre psychisme comme objet de connaissance, par une auto-analyse indéfiniment reconduite. Nous savons aussi que dans le cadre de la cure tout cela se joue dans le jeu du transfert et du contre-transfert, de sorte que les deux appareils psychiques ne sont pas, de loin, aussi distincts qu’il pouvait paraître.
On semble ici se heurter à une impasse bien mise en lumière par le théorème de Gödel, selon lequel on ne peut connaître un système que par les moyens d’un système de niveau supérieur. D’où il devrait découler que le psychisme ne peut se connaître lui-même. Or il peut se connaître, c’est un fait. Alors, y a-t-il là une impasse logique ? Non sans doute. Car la solution est de considérer que le « système de niveau supérieur », c’est la relation patient – analyste, telle qu’elle s’établit dans cet « espace analytique » qu’avait si bien défini Serge Viderman.
f) Reformulations théoriques et nécessité du consensus
Quelles que soient ces difficultés, le chercheur poursuit vaillamment son chemin. Vient le moment où son travail débouche sur ce qui était son but ultime : reformuler des hypothèses, remodeler leur substance conceptuelle, de sorte que seront intégrés en un ensemble plus cohérent un plus grand nombre de faits mieux établis ([8]).
Encore faut-il que cela se sache. Une avancée scientifique qui satisferait à tous les critères d’une bonne démarche serait-elle une avancée scientifique si personne n’en savait rien, hors son auteur qui l’emporterait avec lui dans la tombe ? En 1865, Gregor Mendel établit deux lois fondamentales de l’hérédité ; mais il met fin à sa carrière de chercheur deux ans plus tard, car il doit se consacrer à ses nouvelles fonctions de supérieur de son monastère. Son travail restera à peu près totalement ignoré de la communauté scientifique. En 1900, trente quatre ans après, Hugo de Vries formule ces mêmes lois, et on exhume alors le travail du moine morave. Supposons que personne, jamais, ne s’en soit rétrospectivement avisé : pourrait-on dire alors qu’une avancée scientifique majeure a eu lieu en 1865 ? (cf Jean Rostand, 1945).
La question n’est pas que théorique. La science actuelle n’est plus faite par des individus isolés. Elle procède sur un modèle industriel, surtout dans les sciences « lourdes » qui exigent beaucoup de personnel, beaucoup de temps, beaucoup d’équipements, et donc beaucoup d’argent, un argent que veulent rentable ceux qui en disposent. Chercheurs et équipes font tout leur possible pour que leur travail soit connu, et reconnu : les carrières et les financements en dépendent. Le consensus est la condition indispensable du progrès scientifique. Le consensus de qui ? des pairs bien sûr, des collègues compétents pour en juger. Ce n’est pas facile, car viennent y objecter la compétition, la jalousie, le poids des idées reçues, la crainte de voir démolie la cathédrale scientifique qu’on a mis si longtemps à bâtir et à orner… ([9]),
La situation est bien difficile en psychanalyse : comment s’assurer du consensus des pairs, et d’abord, qui sont les pairs ? Depuis ses origines ou presque, le mouvement psychanalytique est agité d’innovations et de variations qui développent des divergences théoriques et des oppositions de groupes qui vont de la discussion théorico-clinico-pratique courtoise à l’anathème et au schisme : qui fait partie de la communauté des pairs ? Et à supposer qu’on s’accorde localement sur une telle communauté, quels critères mettra-t-elle en œuvre pour déclarer qu’une avancée scientifique vient d’être opérée en psychanalyse ? On voit bien que c’est là à peu près impossible. D’où ce constat : le développement de la psychanalyse n’est pas passé par des « découvertes », mais bien par le fait que l’accent est mis sur « quelque chose », à un certain moment et dans une certaine sociologie locale. Dans les meilleurs cas fleurit alors un mouvement d’authentique recherche théorico-clinique qui s’intégrera de façon (probablement) définitive au corpus général de la psychanalyse (exemple entre bien d’autres, la notion d’espace transitionnel de Winnicott). Il n’y a peut-être pas alors d’autre critère que celui de la durabilité de cette intégration ([10]).
