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Jean-Louis Baldacci
L’année dernière en interrogeant les rapports du clivage et du refoulement nous avons rencontré cette remarque de Freud : « Il sera possible au moi d’éviter la rupture de tel ou tel côté en se déformant lui-même, en acceptant de faire amende de son unité, éventuellement même en se crevassant ou en se morcelant. De la sorte, on mettrait les inconséquences, les extravagances et les folies des hommes sous le même jour que leurs perversions sexuelles, dont l’adoption leur épargne bien des refoulements [1]». Extravagances et folies – donc ni névrose, ni psychose ni perversion exclusives –, viendraient pondérer la dysfonctionnalité d’un surmoi dont la radicalité ou la défaillance pervertit les fonctions avec pour conséquences : excès du refoulement jusqu’à la répression, troubles du jugement jusqu’au déni, enfin censure jusqu’à l’auto-critique sadique et inhibante.
Le moi éviterait ainsi la rupture, le clivage structurel durable, au prix de clivages labiles, fonctionnels, utilisant les jeux combinés du refoulement, du déni et de la censure, accompagnés au plan manifeste et dans des proportions diverses par le symptôme, la perversion et le refus du deuil. Mais à chacune de ces possibilités un dénominateur commun, le polymorphisme pervers de la sexualité infantile.
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Inconséquences, extravagances, folies, comme on le voit, le champ de la pathologie devient bien large et ne se limite plus à la distinction princeps entre névrose, psychose et perversion. Conséquence pratique dans le travail psychanalytique, la recherche de la vitalité perverse de la sexualité infantile n’est plus réservée à la seule régression névrotique. Pour réduire les clivages fonctionnels, l’exploration du transfert cherche à utiliser les transactions perverses infinies de la sexualité infantile face à la ligne de partage de la différence des sexes et des générations. Ainsi essaie de se trouver ou de se retrouver un fonctionnement psychique régi par le principe de plaisir/déplaisir, un psychisme accessible au rêve et au fantasme. Cette perspective conduit à une question, celle de savoir si la sexualité infantile est toujours l’étape nécessaire à ce passage.
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Mais l’amalgame de ces troubles avec les clivages structuraux non névrotiques a pu conduire à une pratique mettant au premier plan le narcissisme et l’objet au détriment de la sexualité et de la pulsion. L’extension de ces pratiques a d’ailleurs poussé André Green il y a quelques années à poser la question de savoir si la sexualité avait encore quelque chose de commun avec la psychanalyse[2].
Il est vrai qu’avec la multiplicité des formes cliniques qui convoquent la « folie », cette option désexualisante est renforcée, par l’hétérogénéité et la labilité de mécanismes de défense mobilisés par une surcharge économique de nature traumatique. La sexualité s’en trouve inhibée et lorsqu’elle est présente, elle est agie, comportementale, volontiers débordante et, dans les deux cas, évite la sexualité infantile et le fantasme. Une nouvelle question se pose alors, celle de savoir comment la parole peut devenir le moyen permettant au sexuel de puiser dans le fonds de la sexualité infantile.
L’affect de honte et ceux qui lui sont corrélativement liés – pudeur et dégoût – semblent ici essentiels. S’ils sont contre-transférentiellement dépassés, ils peuvent permettre de saisir ce qui rendra incarné et vivant le discours du patient et le guidera vers une associativité profonde aux détriments de l’agir et de la répétition. Les interprétations dans le transfert, celles qui impliquent l’espace, le corps et le langage semblent être essentielles à ce cheminement qui conduit depuis la honte, au fantasme, à la culpabilité et à la remémoration en passant par les renversements auto-érotiques.
Alors certes l’élaboration du contre-transfert et l’interprétation sont des facteurs fondamentaux de cette transformation, mais la référence au corps et à une dynamique transformatrice, en impliquant le temps et l’espace, engagent une autre question non moins essentielle celle du cadre le plus adéquat pour faire parler le sexuel ? face à face ? divan ?
Le face à face serait-il suffisant ? Le divan trop risqué ?
Nous travaillerons successivement ces problématiques en nous centrant sur le sexuel tel qu’il parle et se parle dans la séance. C’est ce que le titre choisi pour ces rencontres, « La sexualité parlée dans la séance », veut annoncer.
Bibliographie
Freud S. (1910). D’un type particulier de choix d’objet chez l’homme, , OCF P, T X, Paris Puf 1993, pp191-200
Freud S. (1912). Du rabaissement généralisé de la vie amoureuse, OCF P, T XI, Paris Puf, 1998, pp 128-141
Freud S. (1917). Le Tabou de la virginité, OCF P, T XV, Paris, Puf, 1996, pp 77-96
Freud S. (1924). Névrose et psychose , in Névrose, psychose et perversion, Paris Puf, 1973, pp283-286
Freud S.(1924). La perte de la réalité dans la névrose et la psychose, Paris Puf, 1973, pp 299-303
André J. et Dreyfus-Asseo S. (2007). La sexualité infantile de la psychanalyse. ouvr collectif, Paris Puf.
Denis P. (2010). Rives et dérives du contre-transfert. Paris, Puf.
Donnet J-L. (2005). La situation analysante. Paris, Puf.
Green A. (1997). Les chaînes d’Éros. Paris, Odile Jacob.
Janin C. (2007) La honte , ses figures et ses destins. Paris, Puf.
Mac Dougall J. (1996). Éros aux mille et un visages. Paris, Gallimard.
Rolland J-C. (2006). Avant d’être celui qui parle. Paris, Gallimard.
Roussillon R. (2008). Le transitionnel, le sexuel et la réflexivité. Paris, Dunod.[/restrict]