Le thème dont il s’agit ici est celui de l’étude comparative, du point de vue psychanalytique, du processus caractéristique de la psychanalyse d’une part comme telle, et d’autre part des psychothérapies comme telles.
Freud n’a pas opposé les deux notions de psychothérapie et de psychanalyse. C’est une évidence historique qu’on a pu souvent souligner. On sait, certes, qu’en toute circonstance Freud retient l’existence d’une fonction soignante du « traitement » psychanalytique, tout en ne la privilégiant pas par rapport aux effets d’ensemble de la psychanalyse sur les transformations de l’économie psychique, envisagée plus largement. Il s’agit pour lui de l’une seulement des propriétés de la psychanalyse, dont les effets transformant (thérapeutiques comme par surcroît), s’étendent bien au-delà de la problématique médicale de la « guérison ». Seul, au fond, le contexte médical dans lequel Freud a eu sociologiquement à s’inscrire, le mène sans doute à accentuer dans certains cas, quasi polémiquement, le côté soignant, thérapeutique de l’analyse, souvent allié chez lui avec un discours quelque peu militaire sur le combat du thérapeute contre la maladie. Cet effet de contexte est certainement très important, et a trompé plus d’un lecteur critique de Freud, par exemple Sulloway, ou Pribram. Il intervient assurément aussi dans les malentendus qu’exprime aujourd’hui encore la sorte de guerre que les neurosciences et les tenants du comportement croient devoir relancer périodiquement contre la psychanalyse (le livre noir de la psychanalyse, 2005).
Comment alors comparer psychanalyse et psychothérapie ? C’est-à-dire une approche de transformation psychique profonde et ouverte, à une technique – inspirée ou non de la psychanalyse – qui vise spécifiquement le soin et la suppression d’un tableau symptomatique, voire d’un syndrome oblitérant pour le patient, et cela au meilleur prix et dans le temps minimum possibles, conformément par ailleurs aux exigences productivistes de notre temps, soumis aux pressions de la mondialisation.
Il faut laisser de côté les tentatives, forcément naïves et grossières, de tronquer la psychanalyse et de la réduire à quelque définition opératoire obéissant au tout ou rien de critères thérapeutiques a priori, temporels ou spatiaux définis et subordonnés à des impératifs de rentabilité financière. Définitions destinées à autoriser une arbitraire comparaison avec « d’autres » psychothérapies à finalité uniquement soignante. Telles sont par exemple les malheureuses perspectives dans lesquelles se sont enlisés les auteurs de l’ouvrage auquel je viens de faire référence, ou ceux du rapport prétendument rigoureux de l’INSERM dont il a été beaucoup question sur le parallèle critique entre les résultats de l’analyse et ceux des thérapies s’inspirant des « neurosciences » et du comportementalisme.
Le seul abord possible pour une comparaison honnête non réductrice, et tenant compte de la dimension thérapeutique qu’a bien – avec d’autres visées – la psychanalyse est de partir de la psychanalyse même et de chercher avant toute chose à discerner, en son sein en quelque sorte, ce que pour ma part j’appellerai la polarité psychothérapique soignante et la polarité transformante et (re)créatrice des approches du psychisme. Pour faire simple je dirai polarité psychothérapeutique d’une part, polarité proprement analytique d’autre part.
Certains, parmi lesquels récemment C. Janin, proposent aujourd’hui de prendre là en considération le nécessaire conflit organisateur de la bisexualité psychique. La dimension de féminité et la dimension de masculinité se doseraient et s’articuleraient différemment dans le soin et dans la psychanalyse, bien que l’une soit toujours indispensable, à quelque égard, à l’autre. Cela conduit à référer aux vues de Freud (1937) sur le « roc biologique de la féminité », de l’envie du pénis et de la castration dans les deux sexes.
L’orientation de ces vues est très profitable pour la solution des problèmes que nous nous posons. Elle contredit catégoriquement l’opposition radicale entre psychanalyse et psychothérapie. Toutefois la bipolarité que pour ma part je défends est d’un autre type que celle que pointent les analystes qui se contentent de se référer à la bissexualité psychique. On ne saurait se contenter entièrement d’un modèle qui renvoie lui-même à une opposition et à une complémentarité beaucoup plus profondes que Freud n’a pas manqué de repérer et de souligner avec insistance. La bipolarité que je prends en compte dépasse et englobe en fait cliniquement et théoriquement la problématique de la bisexualité.
