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Abderrahmane Si Moussi
Conférence donnée le 16 décembre 2023
Il n'est pas évident qu'un psychanalyste vivant et travaillant en Algérie parle à ses collègues parisiens. Que dire de sa place, dans un pays où elle commence à naître, au moment où sa discipline peine à exister partout ? Une naissance qui vient après un recul net de la pensée. L'engouement pour la psychanalyse et la pratique de la psychothérapie psychanalytique a pratiquement disparu. Il laisse place à une existence historique de la pratique de la psychanalyse selon les normes de l'Association Psychanalytique Internationale : avec un membre titulaire à la SPP à Alger, 2 adhérents à Azazga, en Kabylie, et une adhérente en formation, à Blida. C'est trop peu, en même temps essentiel. Donner la parole à la personne dans un environnement où elle est bridée, ouvre des perspectives prometteuses. L'avenir de la psychanalyse prend la forme d'une course contre la montre. C'est ce que tente de montrer cet exposé qui ne prétend pas être une vision historique et scientifique, mais plutôt le point de vue d'un acteur de cette dynamique. Les écrits consacrés à cette problématique sont difficiles à rassembler pour un travail exhaustif.
Première partie de la psychologie clinique à la psychanalyse
Ce texte résume le processus d’évolution de la psychanalyse durant près de quatre décennies. Après les précurseurs qui ont posé les bases de la psychologie dans les années soixante-dix, un groupe de jeunes enseignants s’est efforcé de construire une psychologie clinique qu’on peut qualifier de rationnelle. Les années qui ont précédé et suivi la décennie du terrorisme, peuvent être qualifiées d’âge d’or de la psychologie scientifique. Les luttes idéologiques et des savoirs, qui se sont immiscées profondément à l’université d’Alger, mère des autres universités du pays, sont à leurs apogées dans les années quatre-vingt-dix. Des universitaires en psychologie clinique, ont marqué de leur empreinte cette période, réussissant à contrer les dévoiements du savoir. Progressivement, la psychologie projective d’inspiration psychanalytique, la psychanalyse et la psychosomatique de l’école dite de Paris, deviennent les idées dominantes à Alger. De nombreux noms de psychanalystes ont rayonné à l’université : S. Freud, de R. Perron, de C. Chabert, de R. Debray, P. Marty, et d’autres. L’écrasante majorité des travaux académiques s’inscrivaient alors dans ces perspectives. La création d’un Bureau d’Aide Psychologie aux Etudiants (BAPE), vers 1988-89, a permis à ce groupe d’avoir une activité clinique qui confronte aux connaissances théoriques. A la même période, est créée la première association dénommée Société Algérienne de Recherche en Psychologie. Elle permet de développer les activités et l’influence en dehors de l’université, proposant notamment des formations continues aux psychologues praticiens. Cette institution aura rapidement une revue scientifique Psychologie et un certificat de formations aux techniques projectives (Rorschach et TAT). L’enseignement adopte comme références, les collègues de l’université de Paris 5 et leur perspective psychanalytique. Au BAPE, l’écrasante majorité des intervenants, soit environ huit sur dix, pratiquent avec un arrière-plan psychanalytique. Le BAPE, devenu Centre d’Aide Psychologique Universitaire (CAPU), est devenu la norme dans les universités algériennes. Actuellement, pratiquement chaque université, possède son propre CAPU. Cependant, la référence à la psychanalyse et à sa pratique, devient exceptionnelle et limitée. La SARP, qui s’inscrivait dans un cadre psychanalytique, s’est progressivement transformée, devenant une institution généraliste, qui propose des formations et des activités variées, où la psychanalyse possède une place rétrécie. De toutes les associations et institutions qui ont existé ou existent en Algérie, seule l’Association de Psychologie d’Alger, s’est définie franchement dans la psychanalyse. Ses activités se sont bornées à des séminaires de formations dans le domaine de la psychologie projective et dans celui de la psychothérapie psychanalytique. Un Groupe de Psychothérapie d’Inspiration psychanalytique (GPIP), a accueilli en moyenne une cinquantaine de praticiens par an, durant plus de deux décennies, où on présentait et discutait exclusivement des vignettes cliniques. Ce n’est pas un hasard si cette association a disparu après un succès considérable. Le recul de la pensée en général et de la psychanalyse en particulier, lui a été fatal. Sans aucune information publicitaire, durant deux décennies, l’institution refusait des demandes, parce que surchargée. Progressivement, elle a disparu.
