Freud, au crépuscule de sa vie, en 1937, a eu l’intuition de désigner un « roc », qu’il a nommé : « Le refus du féminin, dans les deux sexes, une part de cette grande énigme de la sexualité ».
Le refus du féminin se manifeste particulièrement lors de l’épreuve de la puberté, avec son caractère d’inquiétante étrangeté. Ce qui fait effraction, c’est l’entrée en scène du sexe féminin, du vagin, lequel ne peut plus être nié.
L’apparition du visible du sang marque avant tout le surgissement du sexe féminin, le passeport vers la maturité féminine. C’est le signe le plus évident de la différence des sexes.
Les règles peuvent provoquer de la honte, du dégoût, une impression de souillure et la peur d’une tache qui trahit. Elles peuvent aussi être vécues sous le sceau de la castration, de la promotion, ou de la malédiction inhérente au destin féminin, selon le contexte de l’identification à la mère et de l’attitude du père vis-à-vis de la féminité.
Comment, chez une fille, vivre ces transformations corporelles, qui ne sont plus du côté du manque, puisqu’il lui pousse, non pas un pénis, mais des seins ? Quand les fantasmes liés aux modifications de son corps l’approchent dangereusement de la scène primitive et de la réalisation incestueuse ? Et comment s’arracher à l’imago maternelle, quand son corps se met à ressembler au corps de la mère, au risque de réactiver des angoisses de confusion ?
Par ailleurs, aucun changement ne fascine aussi rapidement les garçons et les hommes que la poussée des seins. Celle-ci propulse une jeune fille sous les projecteurs de l’attention dérangeante des hommes, qui peuvent être parfois de l’âge de son père. Des représentations angoissantes de pédophilie et d’inceste peuvent provoquer des manœuvres de contention des seins et le port de vêtements destinés à les dissimuler.
Le refus peut être alors celui de toute rencontre amoureuse ou sexuelle.
Certaines figures du refus du féminin sont à considérer comme des étapes du passage difficile de l’adolescence entre la capacité bisexuelle de l’enfance et le choix sexuel de l’âge adulte.
Mais que se passe-t-il quand on est devant un refus radical du féminin chez une jeune fille ?
Un phénomène actuel envahit la clinique et la société d’aujourd’hui. Il s’agit de la « dysphorie de genre » et de la demande d’un changement non seulement de genre, mais de sexe.
Trois questions essentielles se posent :
Premièrement, comment une inacceptation de soi, banale à l’adolescence, évolue-t-elle jusqu’à une haine de soi, qui pousse à vouloir transformer son corps ? La chirurgie esthétique a de beaux jours devant elle, mais ce n’est qu’un moindre mal au regard d’une chirurgie du sexe. Pourquoi et comment un « refus du féminin », peut-il virer en haine du féminin, et conduire une fille à se livrer à des passages à l’acte ?
Deuxièmement, pourquoi, alors que leur souffrance est réelle, et que leurs demandes sont souvent l’écran de bien d’autres pathologies, ces adolescents, filles et garçons, ne sont-ils pas entendus à un niveau plus essentiel de leur psychisme ?
Chez les personnes adultes reconnues comme transsexuelles, le projet de transition est mûrement réfléchi, soumis à l’épreuve du temps, et soigneusement programmé. Celles que j’ai suivies, en dialogue avec Colette Chiland, ont peu d’analogie avec des « transgenres ». Elles ne disent pas « Je me ressens », mais « Je suis » de l’autre sexe.
Troisièmement, la vraie question ce n’est pas la demande adolescente, qui est l’expression d’un authentique mal-être, mais c’est la réponse de certains adultes. Ceux dont les pratiques expéditives mettent en danger le développement sexuel des enfants et des adolescents, qui sont en grande majorité des filles. Ceux qui adhèrent à une idéologie qui oriente le corps d’enfants ou adolescents parfaitement sains vers des traitements hormonaux à vie ou à des mutilations chirurgicales irréversibles. On peut changer d’apparence, mais on ne peut pas changer de sexe.
Pour les cas où la demande a fait l’objet d’une investigation approfondie, je vais proposer, en 9 points, quelques hypothèses psychanalytiques susceptibles d’éclairer une demande impérative de changement de genre.
- Peut-on parler d’une abolition de l’inconscient ?
