Intervention du 26 février 2023, dans le Webinaire « Spécificités de la Psychanalyse Française », avec un public international, organisé par Bernard Chervet et Eleana Mylona.
L’intitulé de ce webinaire me semble propre à amorcer un débat sur un sujet particulièrement actuel. En effet, beaucoup de symptômes cliniques et sociaux actuels alimentent des craintes au sujet de menaces qui pèsent aussi bien sur la sexualité que sur la psychanalyse.
En 1996, André Green posait déjà une question fatale, qui portait à la sidération :
« La sexualité a-t-elle un quelconque rapport avec la psychanalyse ? »
Je vais parcourir cette question de la place de la sexualité à travers trois axes : son impact dans la découverte de Freud, son abord dans la cure, et les menacent qui pèsent aujourd’hui à la fois sur la sexualité et sur la psychanalyse.
- A. La sexualité dans la trajectoire et l’œuvre de Freud
- L’Hystérie, prélude de la découverte du rôle et de l’importance de la sexualité
C'est grâce à la sexualité que Freud a réalisé ses plus importantes découvertes. C’est à l’Hôpital de la Salpêtrière, dans le service du professeur Charcot qu'il a été amené à examiner des femmes dites « hystériques », qui faisaient l’objet de grandes exhibitions et d’expérimentations en tout genre.
C’est l’une d’entre elles, Emmy von R, à qui il faisait des pressions sur le front, qui lui a permis d’inventer la situation psychanalytique, quand elle lui a dit :
« Ne dites rien ! Ne me touchez pas ! ». Freud s’est alors mis à écouter ses patientes, et leurs fantasmes sexuels.
Freud s’intéressait particulièrement au rôle de la sexualité dans l'étiologie des névroses.
Mais quand il publie en 1905 ses Trois Essais sur la théorie sexuelle, Freud devient « celui par qui le scandale arrive ». Il a soulevé deux scandales : celui de la sexualité infantile et celui de la sexualité « à prédisposition perverse » de l’humain adulte. Il a maintenu sous le voile de l’énigme un troisième scandale, un « continent noir » à explorer : celui de la sexualité féminine, ou plutôt celui la sexualité des femmes.
Son travail avec Breuer sur l'hystérie, son investigation sur ses propres rêves qui mènera à la rédaction de son livre L'interprétation des rêves, vont lui permettre de mettre au point ses premières théories sur les pulsions, jusqu’à son important article « Pulsions et destin des pulsions ».
La référence à la sexualité parcourt tous ses articles : « Dora », « Les explications sexuelles données aux enfants », « Caractère et érotisme anal », « Les théories sexuelles infantiles », « La morale sexuelle civilisée », « Le petit Hans », « L’homme aux rats », « le tabou de la virginité », « Un cas d’homosexualité féminine », « L’organisation génitale infantile », « Le fétichisme », « Sur le plus commun du ravalement de la vie amoureuse ».
À partir de 1915, il se consacre davantage à l’étude du processus analytique, à la « métapsychologie », aux théories des pulsions et de l'angoisse, aux topiques de l’appareil psychique.
Mais, dans des articles tels que « On bat un enfant », « L'inquiétante étrangeté », « La tête de méduse », « L'organisation génitale infantile », « Le fétichisme », « Sur la sexualité féminine », « L’analyse avec fin et sans fin », on peut constater que la sexualité reste toujours en toile de fond.
- La sexualité infantile et la découverte de la différence des sexes
La sexualité infantile est une découverte essentielle de Freud. Ses propos sur la sexualité des enfants lui vaudront de telles réprobations qu’on cessera de le saluer dans la rue. Une sexualité infantile, désignée comme perverse, au sens du polymorphisme, car elle utilise pour sa satisfaction toutes les pulsions partielles et les objets partiels.
Nous dirons plutôt « l’infantile de la sexualité », car ce « sexuel infantile » demeure agissant en tout adulte jusqu'à la fin de ses jours, du fait que la poussée pulsionnelle est constante, toujours en excès, insatiable, et ne pouvant jamais être entièrement satisfaite, sinon pourquoi continuerait-elle à pousser ?
C’est par la sexualité et la différence des sexes que l'enfant vient au monde. Le premier regard posé sur lui interroge la différence des sexes.