L’apport de Roger Perron à cette dynamique, a été considérable. Non seulement il a conseillé, guidé et soutenu tout ce processus, il a fédéré également des dizaines de psychanalystes français, essentiellement de la SPP et ensuite de l’Association Psychanalytique de France. Les échanges et la collaboration ont été continus durant quatre décennies. Ils peuvent être illustrés ici par les « supervisions » (groupe de sensibilisation à la psychanalyse) de psychothérapie, animées par R. Perron, G. Guedeney, M. Vincent et M.F. Laval, agréée par la SPP. Les deux derniers ont assuré cette activité, alternativement, chaque mois, durant quatre ans, au profit de 32 psychothérapeutes, répartis en deux groupes à la SARP et à l’APA. Les autres échanges essentiels, qui méritent d’être signalés, concernent l’organisation conjointe de quatre colloques algéro-français, dans une collaboration entre la SPP et l’APA. Le premier en a porté sur Névroses et transferts (2001) ; le deuxième, L’amour et la haine, en hommage à Jean Cournut (2005) ; le troisième, Travail du psychothérapeute et travail du psychanalyste, est domicilié pour la première fois à Constantine (2008) ; le quatrième et dernier, sur Problématiques de l’adolescence, est tenu en 2011, à l’université d’Alger. Les actes des quatre rencontres scientifiques ont été publiés et existent à la bibliothèque Sigmund Freud. Une partie de cette histoire est condensée dans un hommage rendu à Roger Perron dans la Revue Française de Psychanalyse, sous le titre : Roger Perron et les deux rives de la méditerranée (2023-2) et développée dans un ouvrage La psychothérapie psychanalytique en Algérie (L’harmattan 2017 et en autoédition, Algérie, 2022).
L’évolution de la clinique :
Au départ, on qualifiait le travail d’aide, de prises en charges psychologiques, par précaution et fidélité, à Roger Perron, qui a finement imposé cette notion dans ses écrits et son propos, parce qu’aucun des thérapeutes n’était analysé. Progressivement, avec l’expérience, on ose parler de psychothérapie. Ensuite, à l’APA est créée (Date) un Groupe de Psychothérapie dit explicitement d’Inspiration Psychanalytique. Les supervisions assurées par les collègues de la SPP, sont venues consolider cette expérience de formations continues.
Quelques constats cliniques fondamentaux de la période pré-psychanalytique.
Nous évoquons des réflexions et des constats partiels de cette période.
Le règne de la névrose
Le règne de la névrose franche, voire grave, a coïncidé fortement avec le débordement de la violence terroriste. Dans la dynamique de travail de l’APA, qui comptait alors dans ses effectifs, près d’une dizaine de thérapeutes on profession libérale, cette donnée s’impose brutalement. Alors que beaucoup relient la pathologie aux violences débordantes dans la société, dans cette perspective, c’est plutôt ce drame qu’on explique par l’irruption brutal du désir et du conflit névrotique dans la société. Ce ne sont pas les traumatismes liés au terrorisme qui expliquent les souffrances psychiques, mais la névrose individuelle, doublée d’une névrose collective, qui expliquent le drame. La névrose obsessionnelle, associée à un noyau phobique, représentait alors le fonctionnement le plus dominant chez des centaines de patients. Ce bouleversement est théorisé comme l’expression de l’échec du passage du groupe à la personne. Les demandes de psychothérapies, voire de psychanalyses, étaient alors à un niveau très élevé. Les patients traversaient littéralement des champs de batailles, pour venir s’occuper de leur guerre intérieure. Pendant près de deux décennies, la névrose franche ou grave, s’impose comme la pathologie par excellence, aussi claire, sinon plus claire, que dans les descriptions de Freud. Il s’agit de la première fois où la personne, le désir et donc le conflit intrapsychique, font une irruption généralisée, ébranlant l’emprise du groupe et de la communauté. Quelques années après l’indépendance, l’individualité entre comme par effraction dans les familles et la société.
Ce mouvement se caractérise par un moment de décompensation systématique significatif : la terminale et l’examen du bac. Ce saut risqué vers la maturité adulte, est le phénomène le plus régulier de la psychopathologie algérienne de cette période. Pratiquement tous les adultes et les jeunes adultes qui ont consulté, ont connu l’éclosion des troubles à proximité de cette examen significatif (avant, pendant ou après l’examen).
Le recul de la pensée et de névrose
Après la décennie noire, plutôt rouge, si on se réfère au conflit et à sa violence, on assiste à un apaisement de la souffrance psychique, avec un net recul des demandes en général et de celles des psychothérapies en particulier. Alors que notre travail, était fait essentiellement de psychothérapies, avec une durée moyenne de 4 ans, on assiste à un « assèchement de ce type de processus. L’émergence de la personne, des intérêts individuels, du conflit psychique, ont cédé à une nouvelle forme d’emprise du groupe. L’idéologie groupale reprend sévèrement ses droits, cette fois sous l’emprise de la pensée religieuse. On se transforme en des formes de « perroquets » et de « caméléons » ; on gagne en paix intérieure, en étouffant l’authenticité et la voix personnelle. On bâillonne le Moi individuel au profit d’une construction groupale mimétique. Le fonctionnement psychique redevient plus lâche, moins caractérisé et la névrose plus nuancée. Son pendant politique, rend bien cette transformation : une sorte de « normalisation » du psychisme. Il n’est pas étonnant alors que le mouvement de recul de la psychanalyse dans le monde, soit plus prononcé dans une société plus surmoïque que jamais. La période où le désir dispute sa place, cède au profit d’une soumission aux contraintes imposées symboliquement de l’extérieur ; le livre personnel en effervescence, s’éteint au profit du Livre unique, devenu source de lumière empruntée. La répression s’accoquine lourdement avec le refoulement, pour brider les mouvements pulsionnels qui ont débordé franchement durant au moins une décennie. Aux pressions des nouvelles sciences du cerveau, du comportement, se superpose l’emprise de la pensée religieuse. Actuellement, globalement, on se retrouve face à une certaine normalité feinte, accompagnée d’une réduction de l’intensité de la souffrance et de la névrose.