Me paraissent essentiels à cet égard les travaux de Freud en 1923 et 1924 sur le conflit du narcissisme et de la libido objectale entre névroses à transfert et névroses « narcissiques » ou « psychoses ». Ils sont consacrés à l’opposition dans le travail de la psyché et dans les structures défensives qu’elle organise du narcissisme d’un côté et de la libido d’objet de l’autre : cela à travers la comparaison entre la métapsychologie des névroses dites par Freud « à transfert » et des névroses dites par lui « narcissiques », auxquelles s’ajoutent peut-être ici les assez mystérieuses névroses actuelles dont Freud n’a jamais abandonné la référence. Freud met en scène le problème en présentant les rapports du narcissisme et des investissements névrotiques sous la forme d’un conflit, jamais complètement réglé entre les deux types d’investissement.
Selon le sentiment que me donne ma pratique, la prise en compte de ce conflit narcissisme/objectalité peut contribuer à mettre une intelligibilité supplémentaire dans l’opposition, probablement quelque part naïve que l’on attise aujourd’hui entre techniques psychanalytiques et techniques psychothérapiques. Le conflit narcissique/objectal tend à être traité selon moi par le travail de la réassurance narcissique, de l’étayage et de la restauration du conteneur identitaire du côté du pôle « psychothérapique ». Par contre, dans la polarité psychanalytique le travail ira dans le sens d’une réorganisation structurelle de la libido d’objet et de ses conflits internes propres, impliquant le passage d’une relation à dominante duelle à une relation pluri-objectale de type œdipien, assorti d’un usage plus ou moins appuyé de l’interprétation du transfert.
Je suggère que la psychanalyse a insuffisamment travaillé la profonde différence qu’il y a entre deux modes d’identifications, qu’on a pu appeler primaire et secondaire. Le premier mode englobe sur un fond empathique une « conformisation » en quelque sorte mimétique de l’individu identifiant au modèle d’identification. C’est une sorte de prolongement de ce qui peut, rétroactivement être vécu comme une parfaite « co-aptation » de l’enfant à la mère. Ce mode joue un rôle sûrement très important et général dans ce qu’on a souvent décrit comme le « transfert de base » ou encore l’« alliance » entre thérapeute et patient, rôle qui fonctionne sans doute comme un nécessaire conteneur (au sens de W.R. Bion) du développement de l’activité interprétante dans le cadre analytique. En dehors même de la psychanalyse beaucoup d’auteurs ont repéré l’existence des identifications, ici engagées, dites par certains précocissimes (R. Zazzo à partir de H.Wallon) ou miméoplastiques (H. Wallon, Paul Guillaume) fonctionnant pratiquement en miroir, à partir de certaines perceptions notamment visuelles, avec une action généralisatrice directe sur les commandes tonico-posturales du corps tout entier. On peut considérer les conceptions de Lacan sur le stade du Miroir, comme aussi bien celles de Winnicott sur le visage de la mère, miroir de l’enfant, voire même les vues des éthologistes tels que K. Lorenz sur l’Einprintung comme faisant écho à ces mêmes réalités cliniques, que dans un tout autre champ des auteurs américains comme J. Bleger ont attribué à ce qu’il nomme identifications adhésives ou glischroïdes. Les toutes récentes découvertes concernant ce qu’on désigne sous le nom de neurones miroirs apportent aussi un appoint à une nette catégorisation sur de telles modalités « primaires » de la capacité identifiante. Peut-être enfin devrait-on aussi établir un lien entre ces modalités et certains des aspects des recherches de J. Piaget sur ce qu’il appelle la tendance assimilative et la tendance accommodative des schèmes sensori-moteurs…
Tout se passe comme si ces processus qu’on ne peut s’empêcher de qualifier de très primitifs, malgré le caractère équivoque de ce mot (le terme d’originaire conviendrait peut-être mieux), alimentaient ensuite un travail de projection et de réappropriation en quelque sorte directe des éléments du moi primaire, ainsi maintenus collés étroitement à l’objet avant de pouvoir accéder à une élaboration symbolique différenciant l’identification mimétique en fonction du repérage de certaines qualités perceptives et motrices (Reälitat prufung) de l’objet modèle en direction d’identifications plus complexes et structurées.