Au début de sa vie, ses zones érogènes sont éveillées par la première séductrice qu’est une mère. L'enfant est un « jouet érotique » pour sa mère, écrit Freud. C’est grâce à une sexualité à but inhibé, c’est-à-dire la tendresse, ainsi que par ses soins sur le corps de son enfant qu’une mère ouvre et éveille ses zones érogènes, dans un partage érotique où ses propres émois érotiques sont modérés, ni trop excessifs ce qui exciterait trop l’enfant, ni trop inhibés, ce qui pourrait être le signe d’une phobie du toucher. Cette séduction est régie par un refoulement bien tempéré et bien cadré par le complexe d’Oedipe et le surmoi maternel.
La reprise par une mère de sa « nuit sexuelle », de sa relation génitale avec son compagnon, donne lieu, dans le meilleur des cas, à une expérience qui est nommée la « censure de l’amante » (D. Braunschweig, M. Fain). La mère va alors transmettre à son enfant, à travers son propre corps, un message médiatisé désignant un autre de son désir et, pour cela, elle va endormir son enfant. Ce qui permet au tout petit d’organiser son excitation vers un « autre » de sa mère, ébauche d’une proto-triangulation. Ses premières opérations psychiques, face à ce premier choc, sont l’hallucination de la satisfaction, et les premiers autoérotismes. C’est certainement un moment décisif de la première pulsionnalisation de l’excitation.
La sexualité polymorphe de l’enfant se développe à travers ses zones érogènes et ses représentations jusqu’au moment que Freud désigne comme un choc : celui de la perception anatomique de la différence des sexes.
Freud décrit ce surgissement d’altérité comme un traumatisme, qui mobilise, chez le garçon comme chez la fille, une intense énergie d’investissement et de contre-investissement. « Le trône et l’autel sont en danger », écrit-il.
Ce choc donne lieu à une opération psychique très puissante, celle d’un « refoulement originaire » qui projette dans l’inconscient de l’amnésie infantile tout le contenu, pourtant intense, de ce vécu.
Du côté pulsionnel, c’est la sexualité infantile, aiguillonnée par la curiosité infantile, qui va entraîner le développement libidinal d’un enfant, et l’érotisation de ses zones érogènes. Cette évolution participe à la construction de son moi et à son dégagement de la mère primitive.
L’organisation anale va signer ce moment de la première conquête du moi de l’enfant, celle de l’activité/passivité et celle du contrôle, dues à l’acquisition de la maîtrise sphinctérienne et de la motricité. Un enfant peut alors dire « oui » » ou « non » à sa pulsion et également à l’objet.
Les théories sexuelles infantiles interviennent du côté de la pensée. Un enfant invente des théories qui tentent de répondre aux grandes énigmes de l’humanité que sont la conception, la naissance, la sexualité et la mort. Là où l’homme adulte fait appel à la science, à la religion, à la philosophie.
Une autre opération psychique est produite par ce choc de la perception de la différence des sexes : il s’agit d’un « déni », qui participe à la création d’une théorie sexuelle infantile très puissante : celle du monisme phallique, pour lequel il n’existe qu’un seul sexe, le pénis. En face, il n’y a rien, ce qui se traduira, via une théorie sexuelle, en « châtré ».
- L'organisation phallique et le Complexe d'Œdipe
Le complexe d’Oedipe est, pour Freud, l’organisateur principal du psychisme. Son chef d’orchestre est l’angoisse de castration, son passage obligé, celui de l’organisation phallique, et son aboutissement est l’élaboration d’une double différence : celle des sexes et celles des générations.
Dans la mouvance kleinienne et néo-kleinienne, l’opérateur principal est l’advenue de la Position dépressive.
L’angoisse de castration est le chef d’orchestre de l’organisation phallique. Elle sert de verrou, car elle permet de réorganiser en après coup toutes les angoisses de perte antérieures, archaïques et préoedipiennes qui fragilisaient le psychisme. Elle oeuvre à la symbolisation du pénis en phallus.
L'organisation phallique est fondée à la fois sur un déni et une théorie sexuelle infantile, celle du monisme sexuel. Elle confère une survalorisation narcissique à un sexe unique, le pénis, érigé symboliquement en phallus, glorifié et même divinisé dans certaines civilisations. Elle accorde à son porteur une assurance de pouvoir et une valeur de supériorité, qui aura tendance à persister, sous forme de domination masculine.
De même que le phallus n’est pas le pénis, il importe de distinguer le phallique du masculin. Le phallique est narcissique et non érotique. Il est une défense en tout ou rien qui consiste à nier la différence des sexes, et donc le féminin, assimilé à une « castration ». Le phallique veut dominer le féminin, tandis que le masculin veut découvrir, et parfois révéler, le féminin.