Les adolescents, filles ou garçons, qui demandent un changement de sexe, se déclarent « transgenre » à partir de la seule conviction qu’ils ne sont pas « nés dans le bon corps ». Ils exigent que ce seul « ressenti » subjectif soit reconnu comme légitime par le social. Le « Je me sens mal dans ma peau », d’un adolescent en mal d’identité et d’identifications, est devenu « Je ne suis pas né dans le bon corps et je désire en changer ». Son crédo-cogito se décline ainsi : « Je ressens, donc je suis », « Je dis, donc je suis, et je le revendique ». « Tous ceux qui s’y opposent sont transphobes et me veulent du mal ».
Le domaine de l’inconscient devient alors objet de négation, voire de haine. Il s’agirait d’abolir la blessure narcissique infligée aux humains, selon laquelle « le moi n’est pas maître en sa demeure ». Alors que dans l’inconscient, le contradictoire est à son aise, le conscient fonctionne sur un principe d’identité. Dans le moi de l’auto-détermination, aucun doute n’a d’existence.
Ces demandes sont aussi celles de réparation sociale, en raison d’un sentiment d’injustice. Pourraient-elles entrer dans le cadre des « Exceptions », que Freud décrit dans « Quelques types de caractère dégagés par la psychanalyse », à propos du personnage de Richard III de Shakespeare ?
Freud écrit : « Nous croyons tous être en droit de garder rancune à la nature et au destin en raison de préjudices congénitaux et infantiles, nous réclamons tous des compensations à de précoces mortifications de notre narcissisme, de notre amour-propre ».
Ce qui devrait inciter les consultants à explorer les traumatismes les plus précoces, et les blessures narcissiques ineffaçables qu’ont pu subir les adolescents. Ceux-ci, il est vrai, refusent la plupart du temps de se soumettre à des investigations d’ordre psychologique, estimant qu’eux seuls savent qui ils sont, mieux que ne le savent leurs parents, ou les psychiatres. Ceux qui s’opposent à leur conviction sont fuis, et qualifiés de transphobes. Ils pourraient dire : « Nous sommes des exceptions, nous n’avons pas à nous justifier ».
Et Freud de poursuivre : « Nous ne quitterons pas le chapitre des « exceptions » sans observer que la prétention qu'ont les femmes aux privilèges et à être dispensées de tant d'obligations de la vie repose sur cette même base... La raison pour laquelle tant de filles en veulent à leur mère a pour racine ultime ce reproche que celle-ci les ait fait naître femmes au lieu de les faire naître hommes ».
C’est précisément la majorité des filles qui pose cette demande de transidentité. Dans les pays occidentaux, on parle aujourd’hui d’un pourcentage de douze jeunes filles pour un garçon qui demandent à « changer de sexe ».
Alors, pourquoi les filles ? Nous allons tenter quelques hypothèses.
- Serait-ce une haine de la puberté?
Dans son article « Le tabou de la virginité », Freud distingue trois tabous. Le premier est le « tabou du sang », particulièrement celui de la femme : défloration, règles, accouchement, etc. Puis le « tabou de l'étranger », de tout ce qui est premier, nouveau, inattendu et inquiétant, comme le premier coït (j’y ajouterai les premières règles). Le dernier tabou s'étend à « tous les rapports sexuels ».
Ces trois tabous, qui concernent toute jeune fille, peuvent faire de ce passage pubertaire une épreuve douloureuse et insupportable.
La haine de cette mutation peut se traduire en des rites privés, auto-sacrificiels, où l’adolescente met son corps en jeu, opère des sacrifices sur son corps ou de son corps.
C’est le cas des rites de scarification, d’automutilation ou ceux de l’anorexie mentale. L'anorexie et la boulimie concernent ce que j’ai nommé les « angoisses de féminin », celles de l'ouverture et de la fermeture du corps, et témoignent de l'échec de leur élaboration. La boulimique y répond par l'acte de remplir, l'anorexique par celui de fermer toutes les issues, les orifices. Tomber enceinte prématurément peut y renvoyer.
Les rites de scarification peuvent prétendre exercer une forme de contrôle sur cet inévitable du sang. On sait qu'actuellement les femmes ont la possibilité de retarder leurs règles ou même de les supprimer, selon le précepte : « Je saigne quand je veux, si je veux ».
- Serait-ce la fixation à une théorie sexuelle infantile : celle du monisme phallique ?