C’est le chemin de la construction des identifications secondaires qui obéissent à des lois spécifiques dont le modèle œdipien cherche à rendre compte. Les échanges entre les mouvements projectifs et les mouvements d’intériorisation entre le sujet et le thérapeute contribuent à constituer une trame mnésique qui permet l’élaboration de l’individuation et la ré-intériorisation chez le patient des productions fantasmatiques ou oniriques archaïques que la situation thérapeutique peut faire surgir chez lui. De là la prudence interprétative à laquelle le psychothérapeute est assujetti devant le risque d’une interprétation sauvage d’un matériel qui n’est pas encore prêt à trouver une expression représentative seconde et polysémique dans le champ du langage, et qui risque de se trouver indûment capté par un discours qui lui demeure en réalité étranger.
Dans ces conditions le passage au pôle analytique implique que l’élaboration représentative et langagière du patient soit suffisamment étayée sur les identifications primaires dont il vient d’être question et qu’un prudent travail thérapeutique antérieur aura pu consolider. C’est qu’en effet la caractéristique majeure des identifications secondaires en direction desquelles travaille le pôle analytique est d’articuler entre elles sur un mode métaphorique, susceptible, lui, d’être transposé dans le langage sans excès d’arbitraire, les traces des identifications primaires d’abord inorganisées et vouées à un travail d’appropriation et de désappropriation successives (d’ « identification » et de « dés-identification »). De là encore le rôle capital de la lecture implicite ou explicite par l’analyste dans le transfert et dans le devenir de la névrose de transfert du matériel du patient, dès lors que se confirme et s’affirme le pôle psychanalytique. On reconnaîtra essentiellement ce pôle à la capacité du patient (mais aussi à celle de l’analyste) d’introduire dans le discours la référence au tiers absent et la prise en compte de l’inconnu dans l’aventure ouverte que constitue l’analyse. On conçoit que cette essentielle place du négatif (au sens où je l’entends et qui diffère un peu de celui que retient A. Green) soit à la fois le critère et le moyen de tout travail proprement psychanalytique, tout en demeurant étroitement conditionné par le maintien en arrière-fond des alliances de type primaire que l’analyste doit savoir sauvegarder et le cas échéant réparer à l’occasion des blessures du cadre. Mais on conçoit aussi que les limites d’un travail qui se veut à dominante psychothérapeutique doivent être soigneusement protégées de l’intrusion précoce d’une économie interprétative transférentielle, qui ne peut et ne doit y jouer qu’un rôle occasionnel auxiliaire pour explorer les dispositions du patient à supporter une autre relation que celle de soin, de renforcement ou d’étayage, reposant sur un modèle essentiellement duel, dont il a pu jusque-là bénéficier. Ici s’inscrit le débat relatif aux qualifications professionnelles et aux attitudes spécifiques qui y seraient attachées entre le souci du « guérir » à court ou moyen terme et du désir d’aider le patient à « changer la vie ».
Au total si l’on conçoit comme des polarités à la fois opposées et complémentaires sur un même axe, le narcissisme d’une part, les investissements névrotiques et leur capacité d’engendrer le transfert d’autre part, il devient possible de se représenter le réglage de la part concédée à chacune des deux polarités comme l’organisateur essentiel de la différence et de la spécification que l’on réclame en vue d’une comparaison de la psychothérapie et de la psychanalyse. Je propose d’opposer les deux pôles en termes de l’importance qu’y prend et qu’y impose le mode d’identification qui sera privilégié par le praticien, si du moins il dispose personnellement de la formation adéquate au maniement du balancier entre les deux pôles.
Les paragraphes suivants tendent à préciser certaines des contraintes auxquelles fait référence le modèle bipolaire que je viens de présenter sommairement, et qui implique un rapport souvent subtil entre démarche « psychanalytique » et démarche psychothérapique.
1/ La via di reservare
Dans un travail antérieur (1987) j’ai attiré l’attention sur le rôle dans le travail analytique d’une 3ème voie, à ajouter aux deux voies dont Freud emprunte le nom à l’art de la sculpture. Il distingue en effet avec le sculpteur
a) la « via di porre » consistant en certains apports introduits dans le discours du patient par l’analyste ;
b) la « via di levare », consistant dans la suppression, par l’interprétation, de certains éléments symptomatiques et parasites encombrant le discours du patient.