Cette organisation phallique est cependant un passage obligé pour les deux sexes, car elle permet le dégagement de l’imago prégénitale de la mère toute puissante et de l’emprise maternelle.
Un garçon est en principe favorisé par le fait qu’il possède un pénis que la mère n’a pas. Il peut parvenir, grâce à son angoisse de castration, à symboliser la partie pour le tout, avec l’appui de son identification paternelle. Mais qu'en est-il d'un féminin érotique ?
Le refoulement est la défense majeure du Complexe d’Œdipe. Il organise le psychisme en intériorisant toutes les défenses pulsionnelles, celles qui antérieurement utilisaient le double retournement, renversement en son contraire et retournement contre soi, qui sollicitaient un objet extérieur. Il protège le psychisme par la création de digues et barrières créés de l’intérieur, telle que pudeur, honte et culpabilité. A partir du refoulement, tout devient intériorisé.
Le surmoi est la création majeure du complexe d’Œdipe. C’est celle d’une instance protectrice, et interdictrice des motions incestueuses. À partir de là, le psychisme est mieux armé contre les débordements pulsionnels trop intenses. Et il peut affronter les attaques du monde extérieur, si des traumas trop précoces n’ont pas trop fragilisé les frontières de son moi.
Cette organisation œdipienne coopère aux interdits anthropologiques fondamentaux du genre humain : ceux de l’inceste, du cannibalisme et du meurtre.
- B. L’importance de la sexualité en psychanalyse
- Dans la cure
Il est important d'écouter, derrière toutes les structures dites non-névrotiques, ce qui peut être refoulé ou réprimé de la sexualité.
Cela importe également dans les structures névrotiques. De nombreux analystes disent que leurs cures de plusieurs années se terminent sans que la sexualité elle-même, et pas seulement les fantasmes sexuels, n’aie jamais été véritablement abordée. Y aurait-il des oreilles frigides ?
Alors pourquoi les pratiques sexuelles et les jeux érotiques, hors perversion, et même les fantasmes érotiques, qui ne sont jamais intrinsèquement pervers, ne se laissent pas facilement dire et entendre dans l’arène analytique ? S’ils ne sont évoqués que par allusions, métaphores, de manière symbolique, il faut certainement l’imputer au transfert. Parce que les mots de la sexualité sont des mots sexuels, des « mots-actes ». « Parler d’amour, c’est faire l’amour », écrivait Honoré de Balzac. Au nom de la mise en suspens de l’acte au profit de la pensée, de l’affect au profit de la représentation, on est allé jusqu’à dire que l’acte amoureux ne serait qu’un passage à l’acte !
On constate actuellement une perte du désir, un accroissement du recours à des sexualités régressives, addictives ou d’agirs, des angoisses de déphallicisation, une exacerbation des défenses anales. Ma clinique me confronte à des personnes souffrant d’apragmatisme sexuel, de vaginisme, d’absence de relations sexuelles. L’impuissance et la frigidité n’ont nullement disparu aujourd’hui du fait de l’évolution sociale.
Rares sont les travaux portant sur la sexualité elle-même, écrit René Roussillon, dans la postface de mon livre Le refus du féminin, « celle qui se met en acte dans le « rapport sexuel » lui-même, dans la pratique adulte de la sexualité, alors que tellement d’autres travaux existent sur la sexualité infantile ou la vie pulsionnelle en général. C’est de la sexualité « ailleurs et autrefois » qu’il s’agit ».
René Roussillon poursuit : « Je tiens l’interprétation de la sexualité et de ses jeux, ses fantasmes mais aussi ses pratiques effectives, voire ses « positions », comme la troisième voie royale de l’exploration de la vie psychique profonde. Il y a dans « l’acte sexuel » lui-même quelque chose qui, quand il n’est pas dissocié du reste de la vie affective et psychique, révèle quelque chose d’essentiel et fondamental de celle-ci, y compris dans ses dimensions narcissiques. Il n’y a que quand la connexion peut se faire avec la sexualité effective du sujet, qu’une certaine qualité de conviction est au rendez-vous de l’analyse, que l’on touche les intensités pulsionnelles déterminantes pour la régulation psychique ».
Michel Fain disait : « L’analyste se doit de rester la zone érogène de la société ».
- Dans ma réflexion théorico-clinique sur le féminin et son refus
La question de la sexualité a orienté ma réflexion vers la différence des sexes, et sur ce qui pose problème à cette différence, à savoir le féminin.
