L’argument à l’origine de ce livre est la dénomination de « reines du crime » qualifiant certaines romancières de langue anglaise, auteurs de romans policiers, considérées souvent comme des héritières d’Agatha Christie. Elles semblent avoir quelque chose en commun dans la manière de conduire le récit, de présenter les faits et l’affect récurrent qui traverse leurs textes se rapporte à la cruauté. De ce rapprochement, a surgi l’interrogation de savoir s’il existe une « cruauté au féminin ». Julia Kristeva nous propose de parler de la « cruelle Colette ». Prenant comme canevas sa théorie de la sexualité féminine (Oedipe prime- Oedipe bis), l’auteur va s’attacher de manière très subtile au style de l’écriture de Colette et à ses métamorphoses. Prenant plusieurs exemples précis elle nous montre la transformation de ce qu’elle nomme l’Alphabet radieux de Colette en Alphabet monstrueux. En doublure au paradis de Sido et en continuité avec elle, l’animalité et l’hermaphrodisme seraient les deux figures centrales de la monstruosité chez Colette auxquelles viennent se joindre celle des assassins, comme Landru par exemple qui l’intéresse tout particulièrement. Elle publie des articles dans les journaux, insistant sur la « sérénité de Landru », « sa fausse personnalité », repérant cette « banalité du mal » dissociée de sa cruauté. Selon Colette, son comportement criminel serait la manifestation d’une survivance archaïque remontant sinon au monde animal, du moins aux anciens rites des sacrifices primitifs. Sophie de Mijolla, membre du Quatrième Groupe, développe l’hypothèse que la cruauté a partie liée avec la pulsion de voir mais elle concerne une vision spécifique, celle de l’intérieur du corps. La peau doit être arrachée, percée pour révéler ce qu’elle cache, le cru, le sanguinolent, le sang du « cruor » de la cruauté. Pour l’auteur, « s’il y a une relation spécifiquement féminine à la cruauté, ce n’est pas par la froideur narcissique qui n’en est que l’enveloppe qu’il faut l’aborder, mais par la relation banalisée au sang … » (persistance archaïque du fantasme qui ferait du sang menstruel des règles l’indice de la mort d’un fœtus et désir d’aller voir dans le corps de la mère, lieu du crime). Suivent trois exemples de l’écriture de la cruauté chez les femmes. Agatha Christie propose un scénario toujours identique, on découvre un cadavre dans un tableau donné qu’il ne faut pas bouger. Il s’agit de résoudre l’énigme… Derrière des apparences banales, la présence de l’assassin révèle l’existence d’un univers menaçant et angoissant, deux mondes qui n’en font qu’un. Pour S de Mijolla, tout le scénario chrétien est bâti sur un fantasme indéfiniment réélaboré, fantasme d’une scène primitive de meurtre, sur le modèle freudien de « on bat un enfant ». C’est la banalité du crime qui est mise ainsi en avant. Chez Patricia Cornwell, l’héroïne, médecin légiste, dilacère les cadavres pour tenter de trouver les traces laissées sur le corps des victimes. Le caractère scandaleux tient à la recherche des signes de plaisir de l’assassin. Roman après roman, il y a luxe de détails concernant l’autopsie ce qui excite la curiosité des lecteurs concernant l’intérieur du corps. Dans le roman de Ruth Rendall, l’analphabète, il s’agit d’un crime commis de sang froid. L’auteur à partir de cet exemple termine son article sur l’hypothèse que le criminel de « sang froid » tente de s’emparer du pouvoir supposé de la mère toute puissante, indifférente, dispensatrice dans le même geste de la vie et de la mort.
Karine Rouquet-Broutin étudie de façon très détaillée l’univers romanesque de Patricia Cornwell qui propose au lecteur un alliage du cru et du cruel dans la narration du crime. Ces romans donnent des représentations à des fantasmes qui s’enracinent dans la pulsion primitive de cruauté. Le spectacle des scènes cruelles vient réactiver les traces de ces inscriptions originaires. Pourquoi les lectrices – plus que les lecteurs – se divertissent-elles à pénétrer, à explorer avec le scalpel, au delà des limites, de férocité en compassion, l’énigme de la vie et de la mort ? L’auteur avance l’hypothèse que chez la femme, l’imaginaire de l’effraction est plus cru et plus pénétrant, les traces de l’effraction primitives étant sans cesse réactivées du fait de son destin anatomique qui l’amène à être doublement effracté (par l’homme et par l’enfant à naître). Ceci expliquerait peut-être le plaisir, l’effroi et aussi la science des mises en scènes cruelles de cette « reine du crime ».
Sur le thème de la cruauté, Brigitte Galtier, choisit le sang noir dans l’œuvre de Louis Guilloux. Dans ce roman, au masculin, c’est la guerre, au féminin, l’autre front, il s’agit d’une forme d’attentat toujours le même, une mère à l’encontre de son fils ou une femme à l’encontre d’un homme en position enfantine. Le texte tisse une analogie entre les opérations militaires au front et les manœuvres féminines à l’arrière, suggérant une seconde guerre traumatisante.
A partir de l’étude d’un cas clinique, Dominique Cupa nous rappelle les théories de Freud et de Winnicott concernant la cruauté. Postulant que la pulsion de cruauté appartient à la destructivité originaire, l’auteur va tenter de mettre en lien surmoi cruel et pulsion de cruauté puis elle va s’interroger sur la cruauté féminine. C’est l’insuffisance du surmoi œdipien qui laisse libre cours à un surmoi maternel archaïque cruel rendant l’expression par la voie de la représentation impossible, la voie comportementale voire somatique prenant la relève dans un processus de retournement contre soi, l’ » autocruauté ». Michèle Bompard-Porte nous parle de « l’impossible cruauté ». Elle discute dans son article la difficulté à reconnaître l’ubiquité de l’agression et de la destruction. Ce livre se termine par un article d’Antoinette Molinié, « la vierge cruelle » qui évoque une représentation mythique de la Déesse Mère archaïque, omnipotente, indifférente, inaccessible.