J’ajoute à ces deux voies une autre démarche qui me parait nécessaire au travail de sens et que je nomme « via di reservare ». Je privilégie la fonction de mise en suspension, en réserve, en question en somme, de certains éléments dissonants par rapport à l’ensemble des autres. C’est le pointage de l’écart entre la tranquille énonciation de ces autres éléments et la bizarrerie obscure de tel ou tel autre qui met en travail l’appareil psychique de l’analysant (après celui de l’analyste) à la recherche d’une cohérence possible entre le clair et l’obscur.
Je soutiens que cette 3ème voie constitue l’instrument méthodologique spécifique du travail proprement psychanalytique.
Là où apparaît cette mise en réserve « interrogeante », qui pointe une absence locale de sens, dénonçant un déni possible qui masquerait un terme négligé dans les échanges jusque-là sans heurt entre les deux partenaires, émerge alors ce qu’on pourrait considérer comme le refus ou la négation d’une dénégation (« sur ce point nous ne pouvons pas maintenir la négation de notre différence »). C’est ce que j’ai pu proposer ailleurs de qualifier d’« opérateur négatif » du discours analytique. A l’occasion de la rupture localisée de la relation tranquille avec le double, pointe soudain la place d’un tiers ou d’un organisateur manquant. C’est l’émergence de cette opération de réservation dans l’accord de base du patient et du thérapeute ainsi que son maniement approprié dans le travail de la psyché qui marquent le passage de la psychothérapie à la psychanalyse, impliquant au demeurant un dispositif espace et temps adapté à un usage contrôlé et tempéré de cette petite rupture traumatique à minima du discours du patient par les mises en doute de l’analyste. En effet, la pointe traumatique de la rupture d’accord dans le discours à deux des partenaires doit pouvoir être suffisamment contenue et protégée par la stabilité du reste du champ psychique commun ainsi que du dispositif, ou du cadre temporel et spatial du travail.
On peut considérer que l’environnement conteneur nécessaire au travail de l’opérateur négatif s’appuie principalement dans ces conditions sur une identification de type primaire, ou narcissique du patient avec le thérapeute, identification entretenue autant qu’il est nécessaire par ce dernier et incluant le cadre silencieux de la thérapie. Le surgissement du pointage d’un déséquilibre local ouvre le chemin à la recherche intrapsychique puis à l’intériorisation d’un tiers préludant à des identifications secondaires médiatisée, de type triangulaire et œdipien. Celles-ci donnent sens à quelque degré à des contenus inconscients jusqu’ici projetés par le patient dans le cadre thérapeutique et sur l’accord narcissique avec le thérapeute.
2/ Le destin du transfert aux 2 pôles
Toute situation aménagée suffisamment constante induit une répétition à caractère transférentiel quel que soit le pôle psychothérapique ou analytique ensuite privilégié, dès le début ou en cours de processus. Cependant, le transfert se donne généralement à l’origine sous la forme d’un « transfert narcissique », qui constitue le thérapeute en une sorte de double plus ou moins indéterminé et assexué du patient, comme suggéré au paragraphe précédent. Ce double sert, je le rappelle bien en effet, en quelque sorte de conteneur aux échanges sensori-perceptifs et verbaux des deux partenaires. Il est soumis pourtant aux aléas inévitables de variation que la constance de la relation peut permettre d’amortir pour que l’échange confidentiel et fiable puisse continuer jusqu’au point de consolidation identitaire ou de passage pour qu’une approche plus hardie (analytique) ait lieu.
a) au pôle psychothérapique
Dans la polarité psychothérapique c’est sur ce transfert en identification primaire spéculaire que le travail de soin ou de restauration narcissique s’opère sans que le thérapeute ait nécessité de mettre en jeu et d’analyser le sens profond des répétitions inconscientes projetées dans sa direction et peu à peu canalisées par la suite des séances.