Paradoxalement, c’est dans un tel contexte que s’installe la psychanalyse. Une présence quantitative fortement affaiblie, laisse place à une véritable naissance, avec une perspective prometteuse, mais incertaine.
Les écrans culturels et le roc de la religion dans le transfert
Dans la dynamique du processus thérapeutique, l’universel et le pulsionnel l’emportent aisément sur les obstacles culturels manifestes, avec une résistance plus tenace du roc de la religion. Sur toute la période considérée, tous les patients inscrits rigoureusement dans la religion présentent presque systématiquement une problématique sexuelle d’allure perverse. « Sans ma barbe et mon kamis (La robe religieuse), je ne sais pas ce que j’aurais fait » déclare l’un d’entre eux, incapable de discipliner ses pulsions sexuelles. Cependant, aucun d’eux, ne dépasse un certain niveau du processus thérapeutique, qui serait à leurs yeux, une remise en cause de la parole de Dieu par celle de Satan. Dès que leur souffrance et leurs symptômes se réduisent sensiblement, ils brisent le travail thérapeutique. De façon générale, les écrans culturels, constituent des défenses et des rationalisations, qui cèdent progressivement devant la clarté des processus psychiques. Par contre, les fixations religieuses se posent comme un obstacle majeur au travail thérapeutique avancé. La prégnance des matériaux psychiques inconscients sur les infléchissements culturels, sont encore plus apparents dans le travail de cure. Dans ce processus, la culture et ses écrans se situent plutôt dans la sphère des pensées pré-conscientes. Ce qu’on percevait dans les psychothérapies avant la formation analytique, devient plus tangible dans les cures. Cependant, il n’est pas toujours aisé de composer avec ce matériel. Que dire de la pensée personnelle, de ses pulsions et de leurs relations à Dieu ? Que dire et comment dire au patient notre pensée spécialisée, quand il convoque ses convictions religieuses ? Ces moments sont peu évidents à négocier.
Evoquons la cure d’une jeune dame, agréable, ouverte, chez qui la religion semble fondamentale. Elle souffre d’un besoin de purification des « saletés » de sa double filiation. L’impossible définition de son identité générale et sexuelle, la torture au quotidien, au point de ne pas être agréée par Dieu. Ses prières sont indignes de cette rencontre. Comment se réconcilier avec soi-même par la cure ? Comment concilier le transfert et sa croyance religieuse ? On s’interroge également sur sa possibilité de réaliser son objectif de devenir psychanalyste. Parfois, elle perçoit avec l’analyste que « le monde ne peut s’imaginer sans saletés ; il ne peut être tout en propreté ; sans faim, on ne saurait connaître le plaisir de manger ». Le rapport entre le désir et la défense, s’invite sur le divan, entre accepter la parole de la cure et celle du Ciel. Le conflit s’élargit au français qu’elle manie bien, tout en déclarant souvent une incompréhension bizarre, devant des mots faciles et courants. Son niveau de lecture s’approche de zéro, pour une femme qui a fait six ans d’université. Ce n’est qu’après deux ans de cure, qu’elle commence à lire de la psychanalyse, en commençant par les ouvrages de son analyste. Comment conduire une personne à s’identifier à elle-même, à s’approprier une pensée libre, la pensée psychanalytique, quand elle s’interdit tout, quand elle n’est que « saletés ». Plus délicatement encore : Comment avoir la bénédiction de la psychanalyse, quand on se sent indigne de celle de Dieu et de celle de ses parents. Heureusement, que nous savons que le Surmoi, l’idéal du moi, des forces psychiques, sont derrière des interrogations existentielles aussi pénibles.
