[restrict]Un commentaire des envois précédents, par Dominique Bourdin (31 mai 2020)
Lors de la sixième conférence en ligne de la série « clinique du confinement », samedi 30 mai, Aline Cohen de Lara nous a montré l’engagement de sa patiente, soutenu par son travail interprétatif, et la façon dont les séances à distance ont permis le passage à deux séances hebdomadaires, dans un cadre modifié mais clair et fixe, puis l’allongement sur le divan lorsque les séances ont pu reprendre au cabinet.
Relisant les textes proposés par plusieurs collègues dans le décours des différentes conférences, et publiées dans l’espace membre du site de la SPP, j’étais frappée par l’intensité de l’engagement suscité chez les psychanalystes par la crise sanitaire et les contraintes du confinement. Cet engagement se manifeste bien sûr dans les décisions rendues nécessaires pour maintenir la continuité du travail analytique et les ajustements d’un cadre pour les séances à distance, mais aussi dans un élan de réflexion sur le fonctionnement et les enjeux de la relation analytique.
Sans prétendre à l’exhaustivité, et revendiquant même le caractère subjectif de mes réactions et centres d’intérêt, nécessairement partiels et, à certains égards, arbitraires, je vous propose un petit patchwork de questionnements et formulations qui m’ont frappée et fait réfléchir.
Dominique Tabone-Weil nous invitait à ne pas recourir inconsidérément à la qualification de traumatique, car le trauma survient s’il y a impréparation ; or nous avons pu anticiper le confinement et nous y préparer. Dans ces conditions il était possible de « s’organiser tranquillement avec les patients » pour proposer le nouveau cadre de séances par téléphone. Cette tranquillité est rendue tangible par sa description aux patients du nouveau dispositif – téléphone sur l’accoudoir avec haut-parleur, par exemple, et l’invitation à ce qu’ils se trouvent pour eux-mêmes un endroit tranquille où ils seront confortablement installés, éventuellement allongés « mais pas sur leur lit ». On perçoit bien que c’est l’intériorisation par l’analyste du cadre interne au travail analytique qui permet de percevoir les ajustements pertinents. Quant à la tranquillité elle est l’effet d’une absence de déni permettant de prendre en compte l’ampleur de la situation sans en être affolé ni envahi.
Dans une perspective assez proche, Guy Lavallée propose (le 1er mai) de se référer à la notion d’agieren de transfert et de contre-transfert plutôt que de parler de trauma. La « modification du cadre externe », accident majeur, mais qui préserve le lien, « devient un révélateur potentiellement analysable avec le patient, de ce qui était enfoui dans le cadre (point aveugle commun) et fait alors avancer le travail analytique ». Ecouter au téléphone fait oublier son apparence et celle du patient, amenant « à écouter plus en profondeur les lignes de force du discours du patient avec le risque d’avoir des interventions plus ‘percutantes’ sans avoir en retour les informations visuelles sur la réaction du patient ». Le dispositif de « bouche à oreille » (R. Asséo) éveille beaucoup d’intime, de « conjonction transférentielle » (J.-L. Donnet), mais en même temps instaure une fonction tierce, une décorporation par la privation de la vision des corps et la conscience de la distance.
Abordant un autre aspect concret du cadre, le paiement, Laurence Aubry montre comment elle a fait travailler cette question de façon analytique, laissant les patients aborder la question et élaborer les raisons de la modalité choisie (virements, dette en suspens, etc.), soulignant combien la modalité du paiement fait partie du rituel analytique et de la relation, mais aussi combien les fantasmes sont éveillés et nourris par l’échange d’argent.
Dans une autre intervention datée du 27 avril, Laurence Aubry revient sur la fatigue engendrée par les séances à distance. N’est-ce pas la menace d’une interruption de la communication venant de l’extérieur qui y contribue ? Les mouvements des corps pour venir à la séance, puis dans le cabinet lui-même permettent d’éviter la dilution de la réalité comme son intrusion. A distance, la fatigue peut être pour une part « l’effet de l’effort à maintenir ou à reconstruire un cadre interne protecteur, alors même que le cadre extérieur ne l’est plus ou l’est moins ».
Suscitée par une intervention de Bernard Chervet qui remarquait à un moment de nos discussions une certaine absence du pulsionnel, Andjelka Filipovic Castagner évoquait le 17 avril des adolescentes d’abord angoissées par la suspension de la vie sociale, mais qui petit à petit s’étaient mises au fil des séances par téléphone à « approcher davantage leur objet maternel primaire ». Mise en suspens des expressions pulsionnelles habituelles ? Retour d’un pulsionnel infantile moins aisément accessible ? Effet d’un confinement en famille les confrontant davantage au retour de l’infantile ? N’y a-t-il pas dans ces séances – mais d’abord dans le fait du confinement lui-même, surtout pour des adolescents – un déplacement des formes d’expression et d’agir des mouvements pulsionnels ?
C’est aux patients suivis en institution que s’est intéressé Anne-André Reille, soulignant que le fait de les appeler en numéro masqué « renverse la dynamique du patient qui vient (ou pas) à sa séance, tandis que l’appel téléphonique vient à lui. Et comment signaler que l’on reste disponible si le patient n’a pas répondu ? Au delà des modalités pratiques et de leur élaboration au cas par cas, notre collègue se demandai « quelles incidences tout cela pourra-t-il avoir lors de la reprise des suivis en face à face ? » Désormais, nous sommes face à cette interrogation…
Guy Maruani, le 23 avril, rappelle que la voix reste un contact de corps à corps, même à distance (le bel canto des balcons italiens...), et que nous ne sommes pas réduits à un contact virtuel totalement décorporé, même si la frustration de la proximité tactile et visuelle n’est pas anodine. Il rappelle qu’au moment de l’extension épidémique du sida on prophétisait une sexualité purement imaginative et fantasmatique, sans relation concrète. Lui-même écrivait dans les années 1980 que la généralisation de pratiques sexuelles sans rencontre physiques via les technologies actuelles « concouraient à essayer de délester le désir de sa charge de culpabilité inconsciente ». Mais sans culpabilité inconsciente, il n’y a plus de désir, ni de jouissance. On peut donc prévoir le retour du clandestin, du furtif, du transgressif...
