(Paru chez Ithaque en Aout 2023)
Érudit et profond ce livre essentiel est d’une grande originalité, il dévoile des aspects fort peu décrit de nos institutions psychanalytiques.
Manuela Utrilla examine sans complaisance et avec subtilité la vulnérabilité de sociétés où contrairement à l’esprit de la psychanalyse peuvent régner l’intolérance, le fanatisme sous toutes ses formes et ce que l’auteur nomme « le terrorisme intellectuel ».
Les petites sociétés sont plus fragiles que les autres, les difficultés car les conflits initiaux se transmettent d’une génération à l’autre.
Manuela Utrilla elle essentiellement Freudienne mais se réfère également à Mélanie Klein, Winnicott, Michel Fain entre et à des philosophes et écrivains comme Héraclite, Plotin, Russel, Edgar Morin, Pablo Neruda, Montaigne et Stefan Zweig.
Pour elle les ingrédients du fanatisme sont essentiellement le dogmatisme, un manque d’esprit critique, une certaine radicalité, l’intolérance, la volonté de puissance.
Sous le titre : « Le Terrorisme Intellectuel » M. Utrilla va dresser un portrait saisissant, dont elle affirme que « toute ressemblance avec des personnes réelles est fortuite ».
Elle campe donc une petite société d’analyse imaginaire où une collègue très renommée, reconnue pour ses grandes capacités théoriques mais décrite comme manipulatrice et assoiffée de pouvoir aurait régné sur plusieurs générations de psychanalystes. Sa capacité de séduction serait immense comme le sadisme et la destructivité qu’elle aurait exercés sans limites.
Sa méthode reposait sur un mépris affiché pour « le manque de talent » et l’ignorance des collègues comme sur des amitiés passagères qui lui faisaient élire de jeunes membres qu’elle couvrait de compliments et dont elle se disait pour un temps l’amie protectrice. Peu après elle les laissaient brutalement tomber et les remplaçait. Ceci donnait naissance à des rivalités, créant un climat délétère. Cette personne déplorait ouvertement la pauvreté du niveau général de sa société, attaquant ainsi sans relâche l’estime de soi de ses collègues.
Le cas d’école imaginé par M. Utrilla me semble fort intéressant car il dévoile une réalité terrifiante, soit qu’il suffit parfois d’une seule personne, pour mettre à mal une institution psychanalytique.
Cette description a de plus l’intérêt de mettre en lumière l’autre face de ce phénomène : soit l’extrême soumission de la plupart des analystes face à de telles personnalités, dès qu’elles exercent un pouvoir intellectuel.
L’auteur démonte avec subtilité les enchainements qui de l’intolérance mène au fanatisme. « Le fanatisme en psychanalyse » est le titre du chapitre II.
C’est en véritable clinicienne que Manuela Utrilla nous montre comment l’omnipotence infantile alimente la destructivité.
Elle fait de Calvin et de Savonarole (1) des figures emblématiques du fanatisme. Passion pour leurs idéaux, self -grandiose, omnipotence, austérité, rigidité sont des avatars d’un narcissisme négatif exacerbé. Cela conduit d’ailleurs l’auteur, comme son lecteur, à interroger le fanatisme qui pourrait couver en chacun d’entre nous.
La question posée par ce livre me semble concerner la complémentarité entre le « leader charismatique » qui considère avoir pour mission d’éduquer et de convaincre et la passivité/docilité de suiveurs. On peut évoquer la crainte, l’arrivisme mais ne faut-il pas aussi admettre que penser par soi-même équivaut à prendre un risque or pour certains ne pas penser est confortable.
Ces réflexions conduisent naturellement à la question cruciale de la transmission. La transmission n’est pas seulement l’éducation, transmettre la psychanalyse doit être transmettre une liberté intérieure or il existe des sociétés où au lieu de transmettre on éduque.
Prenons pour exemple un séminaire clinique au cours duquel un candidat exposerait un matériel de cure, d’autres seraient conviés à discuter et exprimer librement leurs idées.
Si au lieu de faire travailler les idées des uns et des autres, de proposer des liens avec la théorie le superviseur gardait un silence absolu puis donnait dans les 5 dernières minutes la « bonne interprétation » sans tenir aucun compte de ce qui a jusque -là été dit, il forcerait peut-être l’admiration mais renforcerait la mésestime de soi des participants.
Manuella Utrilla montre fort bien combien il est facile et hélas classique, d’attaquer le respect de soi et la dignité de jeunes collègues.
Dans le type de sociétés il suffit d’un ou deux leaders de ce style parmi les fondateurs pour que le groupe fonctionne sur un mode symbiotique et par exclusion. Tout candidat ou membre même expérimenté, qui dénonce ou refuse de s’incliner est exclu.
Il peut paraître absurde de comparer le fonctionnement d’une Association d’analystes à la gouvernance d’un pays et pourtant on y retrouve les mêmes ingrédients : soif de pouvoir, fanatisme, narcissisme exacerbé d’un côté ; soumission, peur de penser, identification à l’agresseur de l’autre.
Ce livre m’a amenée à réfléchir non seulement sur les associations d’analyse mais aussi sur nous-même. À des degrés divers l’intolérance est humaine. Ce qui est différente fait toujours peur. Nous voudrions penser que le travail analytique nous met à l’abri de l’intolérance et des certitudes, or c’est faux.
Pour ceux qui acceptent l’incertitude , l’erreur , les errements parfois douloureux cette lecture me semble magistrale et indispensable.
[1]dominicain ascète et fanatique qui régna sur Florence de 1494 à 1498 où il fut condamné par le pape Alexandre IV.