Jean Laplanche –à partir d’un corpus théorique éprouvé portant sur le « Trieb », la dialectique de l’instinct et de la pulsion- se centre autant sur la séance que sur une question anthropologique fondamentale. Si « l’objet de l’instinct est au bout de la chaîne » source/but/poussée/objet ; celui de la pulsion revient au fondement de cette chaîne –par son historicité et son excitation- créant l’objet-source autant que qualifiant la pulsion elle-même.
En découle alors –à l’aide de l’armature des concepts de « signifiant énigmatique », « séduction primaire », etc.- une vision fluente des relations entre objet/pulsion/sexualité infantile/histoire où, renvoyant la définition de l’« exigence de travail imposé à l’animique par suite de sa corrélation avec le corporel » à l’instinct, « pour ce qui est de la pulsion, c’est l’objet-source, et sa prolifération préconsciente, la fantaisie », qui exercent leur « exigence de travail sur le corporel, auquel ils sont corrélés ».
S’ensuit un questionnement sur le maintien d’un complexe fluent des objets et de leurs rapports, entre « l’objet de l’attachement (de l’autoconservation), l’objet de la pulsion sexuelle infantile, l’objet spéculaire ou narcissique, et l’objet de l’instinct sexuel pubertaire ».
Michel de M’Uzan choisit de centrer son texte sur « le rapport entre la question de la problématique identitaire et celle de la relation d’objet ».
L’identitaire : sous le jour d’une vaste question anthropologique. Dialectique de l’identité -intégrant un recouvrement libidinal/narcissique- en aval d’une différentiation suffisante pour borner cette identité, son « spectre » ; quand l’ordre identitaire parle du fondement de l’identité : avant le sexuel, renvoyant au « premier dualisme pulsionnel ».
Et M. de M’Uzan nous emmène dans cette aventure, à travers l’écoute de l’idiome identitaire, « manifestation d’un être primordial », à même de se créer un « double », qui est préalable à la découverte de l’objet. L’approche de ces frontières, « indécision identitaire » entendue en séance –ou techniquement provoquée- situe le Trieb, ici, du côté de l’instinct.
Et c’est la « séduction maternelle pré oedipienne » de J. Laplanche que l’auteur complète d’un autre axe : celui où cette séduction « engendre la « germination » des zones érogènes sur le programme d’essence génétique », c’est cette origine là qui « va imposer à l’appareil psychique (…) l’invention du pulsionnel sexuel ».
Alors, de l’espace unique abyssal et originaire où « le sujet, inlassablement, ne parle qu’à lui-même », va naître, par « découpe », et le psychisme…et l’objet : découpe par un « clivage primordial » -qui n’est pas celui de la défense, mais activité de construction- dont l’héritière sera une « haine de soi fondamentale », « qui travaille à instaurer le sujet lui-même », avant « l’autre qui se découvre dans la haine ».
Daniel Widlöcher fait porter l’accent sur une distinction de l’objet-lieu –où « la pulsion peut être satisfaite »- et l’objet-figure qui « entre dans la composition de la scène qui constitue le fantasme ».
Mais cette distinction est problématique quant il s’agit de l’objet interne : ou « on tient l’objet interne pour copie de l’objet externe », « figure inerte », simple résultat de la « fonction représentative de la mentalisation de la pulsion ». Alors il est l’objet de « l’identification hystérique » et la pulsion est « source primaire de l’énergie ». Ou il est un « double de l’objet externe », un « homonculus », vivant, et « l’objet intériorisé devient une structure interne de la personne » qui tire son énergie « d’être le double de l’autre ». C’est l’objet de « l’identification narcissique ».
Pour envisager un dépassement de cette alternative, l’auteur propose un cas clinique où c’est le psychanalyste qui choisit « l’interprétation d’une identification hystérique » plutôt que celle d’une « identification narcissique » ; cette alternative entre identifications est ici renvoyée à un choix entre interprétations –au « cadre d’interprétation », et pose en retour la question théorique de ce entre lieu et figure.