Revenant sur l’intervention de Pascale Navarri (4° conférence de la clinique du confinement), Martine Girard souligne le 7 mai les questions liées aux réserves sur la confidentialité des technologies. De ce fait, un débat plus ou moins implicite semble s’installer entre idéalisation des technologies et idéalisation du cadre…
Il s’agit aussi de prendre en compte les conditions concrètes où sont nos patients lors des séances à distance (enfants, conjoints, colocataires, bruits extérieurs, etc.). Il est aussi une sorte d’inversion du cadre (D. Kawi), car l’analyste pénètre chez le patient. La « totale disponibilité du patient et de l’analyste » ne va pas de soi et tend à susciter une « retenue de l’interprétation » ; « plus la régression s’installait, plus forte apparaissait l’intranquillité de l’analyste ». « L’équilibre subtil entre l’intime et le distant » que le cadre vise à assurer (cf. Paul Israël) peut-il être maintenu dans le recours au téléphone ou à la vidéo ? Comment le mouvement transférentiel en est-il affecté ? L’évocation de la déconnection de l’ordinateur dans l’Odyssée de l’espace (Kubrick, 2001) aide à prendre la mesure des enjeux de cette discussion critique sur le recours à la technologie.
Guy Cabrol notait le 12 avril que le « vécu apocalyptique mondialisé et inattendu » auquel nous nous sommes trouvés confrontés alors que nous nous en croyions protégés « entre en résonance avec le monde interne de chacun sans exclusion, y compris les psychanalystes ». Les angoisses primaires en sont attisées et « chacun est mis à l’épreuve de la fiabilité de ses mécanismes de défense et de ses techniques de survie ». Cela requestionne nos dispositifs et sollicite notre créativité. « Contre-transférentiellement, comment pouvons-nous atténuer nos propres projections sur nos patients » ?
Il ajoute que la situation analytique se construit dans un rythme entre présence et absence, scansion fondatrice du sujet. Il faut savoir faire place au temps de suspens, et ne pas considérer tout analysant comme infans en détresse. De même, si les échanges groupaux restaurent notre sécurité narcissique, ils comportent le « risque d’une illusion groupale autour de théorie-fétiche ». Il rappelle l’interprétation faite par Louisa de Urtubey à un patient au temps de la dictature en Uruguay « Vous utilisez l’analyse pour ignorer la peur que la réalité pourrait vous inspirer » – rappel de la réalité qui lui sauva la vie.
Dans son texte du 16 mai, Guy Cabrol reprend l’idée que dans une réalité extérieure potentiellement destructrice avec les « injonctions d’un surmoi de la culture ambivalent », la créativité des analystes se trouve particulièrement sollicitée. Evoquant les « réaménagements de fortune inventifs du couple analytique pris dans une turbulence émotionnelle », il proposait de l’entendre comme un « jeu de désorganisation-réorganisation d’un dispositif pour préserver le processus en cours, voir l’enrichir – y compris en psychanalyse d’enfant, comme le montrait la conférence de Lucia Touati avec sa petite patiente – Je vous renvoie également au texte de Sylvie Reignier, L’enfant et l’analyse à distance, présenté au séminaire de la SEPEA et qui figue sur l’espace membres de la SPP dans la rubrique Conférences.
Il alerte en même temps sur la « symétrie de surface » qui peut naître de « l’expérience inédite vécue en commun ». Mais les variations du cadre rendues nécessaires sont un « passage obligé » pour permettre à l’analyste de « faire l’expérience de zones psychiques obscures, étrangères, terra incognita, qu’il sera progressivement ou non en capacité d’intégrer dans son cadre interne ; /…/ théorie et expérience y compris de sa propre destructivité et envie. S’il s’agit d’apprendre à jouer, chaque séance est comme un chef d’œuvre en péril, qui nous appelle à garder notre capacité d’émerveillement, dans cet espace d’intimité préservée.
Merci à tous les collègues qui participent à ces conférences et qui ont partagé leurs réflexions, soit oralement en intervenant lors des rencontres par Zoom, soit dans l’après-coup des textes publiés sur le site de la SPP. J’espère ne pas avoir trop déformé la pensée de ceux que j’ai évoqués ici.
La séance, chef d’oeuvre en péril ? Entre créativité et destructivité, par Guy Cabrol (16 mai 2020)
La réalité actuelle du monde extérieur avec sa destructivité potentielle et les injonctions d’un surmoi de la culture ambivalent posent un défi à la psychanalyse avec le questionnement de ses fondamentaux, cadre et processus élaborés depuis plus d’ un siècle par des générations d’analystes et d’analystes-chercheurs et défricheurs. Sa validité scientifique et épistémologique a survécu à plus d’un désastre mais résistera t elle à cette banale pandémie aux effets imprévisibles et révolutionnaires avec son cortège d’angoisses schizo-paranoïdes et dépressive ?That is the question.
Dans l’actualité où règne cette destructivité, sa confusion et son actuel la créativité de chacun est très sollicitée à l’instar du tranquille et remarquable témoignage offert par Lucia Touati, psychanalyste du centre Alfred Binet et porte-parole de sa petite patiente. Elle nous montrent face à cette contrainte du destin tous ses réaménagements de fortune inventifs du couple analytique pris dans une turbulence émotionnelle. On pourrait l’entendre dans un jeu de désorganisation- réorganisation d’un dispositif pour préserver le processus en cours, voir l’enrichir de cette expérience inédite vécue en commun mais chacun avec une histoire singulière et ses zones d’ombres, une symétrie de surface qui pourrait être trompeuse. La fonction, notre fonction Nebenmensch est là pour nous le rappeler à toutes et tous, comme la psychanalyse de l’enfant nous le démontre ici dans ce dernier forum où elle était à l’honneur, même si étrangement elle n’a toujours pas sa pleine place dans notre formation de psychanalyste, encore à la marge, même si on parle de l’infantile et de l’enfant dans l’adulte et même si Winnicott est devenu une référence obligée.
Ce que nous (re)démontre l’analyse d’enfant est le potentiel créatif et de jeu en chacun de nous quelque fut son destin. Comment l’analyste peut il être le garant de cette aire de jeu, la séance, un jeu pris très au sérieux, en créant, co-créant les conditions de cette illusion créatrice pour que le processus transformationnel se mette ou se remette enjeu alors qu’il fut, voir qu’il reste entravé dans la séance dans une compulsion de répétition qui sollicite le contretransfert de l’analyste parfois jusqu’à la désespérance et la résignation.
