Entendre la folie est un recueil d’articles de Paulette Letarte qui ont été publiés entre 1978 et 2002. Elle nous y invite à envisager la psychanalyse sous l’angle de la cure type, habituellement destinée aux névroses, et sous celui des psychothérapies analytiques menées avec les psychotiques, les états-limites, les fonctionnements psychosomatiques. Sa position est celle de penser que tous les patients sont capables de transfert, quel que soit leur âge ou leur fonctionnement à dominante primaire ou secondaire.
Elle s’intéresse avant tout au processus thérapeutique : « la psychanalyse et la psychothérapie s’adressent à un même inconscient. Cependant le processus thérapeutique s’effectue dans des directions opposées : progrédience pour le psychotique et régrédience pour le névrosé, maturation des défenses structurantes pour le psychotique et levée de la résistance par les défenses pour le névrosé. La coexistence de divers secteurs de maturation chez le schizophrène entraîne la nécessité d’avoir recours à un éventail technique complexe et difficilement codifiable, opérant dans des directions progrédientes ou régrédientes selon les besoins de la cure. » Elle précise que « la cure type sert encore à l’analyste, en tant que point de référence essentiel : sur une carte routière, c’est le kilomètre zéro » qu’il faut absolument connaître pour éviter de s’égarer dans des situations nouvelles. En situation de cure type l’analyste s’abstient d’interpréter trot top, doit apprendre à garder le « silence », pour, si cela est possible, interpréter plus tard, quand le patient est prêt à comprendre. En psychothérapie l’analyste est plus proche de la technique du psychodrame. La référence centrale de l’analyste reste la cure-type vers laquelle il tend, seule garantie de la rigueur nécessaire pour que la souplesse soit dynamisante et maturative.
Concernant les patients souffrant d’angoisses précoces qui favorisent les passages à l’acte, le mouvement progrédient que favorise l’analyste vient soutenir le « penser ». Ainsi, citant Freud : « Quand on traverse un pays, on utilise la monnaie qui a cours dans ce pays », l’auteure explique que quand un patient est très régressé, nous n’avons plus pour but de lui faire découvrir son inconscient mais plutôt de l’aider à développer sa capacité de penser pour qu’il puisse se protéger lui-même et organiser ses défenses, pour qu’il puisse apprendre à résister. » Notre fonction n’est donc pas la mise en évidence de résistances, car ces patients ne connaissent principalement que « l’expulsion ». Ils sont en danger du fait du manque d’organisation de leurs défenses, du manque de stratifications internes de leur appareil psychique. Leurs conflits sont externalisés, ils vivent aux limites d’eux-mêmes, aux frontières de leur appareil psychique. « Le passage à l’acte doit être contenu, calmé plutôt qu’interprété dans l’instant même. » L’auteure cite Freud (1911) qui définit le principe de plaisir comme une décharge immédiate qui soulage et le principe de réalité qui est le « principe de plaisir mais différé, avec rétention et possibilité de développer la pensée, de déplacer l’énergie et de faire que les choses acquièrent un sens. » Paulette Letarte nous engage à aider ces patients à « différer ».
Chez eux les mots ne désignent plus : ils redeviennent choses et ils « cognent » ! Pour ce type de patients la catharsisne soulage pas, c’est une surexcitation qui réamorce un processus, non symbolisant. Le soulagement risque alors d’être recherché dans un nouveau passage à l’acte. A propos d’une patiente qui crée des mots codifiés pour éviter des représentations insupportables, l’analyste lui permet d’accéder à sa douleur par la reconnaissance que fait la patiente de ses stratégies d’évitement de la pensée. Ainsi la patiente s’ouvre et permet le retour de l’objet (père et mère) et la sexualité (masturbation, honte et désir). L’auteure fait référence à Winnicott et à l’espace transférentiel à construire entre le patient et l’analyste pour éviter l’emprise de l’analyste et la fusion analyste-patient. Par-là, un espace et un temps d’élaboration deviennent envisageables et possibles, et l’objet peut apparaître, devenir représentable, dans un lien avec le mot, sans plus s’y confondre.
Le travail psychothérapeutique peut donc être mené analytiquement, à condition que l’analyste soit supervisé, qu’il partage sa clinique avec des collègues, qu’il ne se sente jamais seul pour éviter la fusion. Le travail d’équipe, la supervision collective plutôt qu’individuelle (pour éviter l’effet de miroir patient-analyste/superviseur-analyste), sont autant d’étayages pour l’analyste dans une situation psychothérapeutique où le psychisme du patient souffre d’angoisses primaires et dont « la fonction symbolique n’est pas effective, contrairement à la démarche de la cure type qui cherche à mettre à jour des infiltrations du processus primaire dans le processus secondaire. » Il est à souligner que l’auteure encourage l’analyste à travailler en interdisciplinarité avec les psychiatres, les biologistes. Une interdisciplinarité qui lui semble indispensable dans des cas graves de mélancolie ou de psychose avérée.
De manière générale, la psychothérapie analytique permet au patient de retrouver le cours de son histoire. Il en va également ainsi du « traitement du vieillard qui est orienté vers un meilleur passé. Il s’agit de donner sens à une vie qui décline. »
Cette approche théorico-clinique, nous propose d’« entendre la folie » en nous intéressant à la « vie intérieure des patients ». En nous disant que le « narcissisme » de l’analyste doit être solide et souple à la fois, l’auteure fait appel à notre humilité car nous sommes dans « une situation paradoxale : nous ne pouvons les aider vraiment que si nous ne nous en sentons pas tout à fait capables. »
Enfin elle nous encourage à user, avec le patient, de l’humour qui permet cette distance, cet autre regard : la « dédramatisation ». Dédramatiser n’est pas la négation du drame. Il s’agit de « privilégier la pensée, la parole, la mise en mots, la réminiscence et de permettre au sens d’advenir. » L’auteure insiste sur le plaisir, pour le patient et pour le thérapeute, à travailler ensemble.
Cet ouvrage nous donne donc un regard général sur la singularité et la modernité de l’œuvre de Paulette Letarte. Sa clinique ne peut que nous encourager sur la voie d’une psychanalyse classique et exigeante, seule rempart pour l’analyste qui veut aussi mener des thérapies analytiques quand la cure est impossible.