Comme tout, la cure devient une gageure, une lutte incessante qu’on s’efforce de mériter. A l’image du travail sur un acte administratif « Le certificat d’existence » en tant que professionnel en libéral. Il a fallu deux ans de cure, pour qu’elle établisse ce document qui lui permet d’habiter réellement son cabinet. Tout en elle est urgence et impossibilité de se purifier, de rencontrer son Créateur. Le travail thérapeutique prend une allure infaisable, une torture particulière. En schématisant un peu, on pourrait dire : Comment la psychanalyse peut donner le droit de vivre, si Le Créateur ne le permet pas ? Ses enfants, comme tout mouvement de vie, aussi banal soit-il, ont été arrachés de force et avec culpabilité, des griffes de ceux que les croyants qualifient de « Tabaa », l’expression d’une compulsion de répétition maléfique inéluctable. La patiente s’en tire d’ailleurs à merveille face à cette question de son enfant : « Qui aimes-tu le plus, Dieu où nous ? ». La mère répondra : « Dieu, parce que c’est lui qui vous donnés à moi ». Si cette réplique semble belle aux oreilles, elle ne réduit en rien l’idée que cette création est entachée de « saletés » et de culpabilité. Toute expression de joie, toute action de vie, doit s’exprimer subtilement, comme un arrachement douloureux. La réflexion sur la compatibilité de la psychanalyse et de la foi, est récurrente avec sa meilleure amie, également psychologue. Leur lecture est incompréhensible et floue. Les attitudes négatives de sa famille et de sa fratrie, sur son travail thérapeutique, accentuent les difficultés et ses douleurs. Son bonheur général doit être agrée ; son travail thérapeutique bute contre les siens qui doivent lui donner les chemins à suivre et font obstacle à ses choix personnels. Comment adhérer à l’idée que Dieu, comme le reste, est porté en chacun de nous à sa manière ? Si cette assertion de son thérapeute, la soulage, le renoncement à la bénédiction attendue n’est pas évident. Son nom et son prénom eux-mêmes, sont vécus comme sales et indignes d’une vie décente. Comment se reconnaître, si on ne reconnait pas totalement Dieu ? Comment reconnaître Dieu si on ne se reconnaît pas soi-même ? Des questions qui ne sont pas évidentes sur le divan, dans une société où Dieu et sa Parole sont les guides suprêmes. Nous sommes souvent sur une corde raide pour trouver les mots et les formules adaptées. Qui va lui donner l’autorisation de vivre ? D’être elle-même ? Que dire et comment faire pour garder au mieux notre position de neutralité ? Comment s’assurer la position qui n’interdit pas et n’autorise pas ? Comment rester un professionnel sans implication dans des choix qui semblent capitaux ?
L’évocation de la transmission et des différences entre générations ont favorisé un transfert vivant, en différenciant les positions et les époques ; on prend nécessairement un héritage des parents, mais on peut également se différencier d’eux. A une séance de ces dernières semaines, elle lit simultanément trois livres de son analyste : un à la maison, un au cabinet et un dans son sac, lors de ses déplacements. Sa compréhension devient plus ouverte et quelque peu performante. Elle a entamé aussi la lecture des Cinq leçons de psychanalyse de Freud. Elle reconnaît mieux la similitude entre ne pas comprendre sa mère et ne pas comprendre le français ; elle saisit mieux ce qui dit l’analyste ou un livre. Etre, devenir psychanalyste, prend l’allure d’une impossibilité à réussir, à se faire du bien, plutôt que celle d’une incompatibilité avec le Livre saint ou avec Dieu. Les positions personnelles et pulsionnelles, transparaissent devant les obstacles intellectuels et de valeurs. « Une fraction de seconde, je me suis dit « oui je serais psychanalyste ! » ». En l’occurrence ici, être capable de s’élever au rang d’une profession noble et propre ; se permettre de s’émanciper des saletés de ses filiations problématiques. Les choses s’ouvrent plus nettement sur les notions de plaisir et de sexualité dans le couple. Le travail évoque plus franchement ses inhibitions sexuelles et l’ouverture vers l’acceptation du plaisir. Cette brèche permet des meilleurs échanges et un processus plus naturel des liens entre la psychanalyse et la croyance religieuse. La patiente admet mieux la validité potentielle des deux explications, comme deux ordres différents, qui doivent être élaborées par chacun, au fond de sa pensée. On se pose mieux la question de l’être religieux comme limite ou non de la liberté personnelle, comme celle des liens entre le voile qu’on peut porter intérieurement, et du voile que nous couvre la tête. Dans la foulée, sont abordées aussi les questions de liberté avec soi-même et de la qualité personnelle de la relation à Dieu. La patiente relativise l’accueil négatif qu’à ses yeux, Dieu réserve à ses prières. Elle s’est toujours sentie indigne de recevoir autre chose qu’un refus. Le contexte de guerre à Gaza ne facilite pas ses positions d’ouvertures et complique ses défenses. Relativiser les choses à l’intérieur de soi-même, c’est prendre une distance coupable par rapport à ses appartenances. La réalité extérieure est de nouveau convoquée contre les mouvements pulsionnels de vie. Prier pour les victimes permet d’équilibrer entre les positions conflictuelles.
Que faire de telles positions : « Bien vivre dans ce monde, c’est assurer l’enfer après ! » Ou encore : « Une personne vraiment pratiquante ne doit pas s’occuper de la vie sur terre ». A chaque mouvement de vie, elle se sent « honteuse » vis-à-vis de Dieu. Dans un tel contexte aussi fermé, il n’est pas aisé de dire : « Ce que vous dites, ressemble à ce que vous dites habituellement de vos parents ? ». La patiente réagit par une tendresse, associée aux larmes, face à l’image du père qui « a toujours été compréhensif et bon ». Un père sali par la parole d’une mère, qui donne une image dévalorisante de la lignée paternelle. « Ma mère nous a toujours appris qu’il était mauvais ». Dans des séances de cette période, la patiente associe sur la sexualité des parents et sur le désarroi d’une fille face à son intimité. Elle a été laissée seule face à des représentations négatives, voire perverses, dans la bouche de la mère. Le corps, l’intimité, le Moi, sont salis.