La position contretranferentielle de base de l’analyste est un acte de foi sur la croissance psychique de l’enfant et de l’adulte ; parfois pris dans sa propre depressivité il se voit interpellé par le sujet naissant qui, lui, croit inconsciemment toujours en la psychanalyse....Ainsi une patiente trentenaire, devenue maman d’un petit garçon, professeur de philosophie n’ayant jamais pu enseigner, et récemment diagnostiquée «Asperger de haut niveau» est aux prises à des conflits insolubles de son monde interne, et des imagos paradoxales confusionnantes avec des défenses intellectuelles redoutables de survie psychique. Elle fut étrangement privée dans l’enfance de ses potentialités de jeu. Elle s’autorisa dans le contexte d’impasse où elle se trouvait à prendre le risque de rencontrer un psychanalyste. Le moment venu elle s’autorisa à prendre le risque.... d’ apprendre à jouer, et à expérimenter cette (re)découverte malgré la pandémie qui fit irruption, et la poursuivre en ma présence téléphonique, JOUER. Elle se raconte des histoires, les écrit, me les raconte, elle m’écrit des contes : des histoires animalières complexes conjuguées à ses rêves avec une mise en scène psychodramatique symbolisante de ses imagos et des conflits vécus jusqu’à ce jour. Émerveillé plus que séduit J’ai été en capacité d’accueillir un tel mouvement psychique et de l’accepter dans une illusion créatrice partagée, telle la contemplation d’une oeuvre d’art. Chaque séance ne serait elle pas un chef d’oeuvre en péril , comme ces dessins offerts à l’analyste et ces squiggle, gribouillis informes, une précieuse et authentique tentative d’élaboration psychique. L’analyse est un art autant qu’une science.
Une condition me semble importante : comment garder l’émerveillement et la beauté de chaque séance, dans cet espace d’intimité préservée, comme celui des première fois, trouver-créer, recréer l’objet esthétique découvert et décrit par Meltzer (1988) et pouvoir en contenir et en respecter toute la conflictualité et destructivité.
Je suis de ceux qui pensent que l’expérience de toutes les variations du cadre rendues nécessaire dans de telles situations analytiques, à un moment donné, ne sont pas à considérer comme la preuve d’une insuffisance de la théorie et de la cure analytique mais le temps nécessaire et le passage obligé pour permettre à l’analyste, en personne, de faire l’expérience de zones psychiques obscures, étrangères, terra incognita, qu’il sera progressivement ou non en capacité d’intégrer dans son cadre interne et en alimenter le processus, théorie et expérience y compris de sa propre destructivité et envie. L’analyste est aussi un artisan de l’autoanalyse à vie.
La familiarité de la rencontre avec les bébés, les enfants, les adolescents, les fous, les groupes, le corps, les médiations culturelles diverses enrichissent les potentialités du travail analytique. Elles sont loin de l’annuler ou de le disqualifier. J’ai toujours eu du mal à entendre que là où la cure analytique «échouait» d’autres dispositifs feraient des «miracles». Tout en reconnaissant les limites de tout situation analysante, je l’entends souvent comme une haine, une attaque envieuse, contretransferentielle de l’objet-analyse aux sources inconscientes, douleur clivée d’une déception primaire profonde, des cicatrices d’un objet resté peu secourable, insuffisant, voir défaillant, en tout un chacun. Les pires ennemis de la psychanalyse risquent parfois d’être les psychanalystes eux mêmes.
Certains prônent aujourd’hui une psychanalyse postmoderne avec une révolution épistémologique et de nouveaux paradigmes. Nous en sommes déjà à la psychanalyse postbionienne, et pourquoi pas post freudienne sur la grande scène internationale. Ce que j’ai entendu à ce forum me réconforte sur le devenir de la psychanalyse et de cette merveilleuse aventure pour qu’advienne un sujet avec sa complexité et sa personnalité, ici une petite fille qui a la chance de rencontrer une psychanalyste. Ça donnerait la nostalgie, dans un après coup auto-analytique, de ne pas avoir eu cette chance, enfant, bénéficier d’une telle rencontre dans un tel centre... au risque de ne pas devenir psychanalyste...et alors.
Cependant, ma préoccupation demeure aujourd’hui que, séduits, obnubilés par le chant des sirènes, nous restions fascinés par ces possibilités d’analyse augmentée à distance, loin des corps, et jusqu’à être en capacité d’argumenter, en brillant théoricien sur les réelles avancées théoriques et pratiques qu’elles nous permettent : un accès à la Vérité plus vrai que le vrai. Alors une psychanalyse transhumaniste est en marche et il faudrait savoir vivre avec notre modernité qui n’est plus une nostalgie viennoise, fin de siècle...
Comme je le suggérais précédemment l’expérience choisie et imposée aujourd’hui, de l’utilisation de l’objet, objet augmenté, voir phallique, avec ses prothèses technologiques séduisantes permet déjà l’emprise du virtuel sur le réel et comporte le risque de mise à l’écart, voir la mise à mort du sujet et accessoirement du psychanalyste à la Freud et pourquoi pas ? Nul ne peut arrêter le progrès, flattant notre narcissisme grandiose sauf, aujourd’hui, cette pandémie, cette catastrophe, véritable insulte à notre mégalomanie. A terme l’humain, cette anomalie historique, risquerait d’être marginalisée, tolérée au profit d’humanoïdes robotisés dialoguant avec voix humaine empathique, compréhensive et capable de mémoire et d’affects programmée par de l’intelligence artificielle. De tels robots sont déjà une réalité opérationnelle... ceci n’est plus de la science fiction...
Mais cette pandémie dans ces effets paradoxaux serait aussi la chance inespérée de remettre le vivant et l’humain au coeur des préoccupations de nos sociétés postmodernes qui se sont arrêtées de fonctionner dans cette course folle pour prendre le temps de...soigner et de....prendre soin de l’humain....une vraie folie...« Quelqu’en soit le coût...!»
La psychanalyse, cette mal aimée pourrait y prendre toute sa place, et que sa place, dans cette prise en compte si spécifique, de la relation à l’ Autre, du psychique et de l’âme enfantine en devenir comme vient de nous l’illustrer si généreusement Lucia Touati et le centre Alfred Binet avec toute cette liberté et créativité nécessaire pour le déroulement du processus.
C’est aussi une grande leçon pour les analystes d’adultes que de pouvoir nous «autoriser» à une telle créativité tranquille dans certaines situations analytiques d’adultes et d’adolescents.
L’asymétrie et le semblable, par Martine Girard (7 mai 2020)
Je souhaitais revenir sur l’intervention de Pascale Navarri (Clinique du confinement n° 4 : 2 mai 2020) et sur sa résonnance clinique avec les textes de Paul Israël (Retours d’expérience COVID-19 : 21 avril 2020), mais aussi avec les conférences et discussions précédentes.
