Le métier de psychanalyste est un objet d’intérêt pour les média, avec de multiples variantes allant du plus légitime souci d’information, infiltré de déformations obligatoires, chaque être humain ayant ses propres conceptions, convictions, et interprétations personnelles des faits psychiques, en passant par toutes sortes d’allusions fantaisistes, voire comiques, jusqu’à atteindre des niveaux d’attaques récurrentes plus ou moins argumentées, parfois franchement grossières et destructrices, suscitant l’étonnement et imposant une contrainte à penser les raisons de tels anathèmes, de telles volontés de dégrader la psychanalyse, de telles haines transposées sur cette pensée, sur son fondateur en la personne de Freud, et sur la pratique s’y référant.
Si la psychanalyse est vraiment sans intérêt, pourquoi s’acharner à la faire disparaître, laissons-là mourir de sa belle mort ! Et si elle n’est qu’une supercherie séduisant le charlatanisme de tout un chacun, pourquoi le législateur n’en interdit-t-il pas purement et simplement l’exercice ?
Il est par contre exceptionnel, que les psychanalystes, en tant que milieu social spécifique, soient l’objet d’une étude sérieuse, menée avec rigueur, selon une méthode précise et définie, appartenant à un champ d’investigation officiel extérieur à la psychanalyse.
Tel est le cas rare, au point de devenir remarquable, du livre de Samuel Lézé, L’autorité des psychanalystes. Son étude anthropologique, menée selon la méthode ethnographique, s’est portée sur un terrain strictement délimité, les psychanalystes parisiens. Elle s’étale sur 10 ans, de 1997 à 2007. Elle hérite de la période de différenciation de la psychanalyse d’avec les autres sciences humaines et sociales desquelles elle s’était précédemment rapprochée, leur offrant son outil théorique, et les qualifiant souvent du qualificatif de psychanalytique. Ainsi sont nées durant la seconde moitié du XX° siècle, une sociologie psychanalytique, une anthropologie psychanalytique, une ethno-psychanalyse, etc. A cette période de souveraineté de la psychanalyse, il convenait de même d’être analyste pour assumer la profession de psychiatre et de psychologue. La qualité d’analyste était alors censée donner une consistance aux divers diplômes universitaires de sciences humaines. Elle ne faisait pas que les compléter, elle les prolongeait, les validait et légitimait.
Cette inscription de la psychanalyse dans l’histoire sociale s’est exprimée, après une première période d’extension militante et d’application généralisée, puis une seconde de différenciation et de spécifications des champs respectifs des diverses disciplines, par une redistribution des fonctions de chaque science humaine, et par l’avènement durant la période 1997-2010, d’une nouvelle entité juridique, en fait d’un nouveau label, celui de psychothérapeute, n’ayant plus de lien obligatoire, encore moins consubstantiel avec la psychanalyse. Cette reconnaissance par le législateur d’une nouvelle fonction, via un nouveau titre, est le compromis de résolution d’un conflit inhérent à la psychanalyse, régulièrement réactualisé, en l’occurrence la question de la définition juridique de la profession d’analyste, sa légalisation, l’encadrement juridique et éthique des conditions de son exercice. Ceci a eu des conséquences sur l’évolution des structures privées représentant la profession d’analyste. Ainsi, la SPP, la plus ancienne société de psychanalyse en France, société constituante de l’API depuis sa fondation en 1926, a accompagné ce mouvement en se restructurant (association RUP en 1997), en se dotant d’un code d’éthique, et en faisant évoluer ses statuts et les textes régulant ses Instituts de formation, sous l’égide des ministères de l’intérieur, de la santé et de l’enseignement, ainsi que sous celle du Conseil d’état.
L’histoire de la psychanalyse en France a rendu cette légitimation officielle particulièrement délicate sur le plan concret, au-delà des questions théoriques inhérentes à la définition de la psychanalyse. Le conflit de base, entre l’aspiration à une légitimité juridique et académique de la psychanalyse en tant que spécialité, et la revendication d’une singularité marginale s’est trouvée exacerbée en France. C’est dans ce contexte déterminant que s’inscrit l’heureuse étude de Samuel Lézé.
Le livre croise continuellement trois vertex, une investigation anthropologique du milieu et du marché psychanalytique parisien à la charnière des XX° et XXI° siècles, tel est le terrain de l’anthropologue ; une reconstitution de l’évolution historique de la place de la psychanalyse au sein des sciences humaines et dans la société française, avec comme signe significatif, l’avènement du titre de psychothérapeute ; la question de l’autorité des psychanalystes au sein d’un groupe social à une époque donnée.
C’est donc une question d’importance qui traverse discrètement cet ouvrage au delà de la coupe synchronique qu’il présente et des précieux éléments historiques qu’il rassemble, celle de l’autorité de la psychanalyse, et bien sûr de l’autorité en tant que telle, de sa définition, de l’appel et de l’élection qui émanent des groupes à son égard, et de son impact sur la psychologie collective au-delà de sa reconnaissance consciente. Samuel Lézé aborde ces questions par la voie oblique de son étude, ainsi que par la réalité de la clinique, la fin de son livre laissant deviner que l’auteur a à cœur de poursuivre sa réflexion dans cette direction, en particulier à partir de la notion d’autorité clinique.
Nul doute que nous ne pouvons que conseiller à tous ceux qui souhaitent critiquer, voire ridiculiser la psychanalyse de lire cet ouvrage. L’auteur sait transmettre avec une grande humilité sa défiance envers l’attrait qu’elle exerce sur lui. Il nous livre ses propres mouvements phobiques mêlés à son intérêt et sa curiosité, et nous rappelle chemin faisant, avec un humour que nous ne pouvons qu’admirer, que l’autorité appelle la moquerie, et que l’enfant en chacun de nous garde à l’esprit la fraicheur et la joie avec laquelle il a pu l’employer envers le monde adulte, percevant très tôt l’écart qui existe entre le sérieux et le « se prendre au sérieux ».
Cet abord de l’autorité emboîte une préoccupation qui traverse toutes les époques, et qui relève de l’universel en tant qu’objet de pensée : « ...lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus au-dessus d'eux l'autorité de rien ni de personne, alors c'est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie..." (Platon, La République, VIII).