L’intérêt de la psychanalyse pour l’art ne s’est jamais démenti. Les défis de la clinique et les réflexions sur la puissance et la pertinence de la métaphore, aiguillonnées par les critiques venues de la psychologie cognitive, voire des analystes eux-mêmes, amènent à repenser sa pertinence. Ouverture sans fin vers des sens multiples, elle est aussi un pont entre la psychanalyse et l’art. Les contributions du livre rassemblent des études issues d’un groupe de travail sur l’axe narcissique des perversions – ainsi que des textes de B. Chouvier et M. Laxenaire –, et prennent appui sur la reconnaissance du contre-transfert. Il faut noter le risque que l’admiration par l’analyste des qualités ou de la réussite d’un patient ne crée un « bastion » (M. et W. Baranger, 1961) qui entrave son travail interprétatif. L’ouvrage porte des questions transversales aux diverses études : quelle est la place des racines perverses dans toute création ? Les créateurs qui présentent des penchants pervers les ont-ils sublimé dans leur œuvre ? Existe-t-il des modalités stylistiques propres à la perversion ?
La première partie s’attache à la littérature. Michel Laxenaire présente les grands séducteurs de la littérature, Casanova le libertin sincère, Don Juan le libertin pervers, Valmont, Rastignac, Bel-Ami, mais aussi Kierkegaard et Stendhal, soulignant la polysémie de la séduction sans la réduire à la perversion. Oscar Wilde est présenté par Pascal Pierlot comme un homme d’esprit devenant imposteur, peut-être parce que le statut de la provocation dans l’œuvre de Wilde est pris au premier degré et que son procès est compris du point de vue des accusateurs. Mais cette étude, précise et argumentée, met particulièrement en valeur le narcissisme tragique de Salomé, de Dorian Gray et de Wilde lui-même. Bernard Chouvier montre chez Anaïs Nin le passage de l’intimité intrusée à l’intimité exhibée, et la façon dont elle prend pour lecteur interne le lecteur posthume. A. Mohamed rend compte de la perversion dans l ‘écriture de Georges Bataille, tandis que C. Fishhof recherche la forme mélancolique du lien filial dans la correspondance de Mme de Sévigné avec sa fille. Si l’ouvrage n’a nulle prétention à l’exhaustivité, on ne peut éviter de penser, dans la même ligne aux analyses de C. Millot sur Genet, Mishima et Gide (Intelligence de la perversion, Gallimard, 1998).
La seconde partie interroge l’œuvre d’Egon Schiele : s’agit-il de « névrose exploratoire » ou de « rédemption du pervers » ? Puis c’est une étude sur Picasso « au centre du tableau ». Enfin, Erica Francese dégage les présupposés du body-art : être soi-même sa propre œuvre d’art, et réaliser dans l’œuvre un fantasme d’auto-engendrement.
Si l’ouvrage ne prétend pas renouveler radicalement la réflexion psychanalytique sur la perversion, il propose des parcours intéressants, aux considérations parfois quelque peu normatives, qui donnent envie d’aller revoir ou relire les artistes évoqués.