L’intranquillité psychique et la mise à mal de la confidentialité
J’ai en effet été sensible à ses réserves sur la confidentialité des technologies utilisées à la fois pour les séances mais aussi pour nos rencontres centrées sur le matériel clinique ; réserves mises en acte, en séance, à travers une retenue de l’interprétation et, durant sa présentation, à travers une retenue du matériel. Emboîtement donc de deux formes de retenues mettant bien en évidence la particularité de la situation actuelle : non seulement quant aux aménagements du cadre mais encore quant à l’impossibilité d’en parler entre nous sans faire appel aux mêmes artifices technologiques. De plus, son matériel concernait tout particulièrement la cure type sur le divan à trois séances par semaine, dimension qui était plutôt restée dans l'ombre lors des premières conférences, au profit des séances hebdomadaires en face à face.
Or ce n’est pas sans une certaine surprise que la tonalité générale de plusieurs commentaires m’a semblé s’orienter vers une forme de mise en garde contre la recherche d'un absolu de la confidentialité et contre le risque d'idéalisation du cadre. Peu d’interrogations a contrario sur une éventuelle idéalisation des technologies, alors que Guy Cabrol avait ouvert la voie avec son texte « Vers une psychanalyse transhumaniste ? » (12-04-2020). Ainsi à la connotation plutôt péjorative de l’idéalisation du cadre classique répondait la connotation plutôt positive de son aménagement technologique comme gage des capacités adaptatives de l’analyste.
Pourtant il me semble que c’est la mise à mal de toutes les dimensions de la confidentialité dans leur rapport à la régression que Pascale Navarri a exploré : en premier lieu bien sûr celles inhérentes au médium lui-même, mais aussi celles liées aux changements de murs, et qui plus est dans le contexte de confinement, qui ne suffisent plus à garantir la totale disponibilité psychique du patient et de l’analyste. Et sa retenue interprétative évoluait en quelque sorte en miroir de la régression du patient : plus la régression s’installait, plus forte apparaissait l’intranquillité de l’analyste i.e. la perte de la fonction du cadre « comme un élément de sécurité pour l’analyste », comme « gardien de l’analyste » ainsi que le rappelait Paul Israël. « Il est important de rappeler ce qu’on a un peu tendance à oublier (…) à savoir que les dispositions du cadre analytique classique depuis qu’on les a explorées font jouer un élément extrêmement important qui est la régression. »
Cette question fondamentale de la tranquillité avait été relevée dès la première conférence par Kalyane Fejtö à travers toutes les stratégies d’isolation sensorielle mises en œuvre entre sa patiente et son compagnon confiné auprès d’elle. Danielle Kaswin avait d’ailleurs posé à la fin de cette première conférence la question d’une véritable « inversion » du cadre et de la pénétration de l'analyste dans l'univers du patient. Non seulement l’analyste pénètre-t-il dans l’univers du patient, mais encore ce dernier est justement en difficulté pour échapper à cet univers et fabriquer un espace de sécurité intérieure permettant la libre expression fantasmatique. Ainsi la fillette évoquée par une collègue, incapable de lui dire, depuis la maison, « les horreurs » qu’elle avait à lui dire sur ses parents.
Question récurrente donc qui nous renvoie aussi à la difficulté à tenir l’asymétrie également réaffirmée à de nombreuses reprises. Cela fait quand même beaucoup de dérangements substantiels du cadre réunis sous la bannière rassurante de ses aménagements « imposés » par le réel …
« L’intime et le distant »
« Que devient l’analyse dès lors que les conditions sociales de son exercice sont bouleversées ? » se demande Paul Israël. « Le cadre permet de maintenir un équilibre subtil entre l’intime et le distant. Je serais enclin à penser que les moyens de communication usuels tels que le téléphone ou l’ordinateur et la vidéo bousculent très sérieusement cet équilibre en surchargeant l’un ou l’autre de ces deux facteurs, soit trop intime soit trop distant » (c’est moi qui souligne). Constat lui aussi récurrent dans les discussions autour des avantages ou inconvénients respectifs de la vidéo ou du téléphone, risquant cependant de laisser penser qu’il suffirait de choisir ou de laisser choisir le patient pour s’adapter au mieux, et que nous en aurions la liberté.
Nos organes sensoriels n’ont pas évolué depuis des millénaires, mais l’image du visage et la voix du semblable peuvent venir à nous grâce aux techniques de communication à distance comme extension de nos organes sensoriels, comme extension des limites de notre corps physique. N’est-ce pas là toute la magie de ce médium, qui en éliminant la nécessité du déplacement physique, contribuerait peut-être aussi à modifier la part et le sens du déplacement transférentiel ? Magie des télécommunications, que d’avoir en arrière-plan un point commun avec la télépathie. « On est amené à supposer que c’est là [la télépathie] la voie archaïque et originelle de la compréhension entre les êtres individuels, voie qui est repoussée, au cours de l’évolution phylogénétique, par une meilleure méthode, celle de communication à l’aide de signes que l’on reçoit par les organes des sens. Mais la méthode plus ancienne pourrait rester conservée à l’arrière-plan … » (Freud1, p. 138).
Il me revient un exemple du difficile équilibre entre trop distant et trop intime, offert par trois séquences du film de Stanley Kubrick 2001 L’Odyssée de l’espace (1968), haut lieu s’il en est du déchaînement métaphysique de la technologie, et du confinement : les deux scènes d’anniversaire et la grande scène de déconnexion de l’ordinateur qui dirige le vol, Hal. Les deux scènes d’anniversaire, celui des 4 ans de la fille de l’un des protagonistes, et celui d’un autre, souhaité par ses parents, les deux à travers l’écran de la télévision ; distance incommensurable – réelle et affective – qui donne bien à la télé tout le poids de son étymologie, opposée à la proximité de la voix de l’ordinateur, Hal, jusqu’à la chanson finale de son agonie.
Malgré le support visuel et sonore de la télévision, malgré la magie technologique de la « communication » à distance, la distance affective paraît à la mesure de l’éloignement spatial : spectateur de sa fille et de ses parents qui chantent Happy Birthday devant leur gâteau, marionnettes dérisoires et grotesques d’un rituel social qui n’a plus de sens, à des années lumières. À l’opposé, en dehors de tout effet visuel, de tout effet d’image, le déchirement du meurtre et de l’agonie de l’ordinateur est poignant, même si l’on sait que c’est une machine et que la chanson est préenregistrée. Capture affective, proximité affective passent par la voix, la voix du semblable, objet de la passion imaginaire. L’enjeu est vital pour le héros : si l’ordinateur s’est trompé, il faut reprendre les commandes manuelles ; mais il faut pouvoir se déprendre de cette captation imaginaire, déconnecter l’ordinateur, c’est-à-dire faire taire définitivement cette voix, se priver définitivement de tout effet de présence d’un « semblable », malgré la solitude absolue qui en découlera ; dernier homme abandonné au silence des étoiles.
