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Paul Denis
Membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris
Neuro-psychiatre
Ancien Interne des Hôpitaux de Paris
Le nombre de demandes de changement de sexe, émanant d’enfants et d’adolescents, arguant que leur « genre » ne correspond pas avec leur sexe, augmente actuellement de façon impressionnante. Quelle pourrait être la cause de cette soudaine montée des demandes ? Ces enfants seraient-ils simultanément touchés par un agent épidémique, modificateur de l’identité et de leur vie psychique ? On ne voit pas lequel. En revanche cette montée de la demande correspond, de façon évidente, à une « offre » soutenue par le prosélytisme de divers groupes sociaux qui, au nom de la liberté sexuelle, de l’autonomie, défendent un « droit » au choix du sexe. La création de centres de consultation spécialisés dans l’accompagnement des enfants présentant une « dysphorie de genre » et proposant très rapidement un « protocole » de « transition » vers le sexe désiré est un aspect de cette offre.
Diversité des profils psychologiques
La lecture de l’article de Joy Wielart « Demandes de changement de genre à l’adolescence »[1]1, issu de son expérience soutenue dans l’une de ces consultations, est très intéressante à plus d’un titre. Notons d’abord qu’elle évoque des demandes de changement de genre ou, mieux écrit-elle, de « réassignations de genre ». Pourtant il faut garder présent à l’esprit qu’il s’agit de demandes de changement de sexe fondées sur l’affirmation d’un changement de genre, considéré comme un fait définitif. Le glissement du terme de sexe à celui de genre est du reste une particularité des écrits concernant ces questions. Pour les promoteurs de la liberté du choix du sexe, la notion de « genre », culturelle, devrait aujourd’hui se substituer à la notion, toute biologique, de sexe. Pourtant genre et sexe, faut-il le rappeler, sont de deux ordres différents, l’un est de l’ordre de la réalité anatomique, génétiquement fixée, absolue, l’autre, relative, est le produit de différents mouvements constitutifs de l’esprit, mouvements contrastés et laissant la place à des contradictions et variations dans le psychisme.
Le point, fondamental, souligné par Joy Wielart, est celui-ci : les demandes de réassignation de sexe à l’adolescence correspondent à des situations psychiques très diverses, et l’on ne peut réduire celles-ci à une formule unique qui impliquerait une conduite normée – un protocole — conduisant logiquement à une « transition ». Chaque demande, derrière la même formulation manifeste, est en fait sous tendue par une configuration psychique particulière plus ou moins problématique, et posant des questions de gravité variable. De ce point de vue rassembler toutes ces situations sous une seule dénomination, transidentité, dysphorie de genre ou autre, a l’inconvénient d’estomper les différences, de confondre des situations diverses en une seule. Selon la formule d’une collègue qui a suivi de multiples demandes de changement de sexe, celles-ci vont de « la mode de collège » — lorsqu’une élève se déclare « transgenre » on voit dans les semaines qui suivent, issues du même collège, trois à quatre affirmations du même genre — à des troubles psychiques graves très préoccupants pour l’avenir. Il est clair que ces enfants et adolescents doivent être suivis de près et leur psychopathologie prise en compte et traitée, au-delà du contenu explicite de leur demande. Il n’est pas certain que des centres « spécialisés » soient forcément le meilleur cadre pour aborder ces différentes configurations psychopathologiques, ces centres exercent sous la pression du temps et l’ambition du « faire ».
Transidentité et déni de réalité
Entériner la demande manifeste de changement de sexe en fonction de l’affirmation d’un genre, implique, de la part des adultes, parents ou médecins, une façon de cautionner l’affirmation de l’enfant, de la traiter comme un fait, alors qu’elle implique essentiellement un rapport incertain à cet aspect de la réalité qu’est la différence des sexes. Cet accompagnement cautionne une forme de déni de la réalité. Il en résulte un système relationnel parents/médecins/enfant qui se referme dans une communauté du déni. Considérer la demande de changement de sexe pour elle-même, n’écouter que celle-ci est une façon de refuser d’écouter le malaise qui s’exprime à travers cette demande et de laisser l’enfant ou l’adolescent seul, livré à sa souffrance psychique refermée sur l’affirmation de son « genre ».
Il est important de rappeler que la désorganisation psychique liée aux transformations de l’adolescence, parfois insupportable, peut se trouver contenue par le surinvestissement de diverses conduites qui forment alors un point de réorganisation de fortune ; c’est le cas de l’anorexie mentale, d’engagements sectaires, d’actions automutilatrices, suicidaires et autres ; la fixation sur l’idée que l’on n’est pas du sexe correspondant au « genre » que l’on affirme en est une autre. Admettre un droit à l’autodétermination sexuelle évite d’avoir à aider l’enfant à exprimer autrement ses difficultés identitaires.