La demande d’une fille à changer de sexe serait-elle liée à cette précoce déception ou humiliation d’une représentation d’absence de sexe ou de sexe châtré ?
Une des premières défenses contre ce que Freud nomme le traumatisme de la perception anatomique de la différence des sexes, lors du conflit œdipien, c’est l’organisation phallique, dont l’angoisse de castration, est le chef d’orchestre.
Issue d’une théorie sexuelle infantile, celle de la survalorisation narcissique d’un sexe unique, le pénis, elle est une défense en tout ou rien qui consiste à nier la différence des sexes, et donc le féminin, assimilé à une « castration ».
Cette organisation est cependant un passage obligé, pour les deux sexes, car elle permet le dégagement de l’imago prégénitale de la mère toute puissante, de l’emprise maternelle, et la possibilité de se tourner vers le père.
Grâce à son angoisse de castration un garçon peut négocier la partie pour le tout, et renoncer à ses désirs incestueux pour préserver son pénis, avec l’appui de son identification paternelle. Mais comment une fille peut-elle négocier un intérieur qui est un tout ? x
La mère, selon Freud, est messagère de la castration, pour un garçon. Pour une fille, elle est messagère de l’attente : « Attends, tu verras, un jour ton prince viendra ! ».
Un garçon, destiné en principe à une sexualité de conquête, c'est-à-dire à la pénétration, s'organise le plus souvent, bien étayé sur son analité et son angoisse de castration, dans l'activité et la maîtrise de toute situation d’attente.
Une fille, en revanche, est vouée à l'attente : elle attend d'abord un pénis, puis ses seins, ses règles, la première fois, puis tous les mois, elle attend la pénétration, puis un enfant, puis l'accouchement, puis le sevrage, etc. Elle n'en finit pas d'attendre… Et ces attentes sont, pour la plupart, liées à des expériences non maîtrisables de pertes réelles de parties d'elle-même ou de ses objets - qu'elle ne peut symboliser, comme le garçon, en angoisse de perte d'un organe, jamais perdu dans la réalité.
La reconnaissance par le père réel de la féminité de la fille est essentielle. C’est ce regard paternel, différent du regard « miroir » de la mère, selon Winnicott, qui va marquer le destin de la féminité de la femme dans le sens du désir d’être regardée et désirée par un homme. Cet investissement paternel est ce qui peut empêcher le risque dépressif du sentiment d’absence de sexe, ou de sexe châtré.
Ce changement peut ne pas se produire, si le père ne valorise pas, méprise ou redoute la féminité de la fille, ou si elle-même le fuit par crainte de représentations incestueuses.
Cela ne l’empêche nullement d'élaborer toutes sortes de théories sexuelles infantiles, et de penser que tout irait mieux si elle-même avait un pénis. Sa ruse inconsciente sera d’adopter la logique phallique, en l’espèce d’une « envie du pénis », laquelle est narcissique et non érotique. Car ce qu’elle vise c’est le phallus, emblème de la valorisation et du pouvoir du porteur de pénis, qui préside à la domination masculine. Un symbole idéalisé, et même divinisé dans certaines civilisations.
Cette envie du phallus pourrait-elle devenir un impératif catégorique : celui de changer radicalement de sexe ?
- Serait-ce une fixation à des angoisses prégénitales ? À la toute-puissance infantile ?
Chez une fille, c'est le ventre, l'intérieur du corps qui peut être objet d'angoisse, ou menacé de destruction, comme le théorise Mélanie Klein. Il l'est davantage par envahissement et effraction que par ce qui peut être arraché ou coupé. Les angoisses prégénitales d’intrusion sont censées évoluer vers des angoisses de pénétration. Les fantasmes de viol, très fréquents à l’adolescence, en signent le passage.
Si le développement d’une fille n’a pas évolué vers cet opérateur qu’est l’organisation œdipienne, instaurant la différence des sexes et des générations, avec l’intériorisation d’un surmoi interdicteur et protecteur, ou si une adolescente le renie, le risque n’est-il pas de faire appel à des processus archaïques ?
Les formations archaïques sont toujours prêtes à alimenter les régressions lors de conflits pulsionnels, identitaires ou identificatoires. Elles renvoient à des notions telles que le narcissisme primaire, le « Je suis le sein » de l’identification primaire, la toute-puissance de His majesty the baby. Mais aussi à l’image du tyran de la horde primitive, ayant tous les droits : ceux de s’autoengendrer, de détruire la scène primitive et toutes les identifications.