(1) Freud, S (1932/1995). « Rêve et occultisme », XXXe Leçon. Dans Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse. OCF. P XIX : 112-139, Paris, Puf.
Lettre de Guy Lavallée (1er mai 2020)
Chers collègues,
N'aurions-nous pas intérêt à cesser de parler de "trauma", mais de nous référer plutôt à la notion d'"agieren de transfert" et de contre-transfert, dans la conception de Jean-Luc Donnet. Si nous avons intégré profondément un cadre interne, la modification du cadre externe, l'accident de cadre, (et nous sommes devant un accident majeur, mais qui préserve le lien) devient un révélateur potentiellement analysable avec le patient, de ce qui était enfoui dans le cadre (point aveugle commun) et fait alors avancer le travail analytique. Mais toutes les situations ne sont pas aussi heureuses évidemment. Notamment pour les patient en débuts de travail analytique et les analystes en formation qui sont privés du cadre externe avant d'avoir pu des deux côtés intérioriser le cadre, ils peuvent se trouver en grande difficulté.
Personnellement je travaille au téléphone : privé de regard avec les patients de face à face, je suis amené à oublier mon apparence et celle du patient et à écouter plus en profondeurs les lignes de force du discours du patient avec le risque d'avoir des interventions plus "percutantes" sans avoir en retour les informations visuelles sur la réaction du patient. Le téléphone comme l'a fait remarquer Robert Asséo c'est un dispositif de bouche à oreille, donc beaucoup d'intimité, de "conjonction transférentielle" comme le dit Donnet, mais compensée par une fonction tierce, une décorporation : la privation de la vision des corps et leur éloignement dans l'espace.
Du côté des patients que nous recevions dans le dispositif analytique classique avec divan, nous sommes avec le téléphone dans un dispositif divan/fauteuil majoré encore plus privatif, plus frustrant du côté de l'analyste qui ne voit plus rien du patient, la situation analysante est alors plutôt symétrisé (ce qui rapproche d'un travail "en double")
Merci pour ces webinaire
L'enfant et l'analyste à distance, par Sylvie Reignier (30 avril 2020)
Sur notre thème pour la psychothérapie de l’enfant, Sylvie Reignier nous propose son texte donné dans le cadre du séminaire de la SEPEA. Vous le trouverez sur ce même site privé, page d'accueil privé, rubrique « Conférences »
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À propos d'une question de Gilbert Diatkine, par Laurence Aubry (27 avril 2020)
À propos de la question de Gilbert Diatkine, qui se demande pourquoi nous nous sentons pour la plupart particulièrement fatigués à l’issue des séances par téléphone ou par skype :
Je me demande si cela n’a pas à voir avec la menace de l’interruption de la communication venant de l’extérieur (absence de réseau, problème de téléphone ou d’ordinateur, etc.), qui pèse constamment sur la séance, et par rapport à laquelle nous sommes réduits à l’impuissance.
Dans les conditions ordinaires, la menace d’interruption existe, mais elle est tenue à distance par le cadre, censé être le plus possible protecteur et contenant.
Comme le disait Gilbert Diatkine, le cadre impose un confinement physique, mais pour permettre l’ouverture, le voyage et l’aventure intérieure, le déploiement d’un théâtre dans l’espace psychique créé par le colloque analytique.
« Même si on ne se voit pas, l’analyse, c’est quand même deux personnes, deux corps dans la même pièce », dit une analysante. Et puis il y a le trajet, l’espace, le temps, et les mouvements, les échanges, du chez soi ou d’ailleurs, au divan. Ils garantissent que la réalité extérieure existe, ils sont sensés protéger de la dilution ou de l’intrusion, d’un collapsus interne/externe.
Est-ce que cette fatigue ne pourrait pas être pour une part un effet de l’effort à maintenir ou à reconstruire un cadre interne protecteur, alors même que le cadre extérieur ne l’est plus ou l’est moins, et que nous nous en sentons, pour une part, responsables ?
Le risque de l’interruption de la communication entre en bruyante résonance avec la menace que fait peser la catastrophe collective : menace de rupture du lien, soudaine, du fait du risque mortel, mais aussi de l’hospitalisation, ou simplement de la maladie et d’un confinement total.
Dans quelle mesure l’isolement total où ont été placés les personnes très âgées, isolement dans lesquelles certaines sont parties sans pouvoir rester en lien à la fin avec le Nebenmensch, « être humain proche » garant de la vie psychique, n’est-il pas la mise en acte collective d’un fantasme agressif, meurtrier, destiné peut-être à conjurer cette angoisse ?
Très récemment, le gouvernement a fini par faire marche arrière relativement à cette mesure particulièrement inhumaine. C’est l’espérance de pouvoir jamais parler à nouveau à quelqu’un qui a été brutalement retirée à certains de nos anciens, les plus précaires, les plus isolés déjà, et dont ils ont été déprivés, abandonné à la « désolation » (A. Arendt), détresse euphémisée et aseptisée en « syndrome de glissement ».
Les discours de justification pour de telles mesures partagent certains caractères des discours meurtriers, et notre relative acceptation ce que dénonce Victor Klemperer, philologue d’une langue déformée par la rhétorique totalitaire dans LTI, la langue du IIIe Reich.
La tension ou la douleur à l’issue de nos séances peuvent être aussi l’effet de notre culpabilité à avoir proposé ce cadre aménagé à nos patients, alors que nous savons qu’il s’agit, comme il a été dit, d’un ersatz ; mais aussi qu’il pourra être plus difficile aux patients de laisser libre cours aux mouvements agressifs ou séducteurs. Ils pourront alors retourner contre eux la destructivité ou la punition.
Du fait de cette fragilisation du cadre, nous nous fatiguons peut-être aussi à devoir contrôler, contre investir, ou bien, dans le meilleur des cas analyser davantage nos propres mouvements contre transférentiels : séducteur, agressifs, haineux ou d’emprise.
Nous pouvons aussi nous sentir coupable d’une forme de mégalomanie. Nous avons été en effet investis brusquement du pouvoir de changer le cadre.
Sous la pression de l’extérieur, et d’une réalité commune, certes, mais tout de même… Ce qui était garanti, ce qui devait tenir contre vents et marée, bouge. Quelque chose est à réinventer. Est-ce que nous ne pouvons pas nous sentir coupables, ou fatigués, d’une identification aux fondateurs, voire à Freud lui-même ? Il y aurait de quoi…
Le désir de théoriser, de penser, d’écrire, qui nous ont saisi pour certains d’entre nous, en témoigne.
