Analyse en confinement : « Vous êtes là ? »
Êtes-vous bien là ?
La bascule de l’analyse en séances divan-fauteuil au téléphone peut se tenir en théorie.
Habitué à être hors champ de vision, l’analyste peut poursuivre son écoute analytique lorsque l’impossibilité d’une séance a lieu.
La période de confinement qui n’oblige pas un seul mais alors les deux protagonistes à rester chez soi change la donne. C’est se retrouver à deux tout en étant chacun contenu quelque part avec pour interdit de se toucher et de se voir.
Quel est le changement sur le setting usuel du dispositif analytique ?
En général, à moins d’une poignée de main brièvement échangée, il n’y a pas lieu de se toucher. L’analyste derrière le divan met en veille sa capacité de voir pour une plus entière introspection.
Pourtant, un élément vient de manière redondante marquer la modification du cadre.
Le silence est plus complexe à se faire entendre.
Du silence plein qui permet une suspension féconde dans les séances, devient un danger.
La question revient avec un ton inquiet : Vous êtes encore là ?
Il y a des variantes à cette question :
Vous êtes là ? Vous êtes encore là ? Vous êtes toujours là ?
Pourtant, l’analysant sait précisément où je ne suis pas…dans la même pièce que lui à partager nos silences.
Il se cache peut être derrière cette question pressante le fantasme de se représenter un chez lui à son analyste. Il aurait alors un lieu où vivre, une famille, voire un conjoint ? Ou pire encore un ou plusieurs enfants. La réalité vient ainsi faire se cogner l’analysant à une crudité de la chair de son analyste. Puisqu’il n’a pas le droit d’être avec moi, il se trouve dans un ailleurs, confiné, où l’accès lui est impossible.
Vous êtes là ? La question résonne avec une demande avide : où êtes vous ?
En quel espace, vous a-t-on obligé à rester caché hors d’atteinte. Hors de mes atteintes ?
Il va se jouer alors une ramification au sein de l’analyse en cours, qui ne se serait sans doute pas pris la peine de pousser à ce moment là dans l’analyse sans l’intervention de la loi extérieure.
Le cadre montre de façon cruciale sa fidèle importance. Il faut être là, écouter, se taire, intervenir dans un espace confiné à deux devenu soudain un plus (ou contre) un.
Nous savons à quel point les bruits extérieurs dérangent ce moment de séance lorsqu’il surgit du dehors, d’un ailleurs. Un voisin bruyant, des travaux, les aboiements insistants d’un chien.
Le passage de ce confinement à deux à ce confinement l’un sans l’autre permet d’en prendre la pleine mesure.
Où imaginez vous que je suis ? Dans un endroit concret qui n’est pas celui de sa propre construction psychique. La quarantaine vient alors souligner ce qui est subtilisé. L’intrusion du réel met face à une impudeur, celle de savoir que ce temps à deux n’est plus possible. L’interdit de l’inceste frappe bruyamment à la porte.
Les théories sexuelles infantiles renouvellent leur discours. La proximité orale et la séparation physique viennent recueillir une relecture des fantaisies régressives. Les rêves donnent à voir avec davantage d’acuité. Le parent, l’amant, le nouveau-né, se figurent de façon condensée dans le déploiement onirique et incarnés par un analyste invisible et intouchable.
La fatigue contre-transférentielle vient probablement de ce matériau brut qui revient de loin et surgit dans un nouvel espace qui est à apprivoiser. Le divan est vide et l’oreille est pleine. La présence est interdite et brûlante. L’éloignement conditionne une nouvelle proximité.
Le feu est au bout du fil, et ce fil doit être tenu malgré les menaces tant extérieures qu’intérieures.
L’appareil devient le lieu du lien et se résume à celui-ci. Vous êtes encore là (pour et avec moi) ? Résistez vous à cette flambée qui inquiète ? Il est difficile de vérifier les effets de ses attaques quand il est officiellement interdit de se voir. L’appel vient rendre compte de l’angoissante perte de repères mais aussi de la perte de la certitude de garder son analyste intact.
Anne-Sophie Bourdaud
bourdaud.psy@gmail.com