Chez une fille, chez une femme, le pulsionnel reste très proche du corporel, de la source. C'est le ventre, l'intérieur du corps qui peut être objet d'angoisse, ou menacé de destruction, comme le théorise Mélanie Klein. Il l'est davantage par envahissement et intrusion que par ce qui peut être arraché, coupé.
Lors de la puberté, ce n’est plus la perception de la différence des sexes et l’énigme de la relation entre les parents qui fait effraction, c’est l’entrée en scène du sexe féminin, du vagin, lequel ne peut plus être nié. Les jeunes filles se mettent à avoir des choses en plus : il leur pousse non pas un pénis mais des seins.
Cette irruption du féminin lors de la puberté, change les données. Le complexe de castration n’est plus le même : il va au-delà de l’angoisse de perdre le pénis, ou de ne pas l’avoir. Comment, pour un garçon, utiliser ce pénis dans la réalisation sexuelle ? Comment, chez une fille, vivre ces transformations corporelles qui ne la renvoient plus seulement au manque, puisque des seins lui poussent, et que ces transformations l’approchent dangereusement de la scène primitive et de la réalisation incestueuse ? Et comment s’arracher à l’imago maternelle, quand le corps d’une fille se met à ressembler au corps de sa mère, parfois même jusqu’à s’y confondre en fantasme ?
Comment une fille peut-elle se faire reconnaître comme être sexué en l’absence de ce pénis qu’elle perçoit comme porteur de toute la valeur narcissique ? Comment peut-elle symboliser un intérieur qui est un tout, et comment séparer le sien de celui de sa mère ?
Sa ruse inconsciente consistera à adopter la logique phallique. L’envie du pénis est narcissique, non érotique, car une fille peut fort bien ressentir que ce manque ne l’empêche pas d’avoir accès à toutes sortes de sensations voluptueuses.
Son angoisse ne serait donc pas de castration, mais de perte d’amour. Plutôt que de la perte d’une partie, bien utile pour étayer la capacité de symbolisation, c’est de perte du tout qu’elle est menacée, du tout de l’investissement de son corps, et de celui de son objet. D’où une propension féminine à la dépression.
Puisque la mère ne lui a pas donné de pénis, ce qui lui vaut les plus haineux reproches, dit Freud, son besoin de reconnaissance une fille va l’adresser à son père. C’est ce qui la fait entrer dans le conflit oedipien. Elle y entre, selon Freud, pour acquérir un pénis, grâce à papa, qui lui donnera plus tard un enfant substitut du pénis, et elle en sort difficilement, parfois jamais, par la faute de maman. Je caricature, bien évidemment.
La reconnaissance par le père réel de la féminité d’une fille est essentielle. C’est ce regard paternel, différent du regard « miroir » de la mère, selon Winnicott, qui va marquer le destin de la féminité d’une femme dans le sens du désir d’être regardée et désirée par un homme. Le besoin de reconnaissance du narcissisme phallique c’est d’être admiré, celui du narcissisme féminin est d’être désirée.
C'est ainsi que se différencie la féminité du féminin. La féminité, c’est l’apparence, le leurre, la mascarade, les charmants accessoires de la séduction qui font bon ménage avec le phallique. Le « féminin », c’est l’intérieur, invisible et inquiétant. La féminité, c’est le corps - le féminin, c’est la chair.
La féminité fait bon ménage avec le phallique. Elle investit, selon le même modèle, ce qui se voit, se montre et s'exhibe, ce qui a pour but de rassurer l'angoisse de castration, celle des femmes comme celle des hommes.
Le féminin se révélerait dans l’abandon au masculin d’un homme, dans la défaite des défenses du moi au profit d’une passivation libidinale désirée. Pas plus que le pénis, le vagin n’est transmis par la mère. Il ne peut être révélé que dans la jouissance sexuelle avec un amant.
Une fille ne peut donc devenir femme que contre le féminin maternel de sa mère. Se dégager d'un objet primaire maternel, en raison d’une nécessaire identification et d’une tout aussi nécessaire désidentification, porte le risque de perdre une partie de soi.
Ce qui s’oppose au féminin, ou qui l’attaque, ce n’est pas le masculin, mais le phallique. Celui-ci concerne l’un et l’autre sexe, il se manifeste tout autant chez une femme. C’est ce qui anime la soif du pouvoir, l’emprise, la domination.