Tant que la culpabilité ne devient pas écrasante, c’est plutôt bon signe ; mais la menace de la castration ou du déni, ainsi que l’écrit Guy Cabrol, n’en demeure pas moins présente.
Comment taire, par Guy Maruani (23 avril 2020)
On lit partout que l'épidémie virale tend à remplacer le contact humain corps à corps par un contact virtuel, analogique, par écran interposé. Outre que les balcons italiens de bel canto ont démontré qu'un échange de personne à personne par un produit du corps, la voix, reste possible, cette assertion sur la fin de la promiscuité des mains, des lèvres et des peaux m'a rappelé étrangement ce qui s'était mis à circuler au moment de l'extension épidémique du SIDA, lorsqu'on prophétisait que la sexualité allait devenir tout entière imaginative et non plus concrète, tout entière fantasmatique et non plus relationnelle.
J'écrivais d'ailleurs moi-même dans les années 1980 « F.I.V. et SIDA, même combat », pour signifier que l'emprise grandissante sur la reproduction humaine de la technologie source de plus-value, comme la généralisation de pratiques sexuelles sans véritable rencontre physique et mélange d'humeurs, concouraient à essayer de délester le désir de sa charge de culpabilité inconsciente. Oui mais sans culpabilité inconsciente il n'y a plus de désir, ce credo psychanalytique est vérifiable par chacun. Et sans désir pas de plaisir, du moins pas de jouissance. Je gage donc que l'embargo sur les poignées de mains, les bises, les hugs et autres tapes sur l'épaule ou les fesses, subira le même sort que tous les vœux de chasteté et va ouvrir l'espace du clandestin, du furtif, du téméraire, du transgressif, et en somme aboutir à l'effet inverse, d'abord intra-confinement puis extra-confinement. Le retour du refoulé sera massif et jubilatoire et le risque restera une notion d'actuaire pas d'acteur de la vraie vie.
En institution, qui appelle, par Anne-André Reille (17 avril 2020)
Lors des deux premières présentations cliniques il a été essentiellement question de la continuité des prises en charge des patients suivis en libéral. Mais qu’en est-il des suivis en institution et comment notamment adapter le cadre des séances par téléphone avec des patients qui le souhaitent mais qui n’ont pas notre numéro (et qui passaient jusque-là par le secrétariat des dites institutions lorsqu’ils cherchaient à nous joindre) et ne peuvent donc pas nous appeler à l’heure de leur séance ? Leur donner afin qu’ils puissent (eux aussi) le faire et leur laisser l’initiative de l’appel (au risque de se priver ensuite du tiers institutionnel en s’exposant à d’éventuels appels ou messages post-confinement) ? Les appeler nous-mêmes (en numéro masqué !) les privant alors de cette initiative et renversant la dynamique du patient qui « vient » (ou pas) à sa séance en allant à lui (avec tout l’aspect régressif que cela comporte, favorisant sans doute tout en modifiant le maintien du lien comme il avait été question la semaine dernière lors de la discussion - au détriment d’un travail analytique ?). Et en cas d’absence, laisser un message en indiquant qu’on reste disponible (mais pour cela encore faut-il être joignable) ? Rappeler la semaine suivante, écrire ? Recourir à un tiers (psychiatre, secretaire...) quand c’est possible, souhaitable ? J’imagine bien que tout cela s'élabore au cas par cas, en fonction des patients, des prises en charge, de leur capacité à supporter le confinement et la séparation, mais aussi de notre inquiétude (ou du risque de persécution), et me demande, curieux et impatient, quelles incidences tout cela pourra-t-il avoir lors de la reprise des suivis en face à face ? Merci de partager vos réflexions, hypothèses et solutions.
Contribution d’Andjelka Filipovic-Castagner (17 avril 2020)
J’ai été intéressée par la remarque de Mr Chervet sur l’absence du pulsionnel lors de la conférence du samedi dernier.
Cela m’a interpellé par rapport à deux adolescentes, de 15 ans chacune, que je suis en psychothérapie une fois par semaine. Dans cette situation de confinement, elles manifestent des mouvements semblables, sûrement en lien avec le processus adolescent. En tous les cas, je repère que cette mise en sourdine de la vie sociale et la suspension de l’extérieur, ont d’abord été très angoissantes pour elles. Puis, petit à petit, dans les séances par téléphone, elles me semblent comme libérées du trop de pulsionnel pour pouvoir approcher davantage leur objet maternel primaire.
Je voudrais confronter mon observation avec celles des autres. Ma question porte aussi comment entendre ces manifestations : sont-elles réellement liées au pulsionnel ?
Vers une psychanalyse transhumaniste ? par Guy Cabrol (12/04/2020)
La situation inédite de nos sociétés est d’être confrontée à un vécu apocalyptique mondialisé et inattendu dont nos sociétés modernes s’illusionnaient d’en être protégées par la science, un simple virus doté d’un effet papillon et d’une réaction en chaîne" thermonucléaire" , une pandémie comme par les siècles passés avec ses désastres mais ce n’est pas une guerre. C’est une catastrophe venue du monde extérieur, du monde vivant non humain et elle entre en résonance avec le monde interne de chacun sans exclusion, y compris les psychanalystes les plus habitués aux affres du monde interne. Cette réalité externe s’impose à nos psychés et nos corps par contamination virale, contagion phantasmatique, elle attise nos angoisses primaires et chacun est mis à l’épreuve de la fiabilité de ses mécanismes de défense et de ses techniques de survie. Cela requestionne dans l’urgence nos dispositifs analytiques, leur fiabilité et leur pertinence. Notre créativité est sollicitée pour adapter à chaque situation un nouveau cadre où notre spécificité psychanalytique peut être efficiente avec certains repaires tel celui évoqué par Gilbert Diatkine , une certaine distanciation théâtrale brechtienne avec une note d’humour partagée et respectueuse qui permet d’atténuer la surcharge d’excitation traumatique , par quelques défenses maniaques bien tempérées....
Nous faisons aussi l’expérience inattendue, dans cette turbulence émotionnelle, que certains de nos patients "accélèrent" leur travail élaboratif, d’autres font preuve de capacités de «résilience» sous-estimées et semblent en mesure de traverser cette période en se saisissant du travail accompli, ce dont nous risquons de douter dans une forme de mégalomanie analytique. D’autres s’accrochent à leur séance même décadrée. Contre transférentiellement, comment pouvons nous atténuer nos propres projections sur nos patients d’une problématique qui nous envahit et dont la métabolisation d’un tel conflit entre Éros et Thanatos ne nous est pas si familière à nous qui n’avons vécu ni élaboré la peste de Marseille ni la grippe espagnole (que Freud a pourtant connu mais peu théorisé) et peu on vécu directement les malheurs de la guerre.