Le contenu de deux séances de début décembre, précise mieux la portée de ce processus qui prend une allure plus heureuse. La patiente s’est absentée trois séances de suite. D’emblée, elle explique une fièvre exceptionnellement intense, par une forte culpabilité et une forte peur, reliées aux thèmes précédents, centrés sur Dieu et la sexualité. « J’ai peur qu’on se rende compte que je vis normalement ». La patiente exprime sa crainte qu’un jour viendra où elle enlèvera son Hidjab et qu’elle renoncera à des prescriptions religieuses fortes. Un moment où elle remettra en cause la parole indiscutable de Dieu. Elle ne lit plus le Coran et n’a plus le bonheur associé à cette lecture. « Je ne sais plus où est le bien ; c’est un conflit ; ce n’est pas clair ; je ne sais pas ». La patiente exprime son bonheur de retrouver ses séances après cinq jours de forte maladie. Son mari lui offre des bottes et une veste. Elle trouvera des défauts aux deux, sans savoir si c’était une façon de s’interdire le bien et la chaleur que lui apporte la veste ; ou bien, une façon de s’affirmer et d’affirmer ses choix. Elle résout le conflit en se faisant confiance, allant jusqu’à commander de meilleurs produits sur internet. Le même conflit s’est exprimé à propos de l’achat d’un Khimar, avec une solution identique : accepte de l’acheter pour se tenir au chaud. Son sentiment est qu’elle s’est rendue malade pour la première fois. Avec un long développement où elle s’appuie sur les souvenirs de la petite fille qui a connu des tensions semblables : des achats qui l’ont rendu joyeuse et d’autres malheureuse. Elle évoque sa compréhension « qu’il faut beaucoup de travail pour accepter de se faire du bien ». La dynamique se termine par des interrogations sur ce que ses parents ont fait ou non pas faits pour elle, avec l’expression de sa souffrance que sa mère ne dit jamais de compliments et d’encouragements. Pour la première fois, elle voit la couleur de ses cheveux et constate également qu’ils sont beaux. Elle voit également les bienfaits qui l’entourent et se permet pour la première fois un nettoyage de peau complet. « Finalement, je suis capable de me faire du bien ». Elle va sérier les vêtements mis durant les fêtes religieuses, depuis petite fille jusqu’à son mariage, en se centrant sur la problématique : le vêtement convient ou ne convient pas, il l’a défini ou ne la définit pas. A l’image de sa déformation de mon propos « s’offrir » qu’elle entendra en « souffrir ». « En une effraction de seconde, quand vous avez dit ça. J’ai pensé à ma mère. Est-ce qu’elle acceptera ou pas que je mette quelque chose qui me réchauffe ». Rajoutant « Ou le fait qu’elle n’accepte pas des choses pour elle, elle ne peut pas l’accepter pour moi ; ou je dois rester solidaire pour qu’elle m’aime » c’est-à-dire avoir le même destin.
Et, on revient indéfiniment, à l’idée d’être acceptée ou pas, d’avoir ou pas la bénédiction des parents et de Dieu. « Pourquoi je pense que je ne suis pas leur fille ? (…) Du moment que je cherche des preuves, oui (..) Je doute voilà ! » ;
Pour un psychanalyste, il n’est pas étonnant d’observer combien l’impossibilité de rencontrer Dieu, soit reliée à l’impossibilité de capter l’amour des parents, d’être accepté par eux. Cette vignette indique combien les croyances et les convictions religieuses s’invitent lourdement sur le divan. Si les processus psychiques et pulsionnels sont universels, la relation thérapeutique, le transfert, sont rendus compliqués et sensibles par le système de valeurs du patient et par les pressions de l’environnement social et familial. Plus qu’ailleurs, le psychanalyste doit rester prudent et savoir choisir le moment et les mots pour ne pas compromettre le processus de la cure. En même temps, se pose la question de la possibilité, que des personnes aussi ancrées dans la pensée religieuse, puissent devenir psychanalystes. Précisons que cette patiente a de réelles ambitions de s’épanouir et de se réaliser en tant que personne. Cette force lui permet de lutter et de poursuivre un travail de cure qui l’anobli dans tous les sens du terme. Sans cette aptitude, le travail serait arrêté depuis longtemps, comme chez d’autres patients, soumis plus profondément à la religion. Les autres candidats à la cure, profitent de ce cadre, exceptionnellement ouvert à la parole libre, dans une société fermée. Pour l’instant, deux raisons expliquent leur adaptation réussie à la cure. La première, est qu’ils sont des psychologues au fait de la théorie et de la pratique psychanalytiques ; ils sont tous issus de nos formations continues. Deuxièmement, ils sont originaires de Kabylie, où les esprits sont moins marqués par une position religieuse rigoureuse. Au passage, notons une différence essentielle entre Alger et Azazga, dans les prises en charges des enfants et des adolescents. Dans la capitale, il n’est pas rare que les familles se fixent fondamentalement sur le comportement moral de l’enfant. « Pourquoi il ne fait pas la prière à l’heure ? Pourquoi elle se maquille ? Pourquoi, elle aime ? ». À l’inverse, en Kabylie, beaucoup de parents restent centrés sur l’épanouissement de l’enfant, souvent bien avant l’élève et les études. La coopération des familles est plus nette et plus agréable.