L’auteur expose alors cette alternative comme une double controverse : « entre » M. Bouvet et J. Lacan d’abord –pour en souligner une certaine radicalisation, et « entre » A. Freud et le courant kleinien –pour en révéler une voie ouverte de son dépassement, notamment par P. Heimann.
Dépassement –qui dans le même temps maintient l’écart- que D. Widlöcher théorise ainsi : « Entre le Charybde de la simple représentation et le Scylla de l’objet érigé en homonculus interne », émerge « la force hallucinatoire de la figure du fantasme » : « L’objet-figure trouve son énergie dans sa présence hallucinante ».
Josef Ludin choisit d’évoquer la réalité, à travers les « objets de l’identification ». Et tout d’abord, il différencie un « fantasier »/mouvement qui « est la forme » d’une satisfaction en action « partielle d’un désir inconscient » ; de ce qu’il produit : des « fantasmes » structurés –et « figés », ce processus engendrant « un fantasme à travers la fabrication d’une image interne ». C’est dire si le fantasme se structure, du miroir au double, à l’aide de et par l’identification à l’autre.
Mais l’identification à l’autre est déjà une autre question que celle de l’identification à d’autres objets, notamment l’ « objet d’identification » qu’ « est l’organe sexuel masculin, le pénis, comme incitateur de fantasme ». Et ce fantasme organisateur, pour le garçon, « du monde fantasmatique »- un fantasme de fierté, découlant de la « puissance » érectile, est différent du fantasme –antécédent- le plus chargé de violence : « celui de perdre l’organe », accompagné de l’angoisse de castration. Ces fantasmes forment complexe révélé par « l’interaction (…) entre angoisse et fierté ».
C’est cette violence –à travers la « rivalité phallique » qui concerne surtout l’autre semblable plus que le père de l’Œdipe- que J. Ludin va pister, posant la question de « l’ancrage réel de ce fantasme originaire » qu’est le fantasme de castration. Et l’auteur origine cette violence surtout dans « l’atteinte du corps de l’autre », « attaque à l’intégrité narcissique ». C’est en s’appuyant sur le concept winnicottien de la « crainte de l’effondrement » qu’il conçoit l’ancrage réel –corporel- de ce fantasme de castration, qui du coup se trouve convoqué aussi bien chez la fille que chez le garçon.
Plus avant, l’auteur explore les liens entre « envie » et « homosexualité », et les fantasmes qui les réifient, d’ « emprise pulsionnelle sur l’objet » -pénis et sein- qui « va de pair avec la crainte de son effondrement », celui de l’objet…et de soi-même. N’est-ce pas une vertu de l’analyse, que de travailler « par un processus de sublimation » qui distille ainsi « la violence des images internes, et qui engendre une distance » ?
Adriana Helft réfléchit sur « teneur de réalité et brutalité des faits », à partir d’une remarquable séquence clinique. Face à la réalité « enchevêtrée », l’expérience de l’analyse, de par les transformations qu’elle opère, est moins confrontation à une « réalité archéologique » ou une « réalité historique », qu’apparentée « au maniement d’un champ de forces ». Enseignement expérientiel permettant de concevoir ces forces en conflit comme un modèle « du fonctionnement et de la constitution des objets psychiques », ces forces produisant « une résultante », sous la forme d’un « souvenir de couverture ». L’émergence de ces objets résulte en séance du « mouvement de fragmentation et de mixage, qui a lieu entre les parcelles de la réalité et le refoulé », suscitant « le réveil des traces sous la forme d’une répétition agie dans le transfert » : les objets ont une « trajectoire ».
Outre la teneur « de réalité » ici interrogée, se profile aussi la propre valeur de réalité de cet objet, dans son « jaillissement quasi hallucinatoire » : pas seulement efficace hallucinatoire, mais mobilisation à cet instant « des frayages créés par des mouvements de décharge véhiculant des images motrices », activation de réseaux qui confrontent, via la perception, à la « reconnaissance de l’objet » avec son potentiel de « brutalité », voire de « disjonction » du réel brut.