La psychologie des masses même avec les précieux éclairages de Freud et de Bion reste bien mystérieuse même aux psychanalystes-sorciers. La période historique que nous vivons nous le rappelle, elle sera sans doute fructueuse pour réanimer notre compréhension. La psychanalyse s’est construite dans la relation entre deux personnes vivantes en présence en un même lieu et un même temps et elle en a montré la richesse et la complexité au cœur de l’humain dans cette relation asymétrique à l’autre.
La psychanalyse et ses fondements ne doit pas oublier que le corps, le perceptif, le sensoriel, in vivo ont toute leur place encadrant la représentation en séance. Le paradoxe de cette pandémie et la toute puissance des technologies et du virtuel est que les psychanalystes à leur corps défendant risquent de s’engager dans un éloge et plaidoyer de « l’analyse » via les nouveaux médias, et pourquoi pas l’hologramme avec l’illusion du psychanalyste super communicant, super présent en toute circonstance jusqu’à dénier la réalité du monde externe.
La situation analytique se construit dans un rythme présence réelle et absence réelle, une scansion fondatrice du sujet, un fort- da. Je rappelle que le temps d’élaboration et de transformation est tout aussi important dans l’absence voir nécessaire. Peut-être risquons nous de le négliger dans nos théorisations. Cette capacité essentielle de l’humain est mise en tension et dialectique par la dépendance artificielle que crée la situation analytique quand elle ne devient pas une aliénation voir une addiction. Dans un tel contexte je me suis toujours perplexe de la durée grandissante des analyses et psychothérapies. Tous nos analysants ne sont pas des infans, en détresse, en Hilflosigkeit, la pulsion d’agrippement décrite par Imre Hermann peut aussi être du côté de l’analyste. Ces temps incertains et insécurisants nous le montrent. Quand l’analyste se met en vacance, vacances ou maladie, l’analysant lui survit le plus souvent et l’analyste ne manque pas d’interprétations pertinentes sur les effets de son absence...
Les échanges groupaux peuvent certes nous permettre de restaurer notre sécurité narcissique de base mais avec le risque d’une illusion groupale autour de théorie-fétiche alors que, Eros-Thanatos et les pulsions d’auto conservation, un temps rincardisées, déniées s’invitent chez nous. Ainsi, au-delà des angoisses évidentes de mort, et de contamination comment passer sous silence dans nos échanges la fragilité et précarité économique de l’analyste, travailleur indépendant avec le label de qualité SPP que le confinement et la crise risquent d’accentuer, la personne de l’analyste et sa survivance fait parti du cadre. Serions-nous les seuls à être préservés de ces dangers collatéraux. Dans d’autres temps historiques dont avec une certaine ironie, le congrès de Jérusalem était sensé nous le rappeler à nous les générations gâtées de la psychanalyse, la dangerosité du monde externe ne devait plus être déniée, oubliée : guerres mondiales, génocides, totalitarismes font partie intégrantes de l’histoire de l’Europe du XXe siècle . Sauf erreur de ma part Freud ne comprenait pas qu’Helene Deutsch fuit l’Autriche en 1935....
Nous sommes contraints aujourd’hui de nous interroger sur le bien fondé de la psychanalyse en temps de pandémie mondiale.
Comme le rappelait Bernard Chervet notre collègue Louisa de Urtubey que je choisis comme formatrice suite à ses travaux dont cet article «Quand une inquiétante réalité envahie le travail du psychanalyste (1982) où à partir d’un rêve dit du choux et des associations du patient elle l’interprète de manière inattendue au niveau de la réalité externe et des pulsions d’auto conservation et non dans une problématique œdipienne et du sexuel infantile évident avec cette formulation « Vous utilisez l’analyse pour ignorer la peur que la réalité pourrait vous inspirer». Un contretransfert paradoxal pris entre technique et éthique. Cette interprétation d’un rêve sauva la vie de son patient qui réinvestit la réalité menaçante...au prix de l’idéalisation de l’analyste… et... de l’arrêt de l’analyse. Elle était alors psychanalyste en Uruguay du temps de la dictature.
Avec un analysant professionnel de santé très impliqué et surexposé, bien avancé dans son élaboration analytique nous avons convenu d’un commun accord d’un temps de suspens tout en restant en lien , une conversation mensuelle. Ma préoccupation est comment préserver un juste équilibre entre investissement du monde interne et externe chez des sujets qui risquent de surinvestir le monde interne. Ne courons nous pas trop le risque d’interpréter un légitime investissement du monde extérieur comme transfert latéral, voir résistance, jusqu’à la fameuse fuite dans la guérison de Freud.
J’avais évoqué autrefois la situation d’un militaire israélien religieux, "Moïse", déserteur, réfugié en Savoie, venu me voir pour faire une analyse, affamée, dénutri. Ma première interprétation fut « pour pouvoir faire une psychanalyse la première condition est de rester en vie ». Trois semaines après il était nourri, logé chez des maraîchers...et l’analyse commença.
Sauf urgence psychique à identifier, je préfère considérer cette période comme un temps de suspens qui interpelle notre omniscience et omnipotence, mais qui fait aussi le pari de la créativité et de la confiance en l’humain et dans le travail déjà effectué dans les séances, sinon les psychanalystes risquent de devenir malgré eux des psychanalystes transhumanistes . ...!
Contribution suite à la conférence, par Dominique Tabone-Weil
Juste quelques petits points :
- je ne suis pas d’accord pour qualifier de traumatique la situation que nous vivons. Elle est très différente pour les uns et pour les autres et je me demandais en écoutant Christine (dont l’exposé était passionnant) pourquoi beaucoup d’analystes parlent de situation traumatique pour eux-mêmes et pour les patients ou de « perte de repères ».
La première chose qui me vient à l’esprit est que le traumatique est lié à une impréparation.
Or nous étions tout à fait préparés à ce confinement. Il ne nous est pas tombé dessus du jour au lendemain. De même l’épidémie. Cette impréparation viendrait-elle d’un déni analytique de la réalité extérieure ? Une sorte de croyance à la seule réalité psychique et à la seule réalité de la séance et du processus ? A un déni de notre mortalité de notre vulnérabilité, particulièrement aujourd’hui où nous sommes entrés dans une crise environnementale grave dont cette pandémie n’est qu’une des manifestations (attendues, je le répète)? Bien sûr que nous pouvons être malades (comme l’a fait remarquer Claude Rayna, y compris si nous ne le sommes pas encore), bien sûr que nous ne sommes pas, bien qu’analystes, immortels.