Un problème délicat du travail thérapeutique réside dans un fort besoin d’étayage, avec ses conséquences, l’exigence d’un soutien, souvent associée à un accrochage sur des conseils. La distance entre les attentes du patient et les attitudes techniques du thérapeute sont parfois difficiles. Trop distant, on frustre le patient, voire on le perd ; répondre à ses exigences ne correspond pas à la nature du travail.
Sinon, l’obstacle pratique le plus important réside dans les transports aléatoires, qui compliquent considérablement le travail, avec la nécessité d’aménager le cadre. Il est exceptionnel d’avoir une cure distribuée sur des séances réparties sur trois jours. Pour être bref, on peut dire que le patient arrive une heure à l’avance ou une heure en retard, en partant à la même heure. Ces aléas imposent l’option de deux déplacements en faisant deux séances en une matinée. Concrètement, un déplacement de cent kilomètres, peut se faire en deux heures, comme il peut se faire en quatre heures ou plus. Les patients, notamment les femmes, errent souvent malgré elles dans la ville, où il n’est pas aisé de trouver un endroit intime pour leurs besoins urgents.
La décennie de psychanalyse :
Après une décennie de psychanalyse, sa place paraît pertinente et irremplaçable. Non seulement, elle apporte un sens (des sens) à la souffrance psychique, mais elle résout des situations jusque-là rebelles à tout traitement. Les personnes sont souvent soulagées de savoir que leurs difficultés ne relèvent pas d’un problème du cerveau, comme elles ne sont pas liées à des forces extérieures maléfiques (sorcelleries, malédiction parentale ou divines). Ils découvrent avec l’avancée du processus thérapeutique, combien les pensées personnelles (négatives) sont difficilement réversibles.
C’est dans les consultations thérapeutiques avec les enfants et les adolescents, que les résultats sont plus palpables. Alors que les autres pratiques se focalisent sur les facultés de l’enfant (intelligence, mémoire, attention, etc.) la psychanalyse apporte des significations salutaires, liées à l’histoire et à la dynamique familiale. Il n’est pas rare de régler des troubles tenaces, juste en prescrivant des changements dans la famille : sortir l’enfant ou un membre de la fratrie de la chambre familiale ; faire entrer un frère ou une sœur à la crèche ; montrer le lien entre les difficultés de l’enfant et la grossesse de la mère ou la naissance d’un puiné. D’ailleurs, un des problèmes importants que connaît le système éducatif algérien (famille et autres institutions), concerne sa propension à méconnaître les initiatives à l’autonomie de l’enfant et donc de l’adulte en devenir. Les fixations sur les données biologiques, sur le cerveau, doublées d’un appui serré sur la religion, réduisent fortement l’intérêt des stimulations relationnelles et humaines. Rencontrer un psychanalyste dans un contexte aussi réducteur de la dynamique personnelle et historique, relève de plus en plus d’une véritable chance. De nombreux parents et enfants, sont comme réveillés d’une torpeur profonde. Beaucoup d’adultes sont étonnés qu’un enfant, parfois avancé dans l’âge, comprenne des choses banales. Les parents font dormir un enfant dans leur chambre, alors qu’il est scolarisé, parfois même pubère. Beaucoup de professionnels examinent l’enfant sur toutes les coutures, en vain. Sorti de la chambre, ce dernier redevient un autre et perd comme par magie son symptôme. Il redevient serein, vivant, alors qu’il était agité et tourmenté ; ses compétences générales sorte d’inhibitions parfois invalidantes qui le font considéré comme « arriéré ».
On met sur le compte d’explications générales de « crise d’adolescence », du « stress », une anorexie sévère d’une jeune fille, alors qu’elle est dans une incapacité avérée, mais transitoire, de prise d’autonomie vis-à-vis des parents. Comme son amie, elle s’apprêtait à partir étudier à l’étranger. Elle développe une phobie caractérisée des transports, associée à une anorexie sévère qui réduit sensiblement ses formes de femme, tant sa maigreur est vive.
L’écoute psychanalytique des conflits inconscients, des enfants et des adolescents, ouvre une perspective pertinente et irremplaçable.
Certaines thérapies brèves, tendent dans la même direction. Un homme refoule ses tendances homosexuelles et une identification négative au père, jusqu’à un âge (près de quarante ans) à l’irruption intense d’attaques d’angoisses insupportables. Un peu comme si ces dernières lui disaient « Réveilles-toi, jusqu’à quand ton identité sexuelle doit rester indéfinie, bloquée ! ». Comment peut-il être aidé sans les significations des processus inconscients de la bisexualité et des identifications complexes. Il se sent devenir fou ou un nerf allait se briser physiquement en lui. L’accès à des pensées théoriques proches du pré-conscient, le soulage progressivement, en attendant un travail plus avancé. De façon générale, les patients découvrent avec soulagement les processus psychiques en eux, notamment des notions freudiennes essentielles qui mettent de l’ordre dans leur vie ou dans leur famille :
- Leurs souffrances prennent sens par rapport à des pensées internes inconscientes (refoulement) et non par rapport à des manques dans leur cerveau (leur constitution) ou à des attaques par des forces extérieures occultes (Dieu, malédiction, « djins », sorcellerie, etc.)
