Ce livre s’inscrit entre psychanalyse et esthétique. Une oeuvre d’art, par son pouvoir d’évocation, permet que s’appréhendent l’éclat du visible et la fraude du non-visible qui donne sa profondeur à l’œuvre et révèle son authenticité. Soumis à l’enquête psychanalytique, le faux révèlera ses limites, mais il exprimera aussi le tragique et la souffrance.
Murielle Gagnebin propose deux méthodes originales d’interprétation des œuvres d’art.
La première s’appuie sur le modèle de la formation du symptôme névrotique (repérer le vœu inconscient de l’œuvre) et s’en éloigne dans la mesure où l’art est en perpétuel mouvement.
La « modélisation métapsychologique quaternaire de la création » lie la théorie des causes de la création chez Aristote à des notions et concepts psychanalytiques freudiens et à une approche inhérente à la critique génétique. L’auteur transfère la théorie aristotélicienne dans le domaine psychanalytique et analyse ainsi respectivement le capital pulsionnel de l’œuvre, l’intégration du public intérieur propre à chaque artiste (c’est-à-dire son aptitude à penser l’union fondamentale des parents dans la relation sexuelle), la capacité de l’artiste à faire des deuils, permettant choix, ellipses, sélections, renoncements et sa « manière » de lutter avec les revendications du matériau.
Plus le jeu entre ces quatre causes est libre, plus l’œuvre sera forte. Une entrave grevant l’une des causes transforme la création en une œuvre mineure, à moins d’une greffe métaphorisante sur les bords de la béance, greffe nécessaire à une restructuration susceptible de conférer à l’œuvre son authenticité. Bien que psychiquement définies, ces causes sont inscrites dans l’œuvre elle-même qui, progressivement, se transforme en alter-ego, mieux, en un véritable ego-alter, créature vivante dotée d’une structure psychique précise, d’un inconscient, d’un destin. Murielle Gagnebin réfléchit sur la peur de l’artiste confronté à une énergie née de l’œuvre qui se met à exister par elle-même. La sublimation des pulsions prégénitales s’effectue selon un spectre qui s’étend de l’artiste à l’œuvre et de l’œuvre à l’artiste.
L’auteur met à l’épreuve, de façon magistrale et très vivante, la méthodologie qu’elle propose par l’analyse de La jeune fille et la mort (Roman Polanski), Peeping Tom (Michael Powell), Lulu (F.Wedekind et A. Berg) et la mort de Julie d’Étange (Nouvelle Héloïse).
Elle interroge ensuite deux tableaux considérés comme des impostures, la Jeune Fille au chapeau rouge de Vermeer et la Fornarina de Raphaël (tenter d’incorporer l’idéal et non en introjecter certains aspects trahit le faussaire). L’incarnation de l’image exprime quelque chose de l’ordre de l’invisible, de l’indicible. Le visible en soi, la présence d’altérités inépuisables en-deçà de la représentation se révèlent avec Morandi, Lesieur, Giacometti, Nicolas de Staël. Parallèlement, l’auteur s’attache à la clinique psychanalytique, elle s’intéresse au psychodrame psychanalytique et développe les moments mutatifs de deux cures d’analyses d’artistes.
Remarquable, inventif, créatif, Authenticité du faux est aussi scientifiquement fondé sur de judicieuses références aux auteurs psychanalytiques de la lignée freudienne et sur l’analyse rigoureuse de très nombreuses œuvres d’art.