Dominique Scarfone propose une rigoureuse construction théorique -à partir de la question métapsychologique qu’il pose sur un cas de transfert érotomane- sur « l’examen de réalité » : « La réalité, en psychanalyse, c’est une question d’investissement ». Et l’auteur décline les aspects de cette maxime : la « réalité » examinée n’est pas celle « de la nature », « mais la réalité psychique de l’autre » ; du coup, la « perte de réalité qui compte est celle qui concerne ce morceau de réalité capable de causer des souffrances (…), c’est la perte de l’amour, de l’objet d’amour ». De là, ce qui est investi, « c’est l’appareil perception-conscience », la perception étant conçue –à l’aide du concept de « chair du monde » de Merleau-Ponty- comme activité du système perception-conscience, comme dégustation dans le « continuum psyché-corps-monde ». Plus justement, si ce système est activé par le Moi (ou l’inconscient) par un « pré-investissement », la perception effective, en retour, est non pas ce qui confère l’unité, mais « un acte de césure » au sein du continuum, perception qui « ré-instaure le Moi ». D’où l’examen de réalité, qui maintient –ou non- les frontières du Moi, examen de réalité qui porte sur « la reconnaissance de l’autre en tant qu’objet d’amour ».
La pulsion, elle, est à la fois représentante d’un « retour au continuum », et, dans son surgissement, « césure », comme la perception. Alors se jouera le sort de la névrose ou de la psychose, devant les capacités du Moi de contenir ces césures : à la névrose, l’hallucinatoire, la médiation opérée par le fantasme ; à la psychose, l’hallucination, l’investissement massif du système perception-conscience « de l’intérieur ». Mais dans les deux cas, le morceau de réalité s’impose : « c’est la réalité qui investit l’appareil de perception et non le sujet qui investit la réalité ».
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Dans la deuxième partie de l’ouvrage, sous le titre « La règle et le tact », Dominique Suchet nous dit que c’est l’ « engagement psychique » de l’analyste « pour l’installation des conditions d’exercice de la règle » qui « définit le tact ». Et ce tact, dans la cure, obéit à un double mouvement : « celui d’entrer en contact avec la vie psychique de l’autre personne » -et que le patient reste au contact de ses processus psychiques, « et celui de l’éviter » -et d’éviter la « rupture ». Le premier mouvement fait face à « la résistance du transfert », et le tact est alors effet de la palpation de la surface psychique de l’ « activité de représentation du patient » ; le second fait face à la résistance « dans le processus associatif » et « l’activité de palpation dévolue au tact est entièrement tournée à l’intérieur de l’activité psychique d’attention flottante ». C’est au nom de ce tact que sont envisagés les aménagements –déviations ?- de la technique.
Dans la dialectique du tact et de la règle, l’ « investissement de la rupture » n’a pas la même valence : pour le tact, la rupture « est repoussée » psychologiquement « hors de son champ » ; pour l’écoute flottante, « elle est inscrite » métapsychologiquement « dans le processus ». Ainsi « le tact, avec l’empathie » -Einfühlung- « qu’il recèle, ne s’oppose pas en lui-même à la violence d’une rupture, il en est même porteur, mais il la repousse aux confins de l’analyse », là où « l’attente et le silence de l’analyste sont indispensables pour entendre les ruptures derrière le désir ». Et ceci désigne une résistance « nourrie de la pulsion de déliaison », une résistance qui est l’objet de ce dialogue avec Ferenczi qu’est « analyse sans fin, analyse avec fin ».
Philippe Valon, dans « La règle du jeu », insiste sur la nécessité de « garder la règle », pour que l’analyse soit « possible ». Et si Ferenczi, avec le jeu, « avait pensé atteindre la reproduction réelle des processus traumatiques à l’origine du refoulement originaire », et n’y parvint pas, sa question reste posée, qui est un « moyen de garder la règle vivante ».