- Prévalence du passé infantile et des transmissions générationnelles.
- Le rêve, le fantasme, la scène primitive et le conflit œdipien, sont particulièrement salutaires dans le travail de psychothérapie. Ces notions essentielles éclairent fortement les choses malgré les résistances.
Ces concepts fondamentaux de la psychanalyse, apportent régulièrement la preuve de la pertinence et de l’efficacité du processus thérapeutique.
La nature surprenante des demandes de cure
Il est banal pour un psychanalyste de constater qu’une souffrance avérée constitue la motivation première de la recherche d’une cure psychanalytique. Dans le cas de notre expérience, pour les raisons déjà évoquées, on s’attendait à ce que la motivation principale serait celle de devenir psychanalyste, surtout qu’une partie des postulants exercent en profession libérale et semblent relativement équilibrée. Il est surprenant d’observer que peu de candidats ont sollicité ce travail pour des besoins professionnels. La majorité d’entre eux, a réfléchi longtemps avant de s’aventurer dans ce projet. Mêmes les bénéfices du métier inclus dans cette demande, visent essentiellement la réduction de leurs limites personnelles qui rendent difficile la relation thérapeutique. Bien qu’au fait de la psychanalyse, ils sont surpris de la qualité de cette thérapie et des changements substantiels survenus dès les premiers mois, voire dès les premières semaines. Leur venue tardive à la cure est malheureusement dommageable pour l’avenir de la psychanalyse en Algérie. Si ces candidats sont intéressants et assez bien formés, leur âge suffisamment avancé ne laisse pas de temps pour leur participation au développement de cette discipline. De ce point de vue, il s’agit presque d’une course contre la montre. Les jeunes sont plus rares et mal formés. L’avenir de la psychanalyse en Algérie, dépend beaucoup de la longévité et de la santé des futurs psychanalystes. Par ailleurs, le nombre appréciable des postulants à la formation est trompeur. La période actuelle est favorable en raison d’un travail de sensibilisation formidable effectué durant près de trois décennies. Sur une dizaine de futurs psychanalystes, seuls deux se situent largement au-dessous de la moyenne des autres qui est environ de 55 ans ; plus de la moitié a presque 60 ans. Ils finiront leur formation à l’approche de 70 ans. L’avenir est certainement meilleur par rapport au passé. Mais il paraît moins prometteur que la décennie actuelle, qui vit sur les traces d’un passé florissant.
Vignette clinique d’un garçon, Mohsa, 12 ans,
Garçon assez grand et fort. Il est vu avec sa mère, au foyer, et son père, maçon. C'est surtout la mère qui parle, très inquiète pour son fils, notamment pour ses études. La sœur de 7 ans et le frère de 5 ans, sont restés sagement dans la salle d’attente ; leur calme et l’écart d’âge ont aidé à cerner la problématique. On apprend que le garçon a changé en deuxième année de scolarité, et il risque actuellement de refaire l’année. Son changement coïncide avec la naissance de sa sœur. Les parents ont perçu ce lien, sans lui accorder d’importance. La maman dira qu’elle lui fait encore ses lacets et que sans elle, le garçon ne peut pas étudier. Elle affiche sa joie que son fils puisse lui acheter des choses à l’épicerie d’à côté. En Algérie, il est courant que des enfants nettement moins âgés, fassent régulièrement de tels achats. Durant trente minutes, la consultation n’est faite que de répétition de thèmes en rapport avec cette problématique : une régression ignorée par la mère et les professionnels vus auparavant. La mère adhère aux exigences infantiles de son fils, en exprimant bruyamment son inquiétude sur son avenir. Elle reste fixée sur ses craintes et sur les limitations de son fils. Les propos récurrents du thérapeute arrivent à peine à ses oreilles. Ses peurs, le manque de confiance en elle et en son garçon, mettent en échec la parole qui donne les sens de ces difficultés et les possibilités certaines de les dépasser. Le père est lui, nettement plus sensibles aux attitudes techniques habituelles, qui expliquent les symptômes et incluent des recommandations appropriées. Exemple, plutôt que de se contenter d’attacher les lacets, « On pourrait dire, vient mon petit, vient mon bébé, je te mets tes lacets. Regarde comment elle fait maman. J’espère que tu pourras bientôt pouvoir le faire seul comme un grand. Je sais que tu peux, etc. » Des choses du genre, qui tiennent compte provisoirement de la position régressive de l’enfant, tout en adoptant une position de parent qui encourage à apprendre et avancer dans le développement pour mieux habiter son âge. En général, les parents qui consultent (ou l’un d’entre eux) se focalisent sur ces limitations comme si elles étaient irréversibles. Ils agissent comme si leur enfant était condamné, sans compétences potentielles ; ce qui leur fait perdre confiance en leurs compétences de parents. Dans ce cas, le père, moins anxieux, est à l’écoute et apporte un matériel allant dans la bonne direction. Sensible au langage de la consultation, il évoque des éléments de l’histoire qui explique la situation de l’enfant : une complication à la naissance qui a nécessité une hospitalisation et ensuite des visites régulières à l’hôpital ; la naissance de sa sœur a bouleversé la vie de ce garçon précieux, premier de la famille élargie. Il a profité durant cinq ans de l’attention de toute la famille. Son entrée à l’école vient troubler davantage la perte de cette position. Le père dira que le garçon vomissait à chaque fois qu’il voyait sa sœur, comme s’il perdait sa mère une deuxième fois.