A propos de ces demandes de changement de sexe, on emploie le terme d’assignation ou de réassignation lequel est emprunté au vocabulaire du traitement d’état intersexuels constatés à la naissance, et où l’incertitude, et l’angoisse, soulevée par la malformation anatomique fait proposer — à tort ou à raison, et il est des pays où la législation l’interdit — une « assignation » à un sexe « social » en opposition avec le sexe chromosomique de l’enfant. Mais les conduites médicochirurgicales appliquées devant ces situations exceptionnelles, ne peuvent être transposées, comme traitement, aux inquiétudes d’un enfant, doté d’organes sexuels normaux, qui se déclare d’un sexe différent du sien.
La transidentité n’est pas un fait
Un autre point qu’il nous faut souligner dans les publications traitant de ces cas est que leurs auteurs, malgré l’évidence de la grande variété des situations psychopathologiques, se trouvent entrainés à parler de « transidentité » comme s’il s’agissait d’un fait établi, consistant, alors qu’il n’est soutenu que d’une simple assertion. « La transidentité est un fait » profère une circulaire émanant du ministère de l’éducation nationale. Non, le « fait » qu’il faut considérer c’est la demande elle-même ; c’est le caractère insolite d’une telle affirmation qu’il faut écouter comme l’expression psychique d’une difficulté ou d’une souffrance psychique plus ou moins vive, allant du « je suis malheureux comme garçon, j’aimerais être une fille » — expression d’un fantasme —, à la conviction d’être de l’autre sexe. La conviction d’être d’un autre sexe que le sien pourrait du reste être vue comme l’expression d’une dépression, comme une plainte exprimée sur un mode mythomaniaque — il est des enfants mythomanes —, et des mères qui soutienne la demande de leur enfant dans une une forme de syndrome de Münchausen par procuration, ou comme une conviction proche d’un délire si l’on considère le délire comme un système de pensée en rupture avec la réalité. S’affirmer d’un autre sexe que le sien, affirmer un « genre » en opposition avec l’anatomie est un symptôme, se dire transgenre, n’est pas un état, ne décrit pas un fait, ce qui est un fait c’est la souffrance psychique que cette affirmation exprime. Encore une fois, entériner l’assertion d’un enfant et le conduire vers une « transition » est une façon de ne pas reconnaître la nature de sa souffrance psychique elle-même. L’idée que réaliser, non pas le vœu de l’enfant de changer de sexe — vœu irréalisable—, mais une amputation hormonale et anatomique qui en soutiendra l’illusion, va faire disparaître cette souffrance est parfaitement illusoire.
Contradictions
Il est frappant de voir que les réflexions et préconisations sur cette question de la « transidentité » sont infiltrées par nombre de contradictions. L’Association américaine de psychiatrie (APA) considère que la « dysphorie de genre » — souffrance d’une personne qui a la conviction que son identité (féminine ou masculine), ne correspond pas à son sexe anatomique, et qui se considère donc comme appartenant à un « genre » différent de celui de son sexe anatomique —, n’est pas un trouble psychique mais une « souffrance clinique » qui doit être traitée par un soin « médical et non psychiatrique ». Qu’est-ce donc qu’une « souffrance clinique » ? Pourquoi ne s’agirait-il pas d’une souffrance psychique ? Et pourquoi pas une approche psychiatrique, psychothérapeutique ou psychanalytique si elle s’impose ?
On peut penser que l’APA a calqué sa démarche sur celle qu’elle a suivie en faisant sortir l’homosexualité du champ psychiatrique. Mais homosexualité et dysphorie de genre ne peuvent pas être placées sur le même plan, elles sont de deux ordres différents, l’une est un mode d’exercice de la sexualité, l’autre est fondé sur un refus de cet aspect central de la réalité qu’est le sexe anatomique.