L’enjeu de la rencontre avec l’autre sexe est celui de l’altérité du féminin, que tout sujet, homme ou femme, doit apprivoiser en lui-même et en l’autre. Sinon, comment ne pas virer vers la dévalorisation, le mépris, la peur ou la haine du féminin, avec leur potentiel de violence destructrice ?
Les femmes actuelles savent ou ressentent que leurs « angoisses de féminin » ne peuvent s’apaiser ni se résoudre de manière satisfaisante par une réalisation de type « phallique ». Elles savent et ressentent surtout que le fait de ne pas être désirées ou de ne plus être désirées par un homme les renvoie à un douloureux éprouvé d’absence de sexe, ou de sexe féminin nié, et ravive leur blessure de petite fille forcée à s’organiser sur un mode phallique face à l’épreuve de la perception de la différence des sexes. C’est là que se situe leur « angoisse de castration ».
L’autre sexe, qu’on soit homme ou femme, c’est toujours le sexe féminin.
Au-delà du phallique, donc, le féminin.
- C. Les menaces qui pèsent sur la sexualité et la psychanalyse aujourd’hui
- Que sont devenus les tabous et interdits du temps de Freud ?
L’époque de Freud était celle des trois K : Kinder, Küche, Kirche. La vie sociale, celle des couples, et particulièrement celle des femmes étaient bien réglées et codées. Les transgressions également.
Certaines pratiques sexuelles, notées par Freud, ont changé de visage et sont envisagées bien différemment.
La masturbation n’est plus considérée comme dangereuse ou immorale. Elle est respectée dans son intimité, et ne subit plus les tortures, telles que celles infligées par le père du président Scheber. La virginité, sous nos cieux n’a plus court. On n’entend plus beaucoup sur nos divans des récits de défloration, qui sont banalisés. La frigidité et l'impuissance ont encore de beaux jours devant eux, dû à leur enracinement dans le champ de la névrose. L'homosexualité est devenue un fleuron, un drapeau aux couleurs arc en ciel, sauf face à la haine. La fidélité n’est plus envisagée que sous l’angle de la relation de couple : soit la tolérance, soit la souffrance, soit la violence. Les ceintures de chasteté n’ont plus court. Les salles d’échangismes ont prospéré. Les perversions sexuelles sont devenues soit des pratiques marginales, telles que le fétichisme, le transvestisme, l’exhibitionnisme. Ou bien elles suscitent des réactions violentes face aux faits de pédophilie, de violences conjugales ou familiales, de sadisme, de viol, d’incestes sous multiples formes. La notion de perversion sexuelle, telle qu’elle a été définie par Freud, a tendance à disparaître au profit d’une incarnation du mal, ou une jouissance à faire le mal.
- Nouvelles menaces sur la sexualité
La sexualité est menacée par de nombreuses propositions technologiques et idéologiques, telles que la pornographie, les sites de rencontre immédiats sur internet, le taylorisme sexuel, les technos-sexualités et les néo-sexualité, les théories du genre et, pour terminer, les réponses qui sont faites aux demandes de transgenre d’enfants et adolescents.
Les théories du genre sont une menace particulière
Il s’agit d’une désexualisation par le genre, qui ne concerne ni le génital, ni l’érotique, mais qui, au contraire, tend à les isoler et à les mettre de côté.
La différence des sexes ne serait qu’une norme sociale imposée par l’hégémonie hétérosexuelle, elle induirait un rapport de domination, et la femme serait une invention de l’homme machiste. Plus rien de biologique ou d’anatomique, plus de sexes différents, mais des genres multiples. Le genre serait-il un « cache-sexe » ?
Les théories du genre apporteraient aux humains adultes une fonction identique à celle des théories sexuelles des enfants. Mais quel est leur destin quand elles perdurent jusqu’à prétendre nier la différence anatomique des sexes, et s’intègrent à un système de croyances, à une idéologie portant sur l’identité elle-même ? Quelle force traumatique a bien pu nécessiter une défense aussi massive que celle de la construction d’une Queer theory ? Celle qui estime qu’on est en droit de se proclamer homme si on est née femme, femme si on est né homme, de se déclarer appartenir à l’un et l’autre genre ou de n’être ni l’un ni l’autre.
Les débats sociaux et politiques qui animent ces positions, particulièrement vifs actuellement, tendent à les situer hors du conflit intrapsychique. Ces théories du genre veulent ignorer ce qui est essentiel dans la vie psychique : le fait que le sexuel est intrinsèquement traumatique, qu’il n’y a pas de désir ni de satisfaction sans angoisse, que les pulsions sexuelles sont constantes, excessives, impossibles à satisfaire pleinement, et que le moi doit mettre en œuvre toutes ses défenses pour éviter d’être débordé. Les mouvements identificatoires, fantasmatiques, et leur implication inconsciente sont méconnus ou déniés.
