Dans la boite à outils du psychanalyste, la temporalité est une variable à usage multiple, d’où la pertinence sur un tel sujet d’un ouvrage collectif dont la polyphonie permet d’en évoquer les divers aspects.
La temporalité apparaît d’abord sous les auspices de la remémoration. Roussillon remarque une simplification du modèle freudien, qui, de trois niveaux en 1896 : perception, représentation de chose, représentation de mots, n’en retient plus que deux par la suite. Le passage de la perception à la représentation de chose, n’est plus, dès lors qu’une affaire d’intensité d’investissement, ce qui permet de faire coïncider le retour à l’hallucinatoire avec la réactivation des traces perceptives. Roussillon propose au contraire de considérer comme structurellement nécessaire l’écart entre trace mnésique perceptive et représentation de chose qui permet, selon lui, de distinguer les deux niveaux possibles d’achoppement de ces processus : entre perception et représentation de chose pourraient se situer l’action du clivage et de la symbolisation primaire, tandis que le refoulement et la symbolisation secondaire seraient caractéristiques de l’articulation entre représentation de chose et représentation de mot.
Après-coup et remémoration ne sauraient, de ce fait, être compris dans une simple relation d’opposition. La reconstruction après-coup n’élimine pas pour autant la question de la reviviscence des traces perceptuelles actualisées dans le transfert. Et d’un oubli en séance qui rappelle le « Boltraffio » de Freud, Scarfone montre comment ces deux aspects doivent trouver à se fondre dans un expérience subjective vécue dans l’ici et maintenant de la séance. Voilà qui lui permet de réintroduire la métaphore musicale, spontanément convoquée par l’affect lorsqu’il se partage entre l’analyste et son patient.
Pour Ciccone et Ferrant, la musicalité de l’affect résonne des échos du temps. La musique, rythme, tempo, harmonie, précisément en cela qu’elle s’adresse directement à l’affect par de là les mots, permet de saisir sur un mode métaphorique les éprouvés et atmosphères propres à certaines évocations en filigrane d’un passé connoté du côté de la nostalgie et de l’objet perdu. Dans une vignette clinique très fine, le travail associatif de l’analyste trouve un point de rencontre inattendu avec les évocations du patient et qui ouvre à une toute autre dimension du déroulement de la cure. La particularité ici repose sur la tonalité de ces évocations partagées entre l’analyste et son patient ; point de rencontre qui permet de nouer dans l’actuel du deuil une reviviscence de souvenirs traumatiques de l’enfance.
Pour Morhain, la temporalité dans la schizophrénie est au contraire un « temps rompu ». Dans le cours de la vie institutionnelle, la rencontre devient surgissement imprévu qui vient rompre la continuité du temps par opposition à la fonction d’enveloppe de la vie institutionnelle dans sa prévisibilité. Elle va permettre de faire scansion dans la répétition alors que le temps schizophrénique est marqué lui par la discontinuité permanente. Le repérage de ces mouvements de la vie institutionnelle partagée avec les patients permet la construction d’une histoire comme trame d’un récit partagé.
Partant de la symbolique des ruines dans la métaphore archéologique utilisée par Freud dans son étude sur la « Gradiva » de Jensen, Chouvier interroge le statut de l’extase mystique dans sa relation au délire mystique. Quelle différence structurelle permet de différencier radicalement l’expérience de Thérèse d’Avila de celle de Madeleine, célèbre patiente de Janet ? Si l’extase, dans sa dimension de passivation extrême, permet par la jouissance masochique de retrouver les voies de l’auto perception d’un monde interne en relation avec l’objet primaire, dans le délire mystique, la toute puissance qui permet de « survoler les lois » s’accompagne de la désorganisation de toute temporalité et toute capacité de jugement du moi. Et si la puissance de l’union avec le divin rend futile toute activité terrestre, l’intensité de cette union reste cependant fluctuante en fonction de l’investissement affectif du délire, lequel commande les comportements « mystiques » de la patiente.
Chouvier relève la fréquence dans l’histoire des grands mystiques des expériences vécues de mort imminente. Ces vécus agonistiques, allant jusqu’à la perte de conscience, le lâcher prise du vivant au profit d’un abandon à la passivation totale permet de retrouver fugitivement, dans un « océan de joie ineffable », la présence l’objet primordial. Abolissant ainsi toute temporalité, le retour de cette expérience est marqué par un prosélytisme qui paraît nécessaire. Transmettre l’expérience devient dès lors l’enjeu de l’existence.