D’un autre côté si l’on considère les « Principes de Yogyakarta », présentés devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies[2]2, prescrivant l’application des droits de l’homme aux personnes LGBT et intersexuées, on lit ceci qui vise à la « protection contre les abus médicaux » : « Nul ne peut être forcé de subir une quelconque forme de traitement, de protocole ou de test médical ou psychologique, ou d’être enfermé dans un établissement médical, en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. En dépit de toute classification allant dans le sens contraire, l’orientation sexuelle et l’identité de genre d’une personne ne sont pas en soi des maladies et ne doivent pas être traitées, soignées ou supprimées. » Fort juste interdiction de ne pas imposer d’injonction thérapeutique ou un traitement médical à qui que ce soit en fonction de son orientation sexuelle mais aussi de son identité de genre. Selon ces prescriptions il ne faut appliquer aucun traitement médical ni protocole à qui que ce soit en raison de son identité de genre. Le protocole de transition avec ses prescriptions d’hormones et avec sa série d’interventions chirurgicales en perspective sont manifestement en contradiction avec la prescription du Conseil des droits de l’homme, et constituerait donc un « abus médical ».
Pourquoi faudrait-il éviter d’envisager « la dysphorie de genre » sous l’angle psychopathologique ?
Départir le normal du pathologique n’est pas simple ; le recours au médecin, est, selon Georges Canguilhem, ce qui finalement définit le mieux la pathologie ; une autre définition est statistique : toute particularité dont l’incidence dans la population est inférieure à tel pourcentage est pathologique. De ce point de vue statistique il n’est pas douteux que la dysphorie de genre ne soit une pathologie, et la consultation pour cette raison, et en raison du malaise de la famille correspondante, confirme que l’on peut considérer qu’il s’agit d’une pathologie, bénigne ou grave. Déclarer qu’il s’agit d’une « souffrance clinique » et nier toute idée de pathologie est étrange : pourquoi faudrait-il alors la traiter par des moyens « médicaux » — voire chirurgicaux — s’il ne s’agit pas de pathologie et pourquoi « non psychiatriques » ?
Le refus de considérer que la dysphorie de genre puisse ressortir de la psychiatrie infantile est en phase avec la tendance qui, au nom de la science, vise à assimiler le fait psychiatrique à un fait médical somatique. En effet, avatars de la démarche médicale, les diagnostics proposés par les différentes versions du DSM[3]3ont été pensées pour « faire entrer la psychiatrie dans le champ de la médecine scientifique en élaborant une neuropathologie liant causalement des dysfonctionnements neurobiologiques à des troubles mentaux »[4]4. Ce faisant les psychiatres sont invités à abandonner toute réflexion psychopathologique, toute compréhension de la personne qui souffre, toute approche relationnelle, pour inventorier des symptômes qui conduiront à des « protocoles » de soins, sur le modèle médical.
Ainsi en va-t-il de la dysphorie de genre. On voit se mettre en place très rapidement pour ces enfants et adolescents réputés « dysphoriques de genre » un programme de transformation, avec en perspective une réassignation anatomique par la chirurgie. Peut-on avancer le moindre argument scientifiquement établi pour défendre ces « traitements » ? Non. Sur quelle démarche médicale evidence based est-elle fondée ? Aucune, et les « protocoles » proposés relèvent de l’expérimentation — illégale — et non de l’application de traitements éprouvés. Leur assiette intellectuelle n’est pas plus assurée que celle de l’excision — qui nous révolte — dans les pays où elle est pratiquée.
Il n’existe aucun traitement chirurgical possible en matière de psychopathologie. Un corollaire en découle : il faut proscrire toutes les interventions hormonales ou chirurgicales — car irréversibles — en cas de « dysphorie de genre ».
Promettre l’impossible
L’anatomie est le destin disait Freud, autrement dit : la génétique est le destin. On nait caucasien ou non caucasien — pas de choix possible — on nait de sexe mâle ou de sexe femelle. Toutes les cellules de l’organisme d’une fille sont chromosomiquement indexée xx, et toutes celles d’un garçon xy, avec les conséquences biologiques qui en découlent. Conséquences biologiques qui ne sont pas seulement celles qui touchent aux organes de la procréation — lesquels sont aussi ceux de l’exercice de la sexualité — mais jouent à tous les niveaux, hormonaux bien sûr mais aussi dans la détermination de la stature, du poids, des masses osseuses et musculaires et d’autres… Comme l’indique Claudine Junien[5]5 : « Quoi qu’en disent les théories, de toutes sortes, sur le genre, notre véritable nature porte d’abord, à sa base et dès l’instant de notre conception, sur les marques biologiques indélébiles de notre génétique. Et ces différences biologiques vont se maintenir et s’orchestrer tout au long de la vie, via des marques épigénétiques spécifiques du sexe ». Spécifiques du sexe et non du « genre » insistons nous. Ajoutons que Claudine Junien précise que « si la ressemblance , en termes de séquence d’ADN, entre deux hommes et deux femmes est de 99,9 % , la ressemblance entre un homme et une femme n’est que de 98,5 %, du même ordre de grandeur qu’entre un humain et un chimpanzé de même sexe… »
Le caractère féminin ou masculin ne se réduit pas à la possession d’un pénis ou à son absence, conception infantile de la différence des sexes.