Cette toute puissance infantile représente une défense contre le traumatisme primaire de l’état d'être prématuré, néoténique, inachevé, du petit d’homme, de sa situation de dépendance, de son vécu d'impuissance.
D’autre part, le moi tout puissant de l’autodétermination, revendiqué par les adolescentes en demande de transidentité, pourrait-il être renforcé par un auto-sadisme du moi ? Celui-ci, selon Freud, est dépourvu de toute la composante érotique et liante d’un masochisme du moi. Cet auto-sadisme du moi se différencie également d’un sadisme du surmoi, héritier du complexe d’Œdipe, qui exige une autopunition.
- Serait-ce une haine de la sexualité?
Si l’identité prédomine sur la sexualité, celle-ci devient un simple exercice contingent. S’agirait-il alors d’échapper à la dépendance de la sexualité, et d’éviter d’être en manque de l’autre sexe, en décidant de devenir cet autre sexe ?
De nombreuses adolescentes qui se déclarent transgenre n’ont jamais eu la moindre expérience sexuelle ou amoureuse. Serait‐ce un acte d’évitement sexuel ? Les binders de contention et l’ablation des seins seraient-elles une ceinture de chasteté contemporaine, éloignant toute séduction ?
La société d’aujourd’hui offre aux jeunes filles des représentations qui peuvent engendrer toutes sortes de peurs, de dégoût et de rejet. En témoignent les histoires de prédateurs sexuels, les humiliations imposées aux femmes, les rites religieux concernant le sang des femmes, les interdits qui leur sont imposés dans le monde, les sites pornographiques qui proposent les images de violences réelles infligées aux femmes. Le désir de changement de sexe pourrait-il évoquer une identification à l’agresseur ?
Le corps féminin peut être objet de haine, de dégoût. Les filles éprouvent alors un rejet profond et une détestation de leur corps sexué, des seins et des rondeurs féminines. Elles ne veulent plus se regarder dans le miroir, ni se voir sur des photos.
Le fait de changer de corps pourrait-il traduire un désir d'en finir avec le sexe ?
Une confusion fréquente se produit entre l’identité sexuée et le choix d’objet sexuel. Une demande de transidentité peut être l’écran d’une tendance homosexuelle inacceptable par soi-même ou par l’entourage. En prendre conscience permettrait une évolution plus favorable.
La masculinisation des jeunes filles est une violence faite aux femmes. Au nom de l'identité de genre, en France, le mot « femme » disparaît, remplacé par « une personne qui a ses règles ».
La vague transidentitaire a créé une sorte de « novlangue », décrite par George Orwell, dont le but était l’anéantissement de la pensée. Les adolescentes utilisent un langage « formaté », une sorte de fétichisme linguistique, comme il se pratique dans certaines sectes.
- Serait-ce une haine de la différence des sexes ?
Freud écrivait à Ernest Jones en 1914 : « Celui qui promettra à l’humanité de la délivrer de l’embarrassante sujétion sexuelle, quelque sottise qu’il choisisse de dire, sera considéré comme un héros ».
Le temps est-il venu de l’accomplissement d’une telle promesse ? Les adolescents en demande de transgenre seraient-ils devenus des héros des temps modernes ?
La différence anatomique entre les sexes, chez les adolescentes, est brandie comme un obstacle majeur à la liberté d’un épanouissement supposé. Cette illusion est renforcée par l’avancée des technologies. S’émanciper de la contrainte imposée par les limites de notre corps serait en harmonie avec les tendances du transhumanisme contemporain.
Changer de sexe ou ne plus être soumis à la différence des sexes en se déclarant « binaire », serait aussi une forme de triomphe sur l’épreuve de la scène primitive et sur la blessure du renoncement œdipien.
Le rejet des repères identificatoires et de la transmission peut virer en haine des géniteurs ou des parents, ou des adultes en général, qu’ils soient enseignants ou soignants.
Le choix déterminé, autodéterminé d’un sexe ne fait que renforcer les stéréotypes du genre, au lieu de les délier. Rien de plus rigide que ce choix, qui abolit la souplesse des mouvements de la bisexualité psychique. Plus aucune place n’est laissée à l’énigme de la différence des sexes.
