Le processus analytique .Voies et parcours, Paris, Puf, 2015, ISBN 978-2-13-059208-2, 344 p.
Thierry Bokanowski vient de publier : « Le processus analytique » qui prolonge son rapport du 64ème Congrès des Psychanalystes de Langue Française (CPLG) qui s’était déroulé à Milan en 2004. Il s’intitulait alors : Souffrance, destructivité, processus. Donc cette dernière publication recentre la réflexion autour de la notion même de processus que l’auteur va développer de façon détaillée, voire même dans un souci d’exhaustivité tout en maintenant la gageure de préserver un espace ouvert de pensée. L’auteur explore dans les premiers chapitres cette notion de processus qu’il pose comme un postulat selon la définition du Petit Robert : « un principe indémontrable qui parait tout à la fois légitime et incontestable ».
Freud a lui-même très peu employé ce terme. Une citation est tirée de l’article de 1913 sur « Le début du traitement » où il s’agit principalement de la résolution des refoulements existants avec l’idée qu’une fois engagé le processus irait son propre chemin, celui de la névrose de transfert .On peut être tenté de questionner l’auteur, avec cette objection de J. Canestri, qui se demande si le processus analytique serait un artifice. N’est il pas tout simplement l’équivalent du travail analytique, de la dynamique des processus psychiques eux-mêmes. Il semble que ce modèle dynamique que T. Bokanowski élabore pour penser le processus en termes de mouvements d’intrication et de désintrication,de processualité transformatrice et d’antiprocessualité, reprend le modèle même de la pulsion.
Quoiqu’il en soit ce livre est une passionnante leçon clinique qui nous procure aussi un plaisir de lire. T. Bokanowski place au cœur du processus la rencontre de deux psychés, « une interpénétration » dans leur dynamique complexe et interactive. Il observe « l’infinie succession des mouvements psychiques » qui en résulte tant du coté du patient que du coté de l’analyste. C’est là ce qui fait la richesse de ce livre, en ce que l’auteur nous plonge « dans le vif » de la séance, mais surtout ce qu’il nous transmet du travail psychique de l’analyste en séance. Dans ses récits cliniques il nous livre tout ce qui anime l’analyste du point de vu de ses affects, ses questionnements sa technique et ses théories, tout en se maintenant dans un accordage proche et précis avec le patient par une écoute à la fois contenante et symbolisante. Un fort désir de transmettre est au cœur de l’écriture.
Pour T. Bokanowski, « l’idée du processus découle du pouvoir transformateur de la psyche », et il fait de la transformation de la douleur en souffrance la finalité de ce processus. Dans le chapitre XVIII les mots sont précis et inspirés pour parler de l’innommable de la douleur taraudante et terrifiante que l’analyste peut tenter de se représenter et de vivre dans sa chair. Il nous parle de la douleur comme « le point de l ‘impossibilité de souffrir », quand les excitations ne peuvent plus être liées à une représentation d’objet intricante, dans une rupture de contact interne .Pour être éprouvée comme souffrance, la douleur doit rencontrer un objet qui la contienne. T. Bokanowski se situe au plus près de ces vécus de détresse primaire de l’archaïque et de la violence fondamentale. Il va « au contact » de contenus psychiques, qui sont en deça du registre secondarisé et de l’organisation œdipienne, là où la déliaison est à l’œuvre et la destructivité.
C’est à ce titre que ce livre nous parle de l’analyse contemporaine ainsi que par la multiplicité des références théoriques, depuis les auteurs post- freudiens jusqu’aux apports plus récents, dont A. Green et sa théorisation du travail du négatif. qui inspire un partie de la réflexion de l’auteur, autour de la notion de transferts négativants, de destructivité et d’antiprocessualité. Cette diversité nourrit les théories implicites des analystes d’aujourd’hui. T.Bokanowski nous fait avancer au cœur d’une dynamique complexe, qui prend en compte l’hétérogénéité des niveaux de fonctionnements psychiques dans une écoute multi focale et se référant à des modèles théoriques eux aussi hétérogènes.
Cette complexité est souvent exprimée sous forme de paradoxes, comme le paradoxe d’un mouvement qui ne pourrait s’initier qu’à partir du moment où il porte en lui la nécessité de sa terminaison, que le mouvement processuel ne peut se faire que s’il s’intrique avec en contre champ un mouvement anti processuel que finalement l’analyse aurait pour but d’accroitre la capacité de souffrir du patient…
Ces paradoxes impriment à la démonstration un mouvement circulaire dont la visée qui peut être déstabilisante est de questionner les théories qui fonctionneraient comme des convictions et vérités intangibles et auraient alors un effet anti processuel.
Aussi dans sa conclusion T. Bokanowski se positionne pour une conception de l’analyse en tant que « mythe vivant, espace de pensée ouvert, transformable » et en cela garant de la processualité.
Publié le 16 juillet 2015