Il va sans dire que procéder à l’ablation des testicules et de la verge d’un garçon ne changera rien à ses bases génétiques et qu’il restera génétiquement et biologiquement mâle. Et qu’une fille à laquelle on aura administré des hormones mâles et ôté l’utérus et les seins restera biologiquement femelle.
Nous sommes obligés d’admettre que la différence des sexes est incontournable. Cette différence n’a rien de symbolique : c’est une réalité. Le sexe ne résulte pas d’une « assignation » émanant d’un médecin mais relève du « constat » d’une réalité sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir.
Sur le plan psychique, dans l’évolution de l’enfant, cette différence fondamentale va faire l’objet d’une reconnaissance progressive : perceptive, cognitive, érotique, émotionnelle, et donner lieu à un développement fantasmatique et intellectuel considérable. La construction de l’identité s’appuie sur cette reconnaissance et ses développements. La direction de ceux-ci conduit invariablement vers une bisexualité psychique dont le destin dépend de multiples choix et expériences vécues et qui s’exprime dans le choix d’une vie plus ou moins hétérosexuelle ou plus ou moins homosexuelle, et dans « le genre » qui est une qualité de l’identité et ne s’exprime pas de façon univoque. Il est des hommes efféminés et des femmes masculines. Le sexe s’affirme de lui-même, c’est un fait de nature, tandis que le genre est un fait de culture. Quant à l’orientation des préférences sexuelles elle résulte de l’évolution du psychisme, de différents faits de culture et d’un « choix » en grande partie inconscient.
Alors pourquoi promettre la possibilité d’un changement de sexe ? Pourquoi laisser croire à un enfant — et à ses parents — que la transformation est possible ? Pourquoi défendre un « droit à l’autodétermination » sexuelle de l’enfant ? Ce qui est juste sur le plan des choix amoureux et érotiques, sur le plan de la vie sexuelle, ne peut être transposé sur le plan anatomique pour une simple raison : l’impossibilité. L’enfant qui se réclame d’un genre différent de son sexe ne mesure pas que sa revendication risque d’aboutir, grâce à la complicité des médecins, à une mutilation, à une castration bien réelle, et ne constitue, in fine, qu’une demande d’automutilation assistée.
Pourquoi priver un garçon de son pénis, zone érogène précieuse, pourquoi priver une fillette de son utérus et de son clitoris, zone érogène non moins précieuse ? Pourquoi lui fabriquer une pseudo verge à l’aide d’une côte flottante, fétiche, sex toy chirurgical qui n’aura jamais les capacités d’un pénis ? Pourquoi amputer ces enfants et adolescents d’organes non seulement sains mais par lesquels s’accomplissent l’expérience et les satisfactions de la sexualité, mais aussi leurs capacités de procréation ? On leur promet bien d’en préserver quelque chose par un prélèvement des gamètes, mais quid de l’expérience de la grossesse, de l’allaitement ? Nulle n’est tenue à ces expériences et chacune peut les refuser, mais pourquoi en interdire définitivement la possibilité par la virilisation hormonale et la chirurgie ? Indique-t-on à ces enfants et adolescents et à leurs parents le parcours du combattant médico-chirurgical auquel on les promet ? Leur explique-t-on que leurs capacités masturbatoires seront abolies, qu’ils ne connaitront d’expériences sexuelles que limitées, sans orgasmes ? Si le genre est indépendant de l’anatomie pourquoi vouloir modifier celle-ci ? Pourquoi ne pas laisser à ces enfants leurs capacités érogènes génétiquement programmées — et leur potentiel de procréation — et les laisser développer ultérieurement la vie sexuelle, et la vie de genre sociale qu’ils voudront, masculine, féminine, homosexuelle, hétérosexuelle ou queer, ou « non binaire » ? Pourquoi faudrait-il pour soutenir leur « genre » amputer leur anatomie au nom d’une liberté fallacieuse. Il est des domaines où le vouloir ne peut s’appliquer, où l’idée de choix n’a pas de sens, où nous sommes soumis à une réalité sur laquelle nous n’avons pas de prise. Nos fantasmes de toute puissance doivent-ils aboutir à accepter de créer des castrats de l’autodétermination ?