Dans cette perspective les interventions du thérapeute s’inscrivent avant tout dans une relation plastique de modelage par la plainte et les requêtes du patient. Certes, un cadre sensiblement constant est nécessaire mais l’attitude psychique, voire même physique du thérapeute marquera essentiellement une disposition à opérer comme un « médium malléable » au sens où M. Milner puis R. Roussillon l’ont entendu.
b) au pôle psychanalytique
La mise en question des répétitions transférentielles interrogeant sur la place méconnue de certains éléments, objets d’abord d’une sorte de déni en commun, mais marqués d’étrangeté, constituent un passage fugitif ou suivi à la polarité proprement psychanalytique. Ici c’est l’interprétation du transfert qui va devenir plus ou moins centrale tandis que le travail dans le transfert sur un fond non interprété occupe une place secondaire d’étayage du travail interprétatif, place qui on l’a déjà indiqué, demeurera plus ou moins discrètement nécessaire et qu’il faudra ajuster selon le décours du travail et le jeu des remontées pulsionnelles et des résistances qui s’y manifesteront.
3/ La fonction du langage
C’est le langage qui de façon essentielle est le véhicule et le lieu d’expression de l’interprétation proprement dite (à ne pas confondre avec d’autres types d’interventions, contenantes, rassurantes ou encourageantes qu’elles soient langagières ou simplement comportementales). Celle-ci consiste à introduire une relation métaphorique impliquant la reconnaissance de l’absence de l’objet lui-même évoqué par le symbole dans la relation ainsi verbalisée. Le langage dispose du moyen, par ses symboles de faire communiquer plusieurs étages de traces mnésiques et perceptives, en les substituant plus ou moins, métonymiquement, les unes aux autres, au prix d’un écart plus ou moins grand entre les affects et les représentations se rapportant au signifié perdu. En ce sens on notera que le langage repose sur l’acceptation plus ou moins consentie du deuil du signifié dans le signifiant. L’usage qui est fait du langage peut cependant amortir jusqu’à la banalisation en commun, une sorte de langue de bois, évitant ainsi la violence potentielle de l’absence d’une partie toujours manquante du signifié perdu dans le signifiant appelant une incessante réfection du discours.
Dans la polarité psychothérapique le langage, s’il y est recouru par le thérapeute, est maintenu très près du banal. S’il est utilisé plus ou moins systématiquement pour travailler l’écart entre la pensée latente se rapportant à l’objet perdu signifié et le symbole utilisé, alors le processus s’oriente davantage ou plus ou moins constamment vers le pôle psychanalytique, appelant les sauvegardes de cadre et les prudences interprétatives convenables pour que le patient supporte une élaboration de ses représentations inconscientes sans en être trop troublé. Le partage par le patient et le thérapeute d’une langue commune (cf. Lacan « La Langue ») rend possible des variations sur les nuances de l’affect de chacun attaché à la commune forme des mots. Sous la structure apparemment abstraite de ceci, le corps est constamment présent, chargé des traces innommées des expériences antérieures de chacun. C’est du retour de ces traces vers des actes de parole des partenaires que s’opèrent en bonne partie les réajustements dans l’analyse des refoulements inconscients et de la pensée consciente à la faveur du jeu du travail préconscient.
Les trois remarques ci-dessus en appelleraient d’autres, en particulier sur la part du contre-transfert dans la régulation du processus de terminaison plus ou moins rapide, selon les objectifs utilisés par les deux partenaires, de l’ensemble de la démarche choisie. Plus courte et plus réparatrice que « remaniante » elle pourra s’appeler socialement psychothérapie, moyennant un contrôle approprié par le thérapeute du glissement ou dérive possible dans la direction interprétative métaphorique de type analytique. Plus longue, plus aventureuse et ouverte à des imprévus, cadrée en ce sens et pour cette fin elle pourra s’appeler psychanalyse ou psychothérapie psychanalytique.
Dans les deux cas et aux deux pôles, l’intelligibilité de la démarche exige alors que les principes de leur relation et de leur complémentarité, parfois mouvantes soit aussi clairement que possible comprise par les thérapeutes. Cela pour éviter que de dangereuses confusions, soutenues par de maladroites aspirations professionnelles narcissiques, ne viennent mélanger inopportunément les façons de faire, qui ne sont en elles-mêmes nullement concurrentes. La formation des praticiens peut, à cet égard, poser d’importants problèmes, tant les rivalités naïves entre les approches possibles servent parfois d’instrument à des compétitions personnelles ou groupales sans objet. Les inconvénients relatifs à ce problème ne peuvent être correctement traités que par le moyen d’une information suffisamment approfondie sur la métapsychologie du travail psychique.