- Nouvelles menaces sur la psychanalyse
La psychanalyse, quant à elle, subit, comme on le sait, de nombreuses attaques et remises en question.
Qu’il soit sexué ou non, le sexuel au sens large - en lien avec la sexualité infantile et l’inconscient pulsionnel - est un élément essentiel de la théorie et de la pratique psychanalytiques.
Le transgenre est un phénomène actuel envahit la clinique et la société d’aujourd’hui. Il s’agit de la « dysphorie de genre » et de la demande d’un changement non seulement de genre, mais de sexe, de la part d’adolescents des deux sexes.
Le domaine de l’inconscient devient alors objet de négation, voire de haine. Il s’agirait d’abolir la blessure narcissique infligée aux humains, selon laquelle « le moi n’est pas maître en sa demeure ». Alors que dans l’inconscient, le contradictoire est à son aise, le conscient fonctionne sur un principe d’identité. Dans le moi de l’auto-détermination, aucun doute n’a d’existence
La vraie question ce n’est pas la demande adolescente, qui est l’expression d’un authentique mal-être, mais c’est la réponse de certains adultes. Ceux dont les pratiques expéditives mettent en danger le développement sexuel des enfants et des adolescents, qui sont en grande majorité des filles. Ceux qui adhèrent à une idéologie qui oriente le corps d’enfants ou adolescents parfaitement sains vers des traitements hormonaux à vie ou à des mutilations chirurgicales irréversibles. On peut changer d’apparence, mais on ne peut pas changer de sexe.
Pourquoi et comment un « refus du féminin », banal à l’adolescence, peut-il virer en haine du féminin, et conduire une fille à se livrer à des passages à l’acte ? On sait bien que tout commence avec la haine de la puberté, mutation qui peut se traduire en des rites privés, auto-sacrificiels, où l’adolescente met son corps en jeu, opère des sacrifices sur son corps ou de son corps. C’est le cas des rites de scarification, d’automutilation ou ceux de l’anorexie mentale.
De nombreuses adolescentes qui se déclarent transgenre n’ont jamais eu la moindre expérience sexuelle ou amoureuse. Serait‐ce un acte d’évitement sexuel ? Les binders de contention et l’ablation des seins seraient-elles une ceinture de chasteté contemporaine, éloignant toute séduction ?
La haine du corps sexué peut renvoyer à la haine du corps maternel. Cette haine vise l’imago d’une mère archaïque toute-puissante, détentrice du pouvoir de vie et de mort, celui attribué aux grandes divinités maternelles, génitrices et destructrices, déesses de la vie, de la fécondation et de la mort.
Le désir de changer de corps est celui d’un auto-engendrement. Serait-il un défi ou une revanche contre cette mère toute puissante ?
Ne s’y révèle-t-il pas, tout autant dans la demande d’autodétermination qu’en la réponse immédiate qui y est faite, un fantasme de toute-puissance ? N’est-ce pas une forme de triomphe sur l’épreuve de la scène primitive et sur la blessure du renoncement œdipien? Un fantasme d’auto-engendrement ? N’est-ce pas échapper à la fatalité d’avoir un seul sexe, d’avoir un manque, d’être en manque de l’autre sexe ? D’être dépendant de la sexualité ? Et parfois de confondre l’identité avec le choix d’objet, alors qu’une demande de « transidentité » peut souvent évoluer tout simplement vers la découverte d’une tendance homosexuelle inacceptable ? N’est-ce pas également une négation de la bisexualité psychique, fondée sur le jeu des identifications et qui ne concerne pas l’identité ? La dernière illusion, portée par les technologies informatiques, va jusqu’à prôner « asexualité », une sexualité à distance, qui évite le toucher donc toute contamination.
Comment oser évoquer le « consentement », chez une personne immature à laquelle des informations sur les risques de son avenir sexuel ou procréatif ne sont pas données, parce que imprévisibles, ou parce qu’elles n’auraient aucun sens ?
Une soi-disant « tolérance » à la demande de transidentité n’est-elle pas un déni de toute forme de repères qui structurent, qui font autorité et qui sont essentiels dans le développement psychique d’un enfant et d’un adolescent ? Les piliers de la civilisation que sont la différence des sexes et la différence des générations sont-ils menacés par une évolution de la société actuelle ?