La mère menace souvent le petit de l’empêcher de sortir et autres punitions, s’il continuait à faire des bêtises à l’école et à chaque fois qu’il ne donnait pas satisfaction. Le père, à l’écoute, approuve les nécessités évoquées par le thérapeute, la mère s’accroche aux symptômes et aux comportements régressifs de l’enfant. Comme d’habitude, dans ce genre de cas, la consultation est faite de répétitions et de clarifications « des bouleversements qui font parties du développement humain et qui sont le plus souvent réversibles, parfois rapidement, malgré leur caractère spectaculaire ». On multiplie la nécessité de se faire confiance en tant que parent, de faire confiance à l’enfant, de lui donner un peu de liberté et de responsabilité de lui-même, de le laisser-sortir. Le père le prive pour son comportement inapproprié, la mère par peur qu’il tourne mal, c’est-à-dire qu’il ne se développe pas comme un enfant normal. On évoque les manières différentes de punir un enfant. Tout se passe comme si la mère pense que l’enfant de 12 ans n’existait pas en son fils. Ce regard favorise sa régression et l’enferme dans la position du plus jeune et du plus immature de la fratrie. La mère a du mal à entendre les arguments, selon lesquels, son âge est en lui et que les blocages qu’il connaît peuvent partir progressivement. Elle pense, comme beaucoup de parents et aussi de nombreux professionnels, à un retard irréversible. Il faut toujours du temps dans la consultation et après, pour réduire la position maternelle fixée sur ses peurs. La lumière qui jailli du visage de l’enfant ou de sa parole, transforme les parents. La réduction sensible et souvent rapide de la symptomatologie, ainsi que les gains manifestes chez l’enfant, redonnent espoir et confiance, en particulier à l’adulte dont les représentations sont abîmées par la situation. A l’inverse de ce qui se passe dans les visites médico-psychologiques tentées sans changement apparent. Il n’est pas aisé d’entendre un propos inhabituel quand on a perdu confiance, surtout avec des tentatives infructueuses de soins. Aucun professionnel vu auparavant n’a pu leur montrer la nature régressive des difficultés de leur fils, une position faisant partie des crises naturelles du développement. Comme il arrive régulièrement, le thérapeute explique les différences de conceptions avec les spécialistes vus auparavant. Ces incohérences entre professionnels ne facilitent pas la situation des parents et n’aident pas à l’élaboration des conflits sous-jacents. A l’image de nombreux enfants et adolescents, qui ont la chance de rencontrer un psychanalyste, l’enfant a quitté rapidement sa position régressive pour se poser « fièrement » comme l’aîné de la famille. La mère a repris confiance dès cette première consultation, qui a réduit ses peurs ainsi que les inhibitions générales du garçon. Comme souvent, ce dernier, a adhéré aisément aux paroles de l’analyste, soutenu par les attitudes positives du père. Le garçon a eu moins peur de son statut d’aîné. Il a rapidement récupéré la confiance en lui et en l’amour de ses parents.
C’est exemple condensé illustre l’apport inestimable de la consultation d’un psychanalyste qui remet la symptomatologie infantile dans la dynamique et l’histoire de l’enfant, dans une perspective transgénérationnelle. Là où l’écrasante majorité des intervenants cherchent les failles dans les facultés de l’enfant. Souvent, à l’image de cette mère, les jeunes psychologues restent longtemps sans solutions face à la lourdeur apparente des symptômes.
Conclusion
Cette rencontre n’est pas initiée seulement pour apporter un éclairage sur l’état et le destin de la psychanalyse en Algérie. Elle est aussi un moyen d’impulser un peu de souffle à l’articulation entre les membres de la Société issus des deux rives de la méditerranée. Un lien sans lequel nous aurons du mal à vivre et surtout à garder une pensée et une pratique psychanalytique performantes. Atomisés, dans un environnement peu favorable, cette soudure semble indispensable aux collègues de notre continent.
Être psychanalyste en Algérie est une chance formidable. Mais travailler à développer cette spécialité dans un climat difficile, est source de tourments permanents. Son importance pour les gens qui souffrent, fait que ce combat mérite d'être mené.
Références bibliographiques
Si Moussi Abderrahmane et Ourari-Si Moussi Mira (2017), La psychothérapie d’inspiration psychanalytique en Algérie. Névrose individuelle et névrose collective, L’harmattan, Paris.
Si Moussi Abderrahmane et Riadh Ben Rejeb, Roger Perron et les deux rives de la Méditérranée, Revue Française de Psychanalyse, 2023-2, 411-419
Si Moussi Abderrahmane (2023), Psychanalyste en Algérie, Editions L’odyssée, Algérie.
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