Catherine Druon fait dans cet ouvrage, paru pour la première fois en 1996, une synthèse de son travail de psychanalyste dans une unité de médecine néonatale, pendant 16 ans. Elle nous fait partager la position difficile de l’analyste médiateur entre l’enfant prématuré, les parents et les équipes médicales, alors que la question, de la survie de l’enfant se pose à tout instant.
La problématique du deuil est en effet au premier plan : deuil d’une grossesse achevée pour les parents, venant souvent après une grossesse difficile, perte brutale du statut de femme enceinte, interruption de l’expérience physique de la grossesse ainsi que des rêveries qui l’accompagnent, enfin deuil d’une naissance « normale », d’un enfant parfait. Les quelques jours après la naissance où le pronostic vital de l’enfant est en question peuvent être extrêmement difficiles pour les parents et mettre en route un processus de deuil prématuré qui peut entraîner un désinvestissement de l’enfant. La survie de l’enfant “médicalement obtenue” entraîne alors chez les parents une très forte culpabilité de ces moments de désespérance et nécessite une nouvelle élaboration.
Le deuil réel de l’enfant peut être vécu dans une sensation d’irréalité, la prématurité de la naissance et la prématurité de la mort donnant à ces évènements un caractère d’étrangeté et gênant l’élaboration d’un processus de deuil.
L’accompagnement et le soutien des parents après la naissance, qui s’est toujours produite dans l’urgence, est indispensable. Le père est souvent au premier plan, parce que plus disponible que la mère prise dans sa culpabilité, son angoisse, et parfois la question de sa propre survie, ce qui peut laisser des traces dans la dynamique du couple par rapport à l’investissement de l’enfant. Les entretiens psychologiques sont proposés aux parents de façon systématique. L’écoute est analytique mais les interventions sont brèves, à caractère thérapeutique, centrées sur l’actuel. Les couples, surtout la mère, sont souvent en état d’effondrement narcissique. L’humanité bienveillante, le bon sens, indispensables, ne sont pas suffisants et le travail de soutien et d’analyse de la culpabilité aident les parents à élaborer ces moments difficiles. L’équipe tient bien sûr une place importante dans la relation des parents avec leur enfant hospitalisé, suscitant de la part de ces derniers des sentiments divers : idéalisation avec une reconnaissance intense d’avoir le savoir-faire de pouvoir maintenir l’enfant en vie, parfois reproche d’avoir gardé vivant un enfant porteur d’un handicap ; toujours ambivalence, d’où la nécessité de garder la bonne distance vis-à-vis des parents. Les sentiments de rivalité, les fantasmes de rapt sont fréquents. Dans les cas moins dramatiques où le pronostic vital n’est pas en jeu, la mère vit souvent le séjour de l’enfant dans l’unité de médecine, comme une incapacité à subvenir aux besoins de ce dernier.
Pour le psychanalyste, la communication avec le bébé prématuré est particulière et c’est par l’élaboration des manifestations corporelles que peuvent se deviner petit à petit ses états intérieurs. La capacité contenante, la faculté d’attention, la disponibilité à recevoir les messages du bébé, qu’ils soient corporels ou émotionnels, sont des qualités indispensables. L’enfant en grande prématurité souffre, il est exposé à des stimulations sensorielles, auditives et visuelles, sans commune mesure avec l’enfant né à terme. Il est très peu réactif ; pourtant la communication avec ces enfants est possible, pendant un très court moment, si l’observateur est très attentif et habitué à de telles observations. Elle se fait par le regard : l’enfant accepte de se mettre dans le regard de l’observateur qui « contient » ce regard confié, et c’est une sorte d’enveloppe qui se déploie. Plus tard la voix de l’observateur peut jouer un rôle semblable. La possibilité de mettre les bébés « peau à peau » avec leur mère, même s’ils sont intubés, a permis l’investissement de l’enfant de façon plus satisfaisante.
La motivation profonde de sauver la vie de ces enfants, de soulager leur souffrance, de lutter contre l’angoisse de mort de chacun, et aussi de soigner le bébé blessé en nous anime l’équipe pluridisciplinaire de ces unités néonatales de soins intensifs. Le sens des responsabilités, le dévouement, le travail de collaboration permanent avec les parents sont au premier plan. Le rôle du psychanalyste est celui de l’urgence de la prévention du traumatisme, avant que ne se mettent en place les mécanismes de refoulement qui pourraient être délétères pour la relation avec l’enfant. En dehors du cadre analytique traditionnel, c’est la capacité à contenir les pensées et les émotions, l’activité de liaison, l’écoute de l’analyste qui sont fondamentaux. Il introduit progressivement un lien entre psyché et soma, et reconnaît l’existence d’une vie psychique précoce.
Pour Catherine Druon, sa présence en tant que psychanalyste dans les équipes de néonatalogie est une expérience largement positive, enrichissante à la fois pour la dynamique des équipes et leur relation aux enfants prématurés et à leurs parents, ainsi que sur le plan personnel de dynamique analytique.