Ainsi, l’auteur interroge : « ne faut-il pas qualifier de psychanalytiques » tous les cadres « qui permettent à l’analyste de » garder la règle, « la règle qui produit un » transfert analysable ? Et il expose un cas où face à un temps devenu « circulaire, rotatif, binaire », il demande à sa patiente d’amener des modelages. Il s’agit de « passer de la faille dans l’image du corps qui s’incarne dans le modelage, à la faille dans l’organisation des relations aux objets originaires », en respectant –avec tact- le parallélisme des espaces, en « travaillant dans chacun des espaces séparément ».
L’évolution de cette cure -où la forme modelée devient habitée- permet la liaison par la narration, et c’est ici que « le travail d’analyse vient défaire cette construction, afin qu’elle se reconstruise autrement (…) ». Ainsi, « il n’est pas nécessaire que ces récits ressemblent aux souvenirs, à l’enfance : il suffit qu’ils engagent le mouvement des formes et des récits successifs, déliés puis refaits, inlassablement ».
Et, implication théorique majeure –applicable aussi au psychodrame : « Formes et récits font alors de l’espace intermédiaire un espace de jeu », avec son Vorlust : « avant-plaisir » du jeu, principe de fonctionnement psychique différant du « principe de plaisir », voire même un « défi » à celui-ci : « un plaisir en appelle un autre, d’une nature différente et d’une intensité plus grande ». Et c’est l’avant plaisir qui est à la base du rapprochement des « deux métaphores du fonctionnement psychique en séance : celle du rêve et celle du jeu ».
Jean-Michel Lévy se place dans la perspective où, dans toute cure, « le cadre peut ne plus bien cadrer et devenir le lieu d’un transfert difficile à analyser », « bord » où peut se centrer la résistance. De Freud à J. Bleger, de J-L Donnet à J. Lacan, de S. Ferenczi à A. Green, l’auteur explore le tact dont il faut alors faire preuve, dans sa dimension de « toucher à ». Tact qui confronte à l’aspect transféro/contre transférentiel qui dicte le moment de « ramener dans la séance » ; à tolérer la mise à mal du sens mais aussi la possibilité qui s’ouvre de « reconduire de façon transférentielle le clivage interne de l’analysant, par le biais du clivage entre cadre et processus » ; à accepter le refus par l’analyste « d’un trop de « compréhension » ». Alors, à l’encontre de la position de Ferenczi « qui soutient que face à la résistance, c’est tout de même l’empathie qui guide et soutient le tact », J-M Lévy nous dit que « le tact émane d’une déprise de la force conservatrice de l’empathie : une déprise qui permet de remettre en jeu, en mouvement, ce qui était resté sur le bord de la touche ».
Jean-Philippe Dubois décline la « scène de l’engagement ». Scènes et mises en scènes où le transfert de la cure « classique » s’est fait « acte, débordement, événement réel, et la répétition est offerte à l’interprétation (…) ». Mais il est des cures qui appellent aménagement de la technique, où la question de la « bienveillance » de l’analyste se pose –pour Ferenczi par exemple- de manière particulière, lorsque l’ « adaptation primitive aurait été, ou se trouverait dans le présent, menacée d’une façon ou d’une autre ». L’auteur pose la question d’une possible dérive passive ou passivante de l’analyse ou des analystes, ignorant « le souci d’implication, de responsabilité », ou d’engagement. Cet engagement, c’est la perception par l’analyste de sa responsabilité « de l’altérité », amenant des choix techniques et théoriques tels que le tact, lui-même moins stratégique que faisant appel à « l’idée d’une certaine plasticité identificatoire ». Et ce, parce que -entre la « position du fantasme » et le « sens de la réalité », question qui diviserait Freud et Ferenczi- « qu’on ait affaire à un enfant pris dans la solitude et la complexité de son lien traumatisant et soutenant avec l’adulte, ou à un adulte refusant de penser qu’il ait pu être un enfant, cela implique l’analyste et son écoute de manière très différente ».