3. Quelle recherche ? Montrer, démontrer
Si le psychanalyste invité à « faire de la recherche » souhaite s’engager dans cette voie, de quelle voie s’agit-il ? Que peut signifier pour lui « recherche » ? Va-t-il se proposer de montrer que ce qu’il fait est « scientifique », et de plus utile ? ou va-t-il, de façon plus ambitieuse, prétendre le démontrer ? Les deux termes ne sont évidemment pas identiques : on peut démontrer une proposition mathématique, on peut seulement, sauf à abuser des mots, montrer la beauté d’un tableau de Vermeer. Je pose ici qu’on peut montrer ce qu’est et fait la psychanalyse – pour comprendre l’homme, pour améliorer son destin- mais qu’on ne peut guère le démontrer.
Certes, on peut définir des systèmes de repérage et de notation systématisée de certains aspects du fonctionnement psychique, pour en évaluer l’éventuelle modification au fil d’un traitement. Cependant, plus un tel système tend vers une grille automatisée constituée d’une série d’items à noter en présence ou absence, plus ou moins, zéro ou un, plus on perd de l’information. Ceci à deux niveaux : au niveau d’aspects du réel ainsi réduits à très peu de choses, de sorte qu’on va noter de la même façon des réalités extrêmement diverses, et différemment des réalités proches ; et au niveau des liaisons entre ces réalités squelettiques. On peut espérer naïvement trouver la structure de ces notations fragmentaires en les déversant dans un ordinateur muni d’un programme sophistiqué…. On n’aura guère plus de chances de retrouver une réalité fonctionnelle vivante que si, après avoir réduit la Joconde en confetti, on demande à une machine de refaire le tableau originel.
D’ailleurs, faut-il démontrer, ne suffit-il pas de montrer ? Faut-il tout démontrer ? Pour continuer à enseigner l’histoire dans les écoles primaires, pour y donner une idée de la littérature classique, pour attirer l’attention de l’enfant sur des valeurs citoyennes, est-il nécessaire de démontrer que ces enseignements sont « efficaces » ? Je ne crois pas qu’il se trouverait beaucoup d’enseignants pour exiger des mesures et des preuves statistiques avant de continuer à travailler…
Bien des disciplines honorablement connues, comme l’histoire, la préhistoire, l’anthropologie, la sociologie, etc. ne se soucient pas de « démontrer », elles se contentent très généralement de montrer… Certes, il s’agit toujours de mettre des faits en évidence, mais des faits construits par une théorie elle-même mise à leur épreuve. Claude Levy-Strauss n’a pas eu besoin d’une « evidence based sociology » pour montrer ce que sont les structures élémentaires de la parenté.
Le problème reste : comment « chercher en psychanalyse » selon des règles admissibles par la communauté scientifique, selon des démarches compréhensibles au-delà de la communauté psychanalytique, tout en préservant la spécificité de l’objet psychanalytique ? A mon sens, il n’existe pas actuellement de réponse vraiment satisfaisante. Cette réponse reste à élaborer ; elle suppose une « nouvelle alliance » ([11]) entre des approches jusque là supposées incompatibles. Le chemin pour y parvenir est long, mais passionnant. Ce texte se veut modeste pierre sur ce chemin.
Références bibliographiques
Allègre C. (2005), Dictionnaire amoureux de la science, Paris, Plon/Fayard.
Assoun P.L. (1981), Introduction à l’épistémologie freudienne, Paris, Payot.
Atlan H. (1979), Entre le cristal et la fumée. Essai sur l’organisation du vivant, Paris, Seuil.
Atlan H. (1986), A tort et à raison. Intercritique de la science et du mythe, Paris, Seuil.