Comme Josiane, j’avais anticipé le confinement. En écoutant Christine dire qu’elle n’utilise pas les sms ni les mails, qu’elle ne répond pas à ceux qu’on lui envoie et qu’elle utilise le courrier, je me suis sentie coupable par rapport à un idéal analytique ancien, puisque je les utilise avec les patients. Cependant cela m’a permis de m’organiser tranquillement avec les patients, puisque c’est le moyen que j’ai utilisé (sms) Ce que j’ai fait le week-end précédant le confinement, proposant des séances par téléphone car poursuivre les consultations (ce qui impliquait ne l’oublions pas que les patients se déplacent et prennent les transports en commun). Certains ont accepté d’emblée, d’autres ont refusé puis sont revenus vers moi la semaine suivante ou la semaine d’après.
Pour ma part, je ne mets pas le téléphone contre l’oreille. Je pose le téléphone sur l’accoudoir de mon fauteuil avec le haut-parleur. J’ai décrit tout ça à chacun de mes patients pour la première séance par téléphone. Je leur ai demandé bien sûr de trouver un endroit tranquille où ils pouvaient s’isoler et s’installer confortablement (d’après ce que je sais, les patients en analyse s’allongent, mais pas sur leur lit !). Ainsi il n’y a pas pour moi en tous les cas, ni apparemment pour eux de « trop rapproché ou de trop loin ». A suivre...
Je n’ai pas de difficultés d’écoute, et j’utilise plus souvent le « qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ? » ou le « Oui ? » interrogatif quand les silence se prolongent. Ce silence pas en présence demande sans doute à être apprivoisé, que ce soit par le patient ou par l’analyste. C’est un point très intéressant.
À propos du paiement, de Laurence Aubry
Parmi les questions qui pourraient être abordées lors de ces réunions, je retiens celle du paiement des séances.
La question peut être mise en lien avec l’agressivité, éventuellement contre investie, ou déniée.
Dans ma pratique, se distinguent :
- Les patients qui ont abordé la question
J’ai vite pris le parti de leur demander d’abord ce qu’ils imaginaient. Certains ont proposé le virement, ce que j’ai accepté. L’avantage est que cela permet de maintenir le rythme convenu pour le paiement, mais pas la modalité : espèces, chèques. Une autre a préféré tenir registre de sa dette : elle mettra de l’argent de côté, et me règlera lorsque nous nous reverrons. Cela s’inscrit dans l’approfondissement du lien transférentiel alors que nous en étions encore à des entretiens espacés. La distance entre nous lui permet de plus en plus d’envisager des séances régulières sans se sentir menacée d’un « coup dans le dos ». Cela entre en résonance avec la vignette présentée par Kalyane Fejto.
L’une des analysantes qui a proposé les virements, et les a mis en place très rapidement, a formulé de façon explicite et répétée la demande que je lui confirme avoir bien reçu ses virements chaque semaine : elle a relié cela à l’importance qu’ont pour elle les rituels qui font partie du cadre, et règlent le passage entre le dedans et le dehors de la séance (venir, monter les escaliers, se saluer, s’installer). C’est important que je parle un peu en début de séances, exprime-t-elle. « Il manque ce moment d’échange » : elle parle de l’échange d’argent, mais aussi de regards. J’ai pensé aux « jeu de mains qui vont » avec. Une autre formule de cette analysante est éloquente : « L’analyse, c’est quand même deux personnes, deux corps dans la même pièce ». Cela vaut, je trouve, les formules de Anna O. pour nommer la thérapie inventée par Freud dans les Études sur l’Hystérie. Ce qui passe par la voix ne pallie pas le manque et la frustration redoublée qui lui est imposée, comme à moi. Je pense qu’il y aurait donc aussi à réfléchir sur l’agressivité qui se trouve libérée, et alimente la destructivité, potentiellement retournée contre soi.
Une autre analysante s’arrange très bien de cette dématérialisation, tandis que les séances, depuis le confinement, laissent plus de place à l’expression de sa sexualité infantile, contre investie comme « sale » ; le fantasme de prostitution se noue avec les pulsions partielles liées au regard (exhibitionnisme, voyeurisme) : les séances sont riches, mais je me demande ce qu’il en restera lorsque nous sortirons de « l’exception », un trait auquel cette analysante s’identifie, ce que nous avons déjà travaillé.
- Les patients qui n’en parlent pas
Décontenancée, j’ai été obligée d’attendre ; ce que je ne regrette pas, même si je me sens en délicate posture avec ce problème. Cela m’a permis de me dire que, comme toujours, il s’agit de s’abstenir jusqu’à que cela apparaisse dans le matériel. Ce fut le cas pour un patient, qui s’engage avec beaucoup de résistances dans une psychothérapie : cela a pu se relier à sa culpabilité, et à son agressivité envers une figure du transfert, la sœur aînée ; il a opté pour le virement, et j’attends qu’il le mette en place...
Deux autres personnes, deux hommes, n’ont pas abordé la question ; sans que j’aie trouvé, entendu, ou saisi, pour l’instant, une façon de revenir dessus qui soit analytique.
- Une dernière situation me donne à penser que c’est un élément important
Il s’agit de ce qui s’est passé avec mon unique cas en institution, pour un analysant que j’ai en cure sur le divan au Centre Evelyne et Jean Kestemberg, ou le traitement est gratuit.
Un jour avant l’annonce du confinement, j’avais abordé en séance la possibilité que nous devions prendre une décision pour les semaines à venir. Je ne savais pas encore ce qui serait mis en place par le CEJK, mais j’avais évoqué la possibilité de la suspension des séances, ou des séances par téléphone. « Ce sera un premier pas vers l’analyse en ville », me dit alors mon patient. J’avais alors évoqué, sans en réaliser sur le moment la dimension sadique, la question du paiement.
Il lui a été finalement proposé, par la secrétaire, la poursuite de l’analyse par téléphone, « dans les mêmes conditions que celles du centre », ce qu’il a accepté, exprimant, pour la première fois avec chaleur, sa reconnaissance. Pourtant ce ne sont pas exactement les mêmes conditions : comme en CMP, c’est moi qui l’appelle, avec mon numéro caché. Etait-ce la solution la meilleure ? Est-ce la même qui a été adoptée par d’autres centres de traitement gratuit ? L’IPSO ou le Centre Favreau par exemple ?
Une autre chose m’est apparue en écrivant ces notes : les séances par téléphone entraînent à un surinvestissement des représentations de mots : elles nous mettent davantage à l’écoute des doubles sens, mais nous oblige à être encore plus sensibles aux ouvertures fantasmatiques du langage.[/restrict]