La bisexualité psychique est ainsi niée, alors qu’elle est fondée sur le jeu des identifications et ne concerne pas l’identité. Elle convoque toutes les possibilités de l’activité hallucinatoire et du fantasme. C’est à elle que devrait revenir d’être l’emblème d’une liberté recherchée.
La différence sexuelle est le paradigme de la différence. C'est par la sexualité et par la différence des sexes que le petit humain surgit au monde. Le premier regard posé sur lui interroge la différence des sexes.
C'est elle qui pousse l'enfant, on le sait, à une intense activité de pensée, jusqu’à élaborer des théories sexuelles infantiles. Celles qui interrogent les grandes questions de l’humanité : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? A ces énigmes que sont la naissance, le sexe, la reproduction et la mort, les adultes ont recours à la science, à la religion, à la philosophie. Le déni et les théories sexuelles infantiles sont normales et même souhaitables chez un enfant, car elles font le terreau de la sexualité infantile. Mais que deviennent-elles chez des adultes ? Les Gender theory seraient-elles des théories sexuelles infantiles d’adultes ?
Si Freud désigne le « refus du féminin » comme un roc, c’est pour signifier l’altérité du féminin, celle que le sujet, homme ou femme, doit apprivoiser en soi-même et en l’autre, pour toute rencontre. Changer de sexe, qu’on soit garçon ou fille, c'est refuser d'intégrer le féminin psychique en soi, c'est donc un refus de l'altérité.
Pourquoi, alors que les stéréotypes masculins féminins se sont assouplis et ont parfois disparu, assiste-t-on à une nouvelle radicalisation de la référence à la différence des sexes ?
- Serait-ce une haine de la toute-puissance maternelle ?
La haine du corps sexué peut renvoyer à la haine du corps maternel.
Puisque la mère ne lui a pas donné de pénis, ce qui lui vaut les plus haineux reproches, selon Freud, la fille qui ne s’est par tournée vers son père, pour changer d’objet, peut rester fixée et figée dans un amour-haine vis-à-vis de sa mère, avec un refus de toute identification.
Ce refus d’identification peut aussi advenir si la mère est vécue comme trop vulnérable pour supporter les attaques rivales de la fille adolescente.
Pour les adolescentes anorexiques, dominées par des fantasmes d'omnipotence et d'autosuffisance, la pureté consiste à éviter toute substance assimilée à la dépendance d'un corps maternel haï. L'intérieur maternel condense en termes de souillure tout ce qui est nourriture, excréments, et bien évidemment les règles. Le ventre se vide, s’amaigrit, le sang se tarit.
Cette haine vise l’imago d’une mère archaïque toute-puissante, détentrice du pouvoir de vie et de mort, celui attribué aux grandes divinités maternelles, génitrices et destructrices, déesses de la vie, de la fécondation et de la mort.
Le désir de changer de corps est celui d’un auto-engendrement. Serait-il un défi ou une revanche contre cette mère toute puissante ? Une mère qui, selon Françoise Héritier, a l’audace et l’impudence de mettre au monde aussi bien des garçons que des filles, signe d’une bisexualité intolérable.
« Ce n’est pas la femme qui a tué le père », écrivait Lou Andreas Salomé. Mais par cet auto-engendrement les filles pourraient bien avoir le fantasme de tuer leur mère. Ce qui se traduirait en ces termes : « C’est toi, ma mère, qui m’a faite fille. J’ai le droit de choisir mon sexe et de le modifier. Je suis ma propre génitrice ».
Étant donné l’évolution sociale actuelle, ce meurtre de la mère procréatrice entrainerait-il une alliance entre les filles, semblable à celle des fils meurtriers du tyran de la horde primitive, dans une communauté de féminisme radical, suscitant une haine du sexe mâle ? Les réseaux sociaux y invitent.
- Serait-ce une contagion sociale, alimentée particulièrement par les réseaux sociaux ?
Le 20ème siècle a eu son symptôme avec l’Hystérie et les « folles » de Charcot. Le 21ème siècle annonce le sien : celui de la liberté de décider de son genre sexué.
La dysphorie de genre présente les caractéristiques d’une « contagion sociale ». Aujourd’hui, les réseaux sociaux constituent un facteur amplificateur majeur de sa diffusion. On a même vu d’autres troubles croître brutalement chez les jeunes, par leur surutilisation, en période de confinement lors de la pandémie de Coronavirus.