Bachelard G. (1938), La formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, Paris, Vrin, 1969.
Classification et psychiatrie (1984), Confrontations psychiatriques, n° 24.
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[1] La forme classique de l’objection est de dire au psychanalyste qu’il joue avec la règle « pile je gagne, face tu perds » : si le patient approuve c’est que j’ai raison, s’il nie j’ai raison aussi puisque sa résistance le prouve. Freud avait fait justice de cette argumentation douteuse ; s’il arrive qu’un psychanalyste raisonne ainsi, il a bien évidemment tort.
[2] L’ambition majeure de la physique semble être aujourd’hui de parvenir à « la grande unification », c’est-à-dire à une théorie qui rende compte de toutes les forces du monde physique, y compris la gravitation ; dans ce cadre, les discussions autour de telle ou telle formulation de la théorie des cordes ne visent pas à montrer que l’une est vraie et l’autre fausse, elles visent à établir laquelle est la plus utile pour intégrer toutes les forces en jeu.
[3] L’expression « réalité événementielle » me semble préférable à l’expression « réalité matérielle ». On ne peut pas dire « matériels », en quelque sens possible du terme, la plupart des évènements dont l’origine est à situer dans le monde extérieur ; par exemple une colère du père, la mort d’un parent proche, un évènement sexuel traumatique, etc. L’expression « réalité événementielle » a le mérite de poser clairement le problème fondamental de la réalité psychique : comment s’alimente-t-elle d’évènements du monde extérieur qu’elle contribue à susciter et qu’elle informe ?
[4] Devereux (1967) avait offert à cet égard des réflexions utiles
[5] Exemple météorologique devenu classique, donné par Lorentz, qui a été à l’origine de ces développements.
[6] Sur l’écart entre hasard et chaos, cf Ruelle, 1991.
[7] Il s’agit bien ici des particularités individuelles. Il était admis que le connu était construit selon les lois générales de fonctionnement de l’esprit connaissant (les catégories a priori de l’espace et du temps, le principe de non contradiction, etc.), mais ceci au-delà de toute variante individuelle.
[8] Ce travail sur les concepts et les hypothèses et sur le remaniement de la théorie est discuté dans le texte plus détaillé dont celui-ci est un abrégé.
[9] Henri Becquerel amorce une énorme révolution scientifique lorsqu’il découvre en 1896 la radioactivité des sels d’uranium, un peu « par hasard » mais surtout parce qu’il sait flairer l’important. Lorsque l’évènement est rapporté dans une assemblée scientifique anglaise, un savant éminent s’écrie que c’est impossible, car si Becquerel avait raison, « la loi de conservation de l’énergie s’effondrerait ! ». Ce savant avait raison, du point de vue des connaissances disponibles à l’époque, c’est-à-dire d’une cathédrale de la physique qu’on croyait pour l’essentiel achevée. Mais avait encore plus raison celui qui répondit : « Tant pis pour la loi de conservation de l’énergie ! » (cité par Kohn, 1990).
[10] Un bon test est de parcourir l’index d’un instrument tel que le Dictionnaire International de la Psychanalyse, que je sais utile à cet égard pour y avoir beaucoup travaillé sous la direction de Alain de Mijolla. Cet ouvrage s’efforce en effet de présenter tous les concepts utiles en psychanalyse et sur ses marges, et toujours compte tenu de leur évolution historique, de leur naissance à leur mort éventuelle, en passant par les avatars de leur croissance.
[11] J’emprunte l’expression au titre d’un ouvrage de Ilya Prigogine et Isabelle Stengers (1979), qui ont vigoureusement plaidé pour une « nouvelle alliance » entre les deux cultures, scientifique et humaniste, développées – au prix d’évidents clivages- par notre civilisation occidentale au cours des trois derniers siècles ; une nouvelle alliance permise par le profond remaniement des démarches des sciences exactes depuis près d’un siècle.