Ce sont des identifications horizontales, qui font appel à un esprit de clan chez les adolescentes, à un désir d’émancipation et d’opposition aux parents, à une nécessité d’appartenance face à l’isolement. Elles s’opposent aux identifications verticales, qui font appel à des figures tutélaires, à des adultes interdicteurs et protecteurs.
Cette addiction des adolescentes leur fournit l’illusion d’avoir des centaines d’amis, dits « followers », ce qui n’exclut pas un sentiment d’extrême solitude. L’anorexie, l’automutilation et le suicide ont connu une hausse spectaculaire depuis l’avènement du smartphone.
C’est par les réseaux sociaux que les jeunes filles s’autodiagnostiquent, se focalisent sur les défauts perçus de leur corps, et valorisent la volonté de s’automutiler, ou de maigrir davantage. C’est là qu’elles se font piéger par les « influenceurs transgenres », qui leur communiquent les recettes destinées à convaincre ou à tromper leurs parents et les médecins.
Une telle propagation conduit à interroger le phénomène de la contagion hystérique. Celles des couvents et des accusations de sorcellerie au Moyen-âge.
Les symptômes hystériques, conditionnés par les goûts, les mœurs et la religion de chaque époque, sont fascinés par toutes les croyances, les modes, les idéologies et les endoctrinements.
- Serait-ce une nouvelle religion ?
À trop vouloir éliminer la dimension inconsciente et ses rapports avec le conscient, à trop vouloir se dégager du socle corporel biologique et anatomique, on finit par en appeler à la transcendance.
Les adolescentes qui disent « ne pas être nées dans le bon corps » parlent d’une retrouvaille avec leur « vrai sexe », leur « vraie identité », leur « moi authentique ». Un vocabulaire au parfum mystique d’une réincarnation.
Mais cette religion n’est-elle pas également partagée par les adultes, par le biais d’un semblable phénomène de « contagion sociale » ? On a connu les vagues des « troubles de personnalité multiple », des thérapies de la « mémoire retrouvée ».
Le symptôme « d’incongruence de genre » est volontairement dépsychiatrisé et démédicalisé. La différence des sexes résulterait, selon cette tendance, d’une « assignation », autrement dit d’une décision subjective à laquelle un nouveau-né serait soumis. Dans la nouvelle version du DSM, cela deviendrait : « Individu assigné mâle/femelle à la naissance ».
Or le fait d’être né garçon ou fille relève d’une réalité biologique. Une assignation à la naissance, déjà pratiquée dans le cas exceptionnel d’une ambiguïté sexuelle, intersexualité ou hermaphrodisme, est aujourd’hui remise en question. La seule assignation est de l’ordre du fantasme : celui d’un inconscient parental et de son vœu d’un sexe défini pour un enfant à venir.
Dans les procédures de « détransition », qui sont de plus en plus nombreuses, les filles reconnaissent que leur demande n’était pas liée à un problème de mal-être dans le genre, mais à une pathologie non diagnostiquée, donc non prise en charge.
Ne se révèle-t-il pas aussi chez les consultants un fantasme de toute-puissance ? N’est-ce pas se faire complice du déni de réalité auquel un adolescent se livre désespérément, en ne renonçant pas à sa propre toute-puissance ? Faire coïncider sa personne avec l’idée que l’on a de soi-même, n’est-ce pas la plus effrayante des pensées totalitaires ?
Comment oser évoquer le « consentement », chez une personne immature à laquelle des informations sur les risques de son avenir sexuel ou procréatif ne sont pas données, parce que imprévisibles, ou parce qu’elles n’auraient aucun sens ?
Une soi-disant « tolérance » à la demande de transidentité n’est-elle pas un déni de toute forme de repères qui structurent, qui font autorité et qui sont essentiels dans le développement psychique d’un enfant et d’un adolescent ? Les piliers de la civilisation que sont la différence des sexes et la différence des générations sont-ils menacés par une évolution de la société actuelle ?
« Il y a deux tragédies dans la vie, écrivait Oscar Wilde : l'une est de ne pas satisfaire son désir, et l'autre de le satisfaire ».
La deuxième n’est-elle pas la pire ?
« Est-on vraiment sérieux